douceur comme ça s'est passé
chambranle obscur au bout du parquet
entrée d'une main très exténuée, puis d'un pied tout pareil
le reste d'un homme en sweat-caleçon suit, qui traîne à sa cheville un autre homme, dont la capuche retournée couvre le visage
l'acteur jette un regard devant lui, pas parce qu'il le fallait nécessairement, mais parce qu'il ne peut pas encore s'en empêcher, un regard au public, avec ce petit sourire en coin qui dit tu sais que je sais que tu sais que je sais que... un jeu
pesamment il traîne son jumeau jusqu'au terme de la diagonale des planches
l'un - quand la douceur accrottée sur un trottoir glute et pègue comme un doigt d'où goutte le miel...
n'en peut plus, l'homme s'écroule, sa capuche vient cacher la face tandis que l'autre d'un bond se lève et révèle son visage
l'un - ... ça bonde
le nouvellement debout a la poigne toujours fixée à la cheville du nouvellement vautré, il le tire par la jambe en râlant, deux fois, souffle, redeux fois, renâcle, gémit, s'effondre en replaçant la capuche au devant du nez
les siamois s'aperçoivent que ni l'un ni l'autre n'est désormais décidé à les locomotiver, ils se fâchent de leur lien, rampent chacun de leur côté avec rage, avec le désespoir insolent de celui qui veut se décrotter de la tendresse infatigable d'un lien de chair, des jappements d'impuissance roulent sous les lattes, la sueur parabulle et les ongles rabotent par terre, jusqu'à épuisement
compréhension qu'ils ne se déferont pas, rapprochement timide des deux sans-visages, fermeture de l'un contre l'autre en une tailleur malséante, les fronts s'attachent
le respir du premier contamine le deuxième, jusqu'à ce qu'on ignore lequel fut le premier et lequel le deuxième, à la fin il y en aura juste deux qui ne seront qu'un, qu'un tant que la fin dure
car la fin dure, c'est pas souvent, d'habitude on la veut qui éclate ou qui s'éteint, là, il faut qu'elle soit
douceur
tout ainsi,
comme ça s'est passé
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