compagnie si l'oiseau veut bien chier

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quelque part sur le long de la banane bleue d'europe, parc périurbain ou campagne aménagée
madame vanderiets promène son oiseau domestique en laisse
quelque chose de commun comme une perruche ou un pigeon
sachant que la perruche est plus communément domestique et le pigeon plus communément oiseau
l'oiseau bat des ailes frénétique, et maintient la laisse tendue en manière de cerf-volant, il ahane avec le désespoir des mouches assaillant les vitres
jogger jogge de petits tours, de sorte qu'il repasse souvent devant madame vanderiets
il passe de nombreuses fois, longtemps
sous l'effet de l'angoisse ou pour suivre une stratégie de lâcher de lest, il peut arriver que l'oiseau fiente
s'il fiente sur scène, jogger s'arrangera pour glisser dessus, en jouant du regard périphérique de telle sorte qu'on soit mené à penser qu'il ne s'est pas arrangé pour glisser dessus, même que l'évènement ne l'arrange pas du tout, et la scène commence
si l'oiseau refuse de fienter, et s'épuise avant, les acteurs n'auront d'autre choix que de saluer humblement le public, quittant la composition du rôle au moment précis où le volatile heurte les planches, et la scène n'aura pas commencé
si l'oiseau fiente pile sur la tête de jogger, la surprise occasionnée doit lui faire oublier tout son texte, comme si les excréments avaient soudain imprégné sa mémoire, et la scène doit commencer, mais confusément, en improvisé, et surtout pas comme écrit
de telle sorte que la scène est écrite pour la merde au sol, et la merde ailleurs, qu'elle soit intra- ou extra l'oiseau mais ailleurs, ça n'est pas la merde de cette scène
par chance, le sol se trouve en de nombreux endroits
ainsi, il se peut que la scène écrite commence
sauf à jouer de déveine
à un moment

jogger - klootzak, immonde piafure

jogger retire la chaussure souillée et la lance sur l'oiseau, il s'arrange pour le louper, en jouant du geste périphérique de telle sorte qu'on soit mené à penser qu'il ne s'est pas arrangé pour le louper, même qu'il aurait très bien voulu le piner correct, et la scène continue
si jogger échoue à louper l'oiseau et l'assomme, comme dit, la scène cesse au moment où ce dernier touche le sol

vanderiets, glougloute de rire comme une mouette hyperventilée - ooj, kom op, c'est rien, il vous en tombera d'autres, vous avez dû karmater quelque chose de mauvais hier qui vous recire les pompes aujourd'hui

jogger lance sa deuxième chaussure, mêmes conditions

vanderiets - hou op, meussieu, tout doux, tout doux avec ce que vous projectilisez sur cet animal

jogger, excité par l'interdit, lance tour à tour les éléments de son costume, jusqu'à finir nu, d'autant si ça ne se voit pas, parce que le sujet n'est pas là-dessus et qu'un sexe attire toujours disproportionnellement l'attention de tous, donc une nudité sans sexe, une nudité de poupée barbie à qui on refuse désespérément la moindre fente, raie ou tétine, quels que soient les efforts mis en œuvre pour la peler - je projectilise ce que je veux madame, ce que je veux tant que le premier j'ai été ciblé, leurré, piégé, je me légitime-défends

vanderiets - il vous a pas visé, vous l'auriez reçu sur la tête, si l'attaque avait été préméditée, toch, vogeltje

jogger - tête aux pieds pas grande différence, je suis un corps entier qui entend qu'on le respecte très également dans toutes ses parties

vanderiets – quelque chose vous en veut sur les pieds alors, mais ça n'est pas mejn liefje, c'est une pâte

jogger – onzin, une patte, deux pattes, deux ailes et un satané tube à fienter, voilà tout ce qu'il y a dans çt'infâme zoziaille

jogger s'aperçoit qu'il a défait le dernier de ses ustensiles projectilisables, puis dangereux approche la dame

jogger – donnez

vanderiets – comment

jogger – vos chaussures, donnez

vanderiets – c'est pour lui lancer, mijn god, quelle catastrophe vous a donc arraché vos derniers relents d'humanité, pour que vous aggraviez ainsi le moindre gravillon dont la fortune alourdit vos sandales, mon oiseau veut voler, erg goed, qu'il vole

jogger – c'est pas pour lui lancer que je vous ai réclamé vos chaussures, je supporte pas vos pieds, je supporte pas vos petits pieds douillets bien enrobés dans leurs chaussettes du dimanche, cozyment installées sur vos semelles à mémoire de forme, vos pieds culottés de cuir, fagottés de lacets, ils me font mal rien que d'exister, enlevez-les, par pitié, alsjeblieft, alsjeblieft...

vanderiets – mon oiseau, puis mes pieds, ni haut ni bas y'a rien qui vous convienne, geweldig, nous ne sommes pas venus ici pour vous plaire, mais pour nous amuser, l'oiseau et moi, moi et l'oiseau, pas vous, merci bien, au revoir

elle ne bouge pas, jamais d'ailleurs, ses semelles semblent comme enlisées dans la résine du parquet (petit parc par excellence), contraste avec jogger incapable de ne plus mouliner la langue et les membres

jogger – gewoon en voet, pitié, juste un pied, un peton, un petononnet, un petoninininouchet

vanderiets – je vous plains, mijnheer, le bon dieu ne vous a pas fini à la glaise, je suis désolée de vous l'annoncer comme ça, mais vous puez de l'âme, vous bouez de l'intérieur, vous rutilez d'encrasses, vous m'asticotez de la manière la plus haïssable, et basse, je voulais seulement profiter du sentiment du ciel, vous n'imaginez pas les milliers d'heures passées loin du ciel, dans une boîte blanche pleine de machines, à me machiniser avec une ampoule pour seul soleil, des toiles d'araignée en guise d'étoile de belger, un plafonnier cointu pour toute voûte, j'avais la certitude que le grand air me taillerait de plus grands poumons, et que ces poumons enflés me désincarcèreraient de la cellule qui m'enserre, de cette cage thoracique qui tenaille mes entrailles, et quand les côtes auraient desserré leur prise, j'aurais enfin senti mon cœur, que je ne trouve plus, une impression de ciel, même pas, une lueur, un pigment, dat is alles, je ne demandais rien de plus, et là, vous arrivez, vous, vous injuriez mon oiseau, la seule tangente qui m'aiguillonne encore au ciel, vous menacez de l'abattre, de me priver de la dernière raison valable de regarder en l'air, vous me mettez le bec dans la vase, dans la fange larvaire d'où vous sortez, et vous voulez m'y noyer, que j'y sois confondue, moite et fielleuse, privée même de mes semelles qui me gardent à l'aise, perchée loin des rampants, car vous êtes un ver, vous courez aveuglément en clamant vos insultes comme vous chieriez la terre sur la terre, vous êtes là pour emmerder le monde, un conseil, enterrez-vous profond, laissez-vous bouffer par les taupes, ou alors relevez-vous in godsnaam, devenez un homme, habillez-vous, allez à la messe, trouvez-vous une raison de regarder vers le ciel, et alors peut-être vous aurez mieux à faire que de rabaisser les braves au cloaque général, toute ma vie je me suis battue pour m'élever par-dessus, pour valoir plus que les gens comme vous, toujours je me suis laissé promettre que si je patientais sagement, le menton levé, un ange me donnerait ses plumes et je deviendrais légère, alors je ne laisserai pas le premier puceux venu s'agripper à mes chausses

jogger – vous sentez qu'il vous pousse des ailes à la langue, niet waar, c'est vrai maintenant que j'y pense c'est étrange, vous n'avez pas du tout la gueule de votre jactance, une dame comme vous, aux mentonnelures bouffies par les années à se beignetter les bajoues, une dame comme vous qu'a les babines qui tanguent et les cannelures du ventre rembourrées dans le corset, une dame comme vous bah ça la ferme, ça se comprime sous le poids des brioches, parce que si ça l'ouvre, ça dégueule de ces choses à demi fermentées qui rien qu'à l'odeur font gerber tout le reste des autres autour, voilà, vous me faites gerber avec vos sermons, parce que ce que vous crachez et que vous prenez pour des hosties ne sont rien de plus que des suppositoires qui ont fini leur transit, ja, vous avez l'art de déboussoler les suppositoires, on leur a dit 'dissolvez vous quand vous sentez que vous avez atteint le fond du trou', et avec vous ils sont perdus parce qu'ils creusent, ils creusent, et jusqu'au fond du fond ils se disent 'tiens mais c'est bizarre cette femme a plusieurs couches de cul', vous ne savez sans doute pas à quel point c'est curieux un suppositoire, mais moi je vous le dis c'est très curieux un suppositoire, très curieux, si bien que dès lors ils veulent comprendre, ils veulent compter combien, mais combien cette vuile hoer a bien pu emmagasiner de couches de cul, et ils s'estomaquent devant le colon, colonisent l'estomac, jusqu'à sortir par votre très éminent claque-merde, où croyant voir la lumière au bout du tunnel, les suppos cèdent et libèrent cette matière septique, cette haleine fécale qui vous tient lieu de parole

vanderiets – nog niet over

jogger - nee, mevrouw, nooit, j'ai pas fini, vous voulez savoir pourquoi je cours, pourquoi chaque soir je bonde les rigoles de suées, pourquoi je rampe si plaisamment sur vos pieds pomponnés, c'est ma manière de vermisser sans perdre la tête, parce que oui, je suis un ver, oui, j'ai compris dans quelle fosse à purin nous vivions, et j'ai accepté de m'y rouler et de m'en nourrir pour exister encore un peu, mais désormais je ne vis plus que pour suinter, cracher, et dégobiller tout ce qu'il y a en moi au dehors, dans l'espoir d'un jour avoir tant glairé, tant donné qu'il ne reste plus rien à l'intérieur, je veux atteindre ce néant, mais sans fuir, sans me distraire avec les nuages, et je vous trouve lâche, lâche, parce que vous n'êtes pas faite de brioche et de confiture, vous n'êtes pas comme ces minettes en sucre qui s'écroulent au premier connard qui leur pisse dessus, je l'ai vu tout de suite, vous êtes pleine d'étrons gluants, un boudin diarrhéique dans une peau de bébé, een dike zeug, parce que vous n'acceptez pas, vous refusez la salissure, alors vous l'enfouissez dans vos bourrelets, et puisqu'ensuite vous trouvez votre corps indigne de vous, vous projetez les plus beaux fragments de votre identité sur un animal, sur cet oiseau qui vous surplombe et que vous plombez, vous vous convertissez en pot de chambre ambulant pour lui, ses fientes roulent droit dans la laisse comme un tube qui vient grossir le déchet sur pattes que vous êtes, cet oiseau ne vous tient pas compagnie, parce que s'il vous tenait vraiment compagnie, il descendrait à terre, avec vous, il vous regarderait en face et ne vous conforterait pas dans votre cosplay de bombe puante, mais vous dirait la vérité, vous éclaterait et vous rendrait à vous-même, peut-être même il vous rendra ces perles rares, vous savez, celles qui font que vous vous aimez, et que vous avez préféré pendre à son cou en attendant d'avoir vous-mêmes des plumes

vanderiets – je sais tout ça, vervloekt gek, vous croyez m'enseigner quelque chose, ça vous avance à quoi de m'humilier, j'ai pas le droit de croire, d'espérer pour une fois malgré la chiasse ambiante, de faire bonne figure, de mensonger les apparences jusqu'à demeurer convaincue moi-même de leur vérité

un temps, elle se ressaisit, puis replonge

vanderiets – vous l'avez fait exprès, vous ne pouviez pas ne pas voir mon oiseau fienter du loin où vous arriviez

jogger – j'ai pris le coude, juste là

vanderiets – leugenaar, vous avez tout vu, vous feignez, vous mentez, vous avez marché sur la fiente exprès parce que vous aviez envie de me détruire, vous êtes un monstre de parole et je vous déteste

jogger – ça me surprend moi-même, eigenlijk, je n'ai pas l'habitude d'agresser les grosses dames dans les parcs

vanderiets – je suis donc l'heureuse élue

jogger – apparemment, quelque chose chez vous a dû me rappeler quelque chose chez moi

vanderiets – ça doit faire de nous deux beaux vers solitaires

jogger – qui se tiennent compagnie

battement, flops flops de la volaille

vanderiets – gedag, qu'on ne se revoie jamais

elle lâche la laisse, l'oiseau la traîne en s'enfuyant enfin, part à petits pas serrés

jogger – et l'oiseau

vanderiets – j'en veux plus

exit
la scène ne prend fin qu'à l'instant où l'oiseau quitte la salle ou touche le sol, tant qu'il ne l'a pas fait jogger le suit du regard, avec dans la pupille une lueur, un pigment de ciel, dat is alles

N.B. il se peut que l'oiseau ait souffert lors des longues minutes de discutes humaines qui ont suivi les longues minutes d'attente humaine où il n'avait pas encore compris qu'il devait fienter pour tonner le gong, il pourra même exiger réparation pour les peines occasionnées, auquel cas vous le donnerez en sacrifice suivant les rites propres à la religion du pays où s'incarne la scène, ou vous le dédommagerez d'un montant à convenir en privé, si le dieu pécunier gouverne votre cité, quoi qu'il en soit il est de bon ton de libérer l'oiseau après chaque représentation fructueuse (une fois seulement qu'il a daigné fienter et voler comme un forcené jusqu'au bout de la scène), pour chercher un autre oiseau le soir prochain, car l'effet doit varier selon le pénitent en place

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