alentour les gouttières à humeurs rectales
dès tout gosse on enseigne aux gens qu'être sage, c'est rester assis, que le debout n'est raisonnable que du moment qu'il transporte le corps d'une assise à l'autre, et que se coucher n'est envisageable que dans un lit, le temps de regagner l'énergie pour se remettre d'aplomb pour faire le trajet jusqu'à sa chaise, parce que ce qui compte vraiment, c'est la constance dans le fait de poser son cul
ainsi les bancs d'écoles et les sièges des bureaux et les trônes des patrons, voyez que plus la banquette est molle et plus les fesses sont grasses, plus on révère l'homme qui les y chauffe
comme s'il y avait un grand honneur à ne pas bouger, à se maintenir fixe contre un angle, comme une brique sur un mur, jusqu'à persuader tout le monde qu'on n'a jamais été que ça, une brique, un monument minéral sur lequel la société peut s'appuyer en toute confiance
c'est peut-être bien ça, en posant nos jambes de côté, et en admettant le postérieur comme base du corps, on s'impose aux autres comme cul-de-jatte temporaire, et tous jalousent et tous pensent et merde comme j'aurais aimé que mes cuisses s'impriment si fermement dans le formica et que je prenne racine dans le formica et que ma chair trop flasque se formicate
à l'opposé, les métiers d'hommes debout sont préjugés comme sales, dégradants, et je ne vous parle même pas des métiers de femmes couchées
j'aime pas rester assis
tant pis si ça donne mauvais genre pas sage, mais j'ai jamais compris l'empressement des bonnes gens à réfuter qu'on est des bêtes, ceux que quand t'essaies de les regarder dans les yeux ils les figent de l'air de dire non non je suis un caillou, je gis voilà tout
avant qu'on invente la position assise, n'y avait que la lune qui nous couche et le soleil qui nous lève, et de toutes les races de bêtes on était celle que le soleil avait levée le plus verticalement
nous étions les chiens de dieu qui reniflions le ciel, la truffe toujours en haut et tout le jour à s'étirer, puis toute la nuit couchés où que ce soit
le cycle était simple, et au fil des siècles, nous sommes parvenus à monter si haut debout, et sombrer si bas couchés, qui sait combien
mais une tare nous empêchait de nous extraire du reste des rampants, qui nous gardait enchaînés à la terre comme les chiens du diable qui reniflent en bas, à savoir que nos excréments sortaient à l'horizontale, il fallait donc plier les genoux parfois et se risquer à la tentation de ne plus s'efforcer vers le ciel
l'assise est issue de la dégénérescence de l'accroupissure, quelqu'un qui chiait tranquillement quand il a remarqué qu'il pouvait s'appuyer contre une souche, et s'y soutenir même après avoir fini sa besogne, il en a parlé à ses congénères et dès lors il était trop tard
le temps qu'on passe assis n'est ni une dépense d'énergie comme le debout, ni un repos comme le couché, c'est un temps mort-vivant où l'on cesse d'écouter l'appel du soleil, le cri qui nous a élevés en premier lieu, on perturbe le flux et le reflux des heures si bien que quand vient la lune, son chant n'appelle plus la fatigue coutumière, et toute la force dérythmée se dilapide dans un grand chaos intérieur, où croît l'angoisse et prospère la panique
j'ai vécu trop de jours assis parce que je n'avais pas réussi à me coucher assez pendant la nuit
j'ai subi trop de nuits assis parce que je n'avais pas réussi à me lever assez pendant le jour
je ne veux plus me maintenir dans la hauteur médiane et médiocre des hommes-briques, je veux retrouver l'ivresse d'élancer les yeux jusqu'au soleil, et la douceur des songes irradiés par la lune, je veux monter au sommet et toucher les abysses, recouvrer la gloire des aïeux que la peur n'avait pas paralysés quelque par là au milieu, avant satan et la première souche
oh, je m'accroupirai, sans aucun doute, mais seulement pour chier, et dès passé ça je retournerai converser avec les astres
et surtout je me trouverai un métier d'homme debout, mais un qui soit si inutile que les actionnaires dans leur sièges ne pourront pas l'inclure dans leurs tableurs et leurs algorithmes fonctionnalisants, je choisirai un métier que, quoi qu'on en ait, personne n'arrive à réduire à un outil mécanique des assis, mieux, un métier d'homme debout qui rayonne partout alentour, et qui célèbre la beauté de ceux qui se lèvent et qui se couchent
les assis viendront me voir sans trop admettre pourquoi, ils viendront juste pour regarder, et je serai debout, et je ne leur servirai à rien, et ça les intriguera tant qu'ils resteront béés sur dix rangées
quelque chose remuera en eux au niveau des tripes, ils seront incapables de mettre un mot dessus, mais je reconnaîtrai les symptômes de la première intuition, du ressouvenir du corps cloisonné qui sort de ses ornières, je leur éventrerai le cul de l'intérieur, je remotiverai les anciens accroupissements, de sorte qu'ils seront assis, certes, mais quelque chose d'enfoui s'extirpera par en dessous, si bien qu'ils vivront la seule expérience qui vaut la peine de s'asseoir
je les ferai chier
mais franchement, façon rupture de digue, et toute la force du jour éclusée au creux du bassin, et toute la fatigue de la nuit qui pend aux lèvres nauséeuses, tous ces transits naturels que l'oubli généralisé de ce que c'est que de vivre aura ankylosés, cela jaillira du tréfond des entrailles, imbibera le molleton des fauteuils, ruissellera par les allées latérales, je regarderai glouglouter les rigoles jusqu'au pied de la scène, je plongerai dans la mare, et je retirerai la bonde, que la terre boive la chiasse qu'on n'avait pas voulu lui rendre
alors je m'allongerai et j'écouterai les gens battre des mains
il est tout à fait admissible qu'ils restent sur le cul tant ils n'auront rien bité, mais, sait-on jamais, se peut qu'un jour je me sois fait comprendre, que j'aie communiqué cet élan qui tue la torpeur, et alors, ils se lèveront
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