L'horloge
Paris, 1911.
Avec Vincent, François, Paul et les autres, ils répètent dans la petite salle des fêtes du quartier. Avec Paul, ils sont les seuls à jouer du piano. Ils connaissent bien les partitions à quatre mains.
Rentré à son immeuble, il monte les marches de l’escalier quatre à quatre. Le souffle court, il entre dans l’appartement et se présente devant l’horloge comtoise Matignon et fils de Saint Valérien avant que le marteau ne réveille la cloche. Il n’a pas le droit de la remonter. Mais elle sonne toujours à l’heure, deux fois, pour rythmer les journées et les nuits des événements de la famille. Son grand-père est le seul à en avoir la clef. Il la nourrit une fois par semaine dans un bruit de cliquetis qui remonte les poids. Le piano et l’horloge, de la mécanique magique et éternelle tant que nous sommes là pour les faire exister.
Pendant le repas de Noël, en mangeant des huîtres, son grand-père s’éteint brusquement avant de plonger le visage dans l'assiette de coquilles vides. Et l’horloge finit par s’arrêter. C’est la fin d’un monde.
Près de Paris, 2021.
Aujourd’hui cette horloge trône dans mon salon, à côté du piano. On a retrouvé la clef d’origine. Et 110 ans après, en remontant son mécanisme, d’abord celui de gauche pour le balancier, ensuite celui de droite pour la cloche, je peux comme son grand-père sentir les vibrations et les sons de son cliquetis, et à chaque fois qu’elle s’arrête, je peux aussi comme son petit-fils ressentir la fin de ce monde, de son monde.
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