Chapitre 12 - Tempête

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Cela fait déjà trois semaines que nous sommes en mer. Je suis étonné d'avoir le pied marin moi qui n'ai jamais vogué sur l'océan. Je me sens un peu chez moi et ce voyage m'apporte un vent de joie qui me rend plus léger. J'oublie les soucis qui nous attendent.

Tous n'ont pas cette chance. Plusieurs passagers passent la majorité du temps la tête par-dessus le parapet à vomir tripes et boyaux ; c'est le cas de Chloé dont le corps refuse de se faire au roulis de l'eau chaque matinée. Puis d'un coup, son corps semble prendre conscience qu'il est capable de gérer et les nausées s'envolent aussi vite qu'elles sont apparues. On s'installe alors sur le pont, le plus souvent à la proue, regarder cette immensité bleue et guetter les surprises qu'elle peut nous offrir.

Nous avons revu une fois des léviathans, ce sont les créatures les plus magnifiques contemplées depuis notre départ. Chloé m'a expliqué que, dans son monde, on leur voue un véritable culte avec une cérémonie à chaque printemps pour fêter l'arrivée de leurs nouveau-nés.

J'ai encore du mal, par moment, à garder en tête que ce n'est pas ma Chloé mais la Chloé d'un autre monde. Elles se ressemblent tant ! Pourtant, je vois bien quelques différences dans ses expressions, dans son aisance (ma Chloé est bien plus réservée), dans sa proximité avec moi. De l'autre côté du portail, je rêve du jour où celle que j'aime me prendra le bras. La Chloé d'ici m'agrippe toujours doucement quand la fatigue se fait sentir alors qu'elle pose sa tête sur mon épaule. Une douce chaleur m'envahit à chaque fois.

Je suis carrément perdu dans mes sentiments mais je mets ça de côté pour profiter du moment. Je suis tellement heureux d'être revenu à Altéphée, des discussions avec Chloé, de ce voyage en bateau.

Ce matin, quand je me lève, Chloé est la tête au-dessus de l'eau à ressortir son petit-déjeuner. Pour les autres, je sens une agitation inhabituelle, surtout chez les trolls aquaciens. Ils sont nerveux et discutent avec le capitaine en se coupant la parole. J'essaie de capter quelques bribes de conversation : "vent mauvais", "dangereux", "nuages arrivent".

Dans ma tête, une évidence : nous allons affronter une tempête.

Nous passons la matinée à attacher les affaires dans les soutes pour éviter les chocs et les projectiles si le bateau remue trop. Les trolls se reposent, laissent le bateau dériver pour ménager leurs forces face aux éléments qui se déchaîneront bientôt. En milieu de matinée, les premiers nuages noirs apparaissent et couvrent rapidement le ciel. Peu avant déjeuner, le vent fait tanguer le bateau et la pluie commence à tomber.

Bientôt, il devient impossible de tenir sur le pont sans finir par terre ou projeter contre la rembarde. Je commence à avoir peur. D'autant que mon pouvoir ne peut rien contre une force de la nature et que les dragons sont trop loin pour nous venir en aide. Je vois Bas-tient l'air grave, les trolls transpirant chercher à maintenir le navire sur les flots, l'équipage sur le qui-vive.

Puis d'un coup, comme sortie de nulle part, une vague éclate sur le pont. Je me sens glisser. Je ne peux plus respirer, l'eau emplit mes poumons. Je commence à paniquer. Tout va très vite !

Une main m'attrape et on m'aide à sortir la tête de l'eau. T'ziss qui s'est envolé juste avant est venu m'aider. Que ferai-je sans lui ? Il est mon ange gardien. L'équipage évacue l'eau et les trolls redoublent d'efforts. L'un d'entre eux s'évanouit. Nous sommes soumis à la volonté de l'océan. On m'entraîne à l'abri dans le ventre du bateau. J'ai vraiment peur !

J'ai l'impression que cela dure une éternité mais moins d'une heure après les premières rafales, le calme revient. Les trolls sont affalés sur leurs sièges, les hommes appuyés contre le bastingage* reprenant leur souffle.

J'entends la vigie s'époumoner :

— Terre !

Tout le monde sourit enfin. Nous accostons en milieu d'après-midi sur un énorme rocher couvert d'une petite forêt d'arbres qui font penser à des palmiers mais aux feuilles plus larges et rayées de vert et de rouge. Les hommes de Bas-tient repère des fruits que tout le monde s'empresse de cueillir. Nous nous installons sur la petite plage de sable blanc pour déguster ces fruits juteux dont le goût fait penser à de la mangue avec une pointe d'acidité : un délice !

— Attention ! me lance Chloé en souriant.

Elle approche sa main de mes lèvres et essuie mon menton. J'ai les joues en feu.

— Tu vas t'en mettre partout, ajoute-elle en rigolant.

Je suis complètement sous le charme. Je balbutie** :

— Merci.

Puis je réalise que la Chloé de mon monde serait jalouse. Enfin, si elle est m'aime comme je l'aime. Et la Chloé en face de moi ? Oh la la, ça me donne mal à la tête, je vais arrêter de penser avant que ça ne devienne encore plus fouillis. Je laisse la saveur du fruit m'envahir et je profite de l'instant.

Peu après, tout le monde s'accorde une sieste bien méritée avant de nettoyer les dégâts et de préparer le dîner. Nadil et Peflor me tiennent compagnie pendant l'épluchage de sortes de pommes de terre mais de couleur violette ou orange.

Nadil me met un léger coup de coude dans le bras :

— Elle te plaît la petite, dit-il avec un clin d' œil et un sourire jusqu'aux oreilles.

Je ne sais pas quoi répondre, je n'ai jamais confié à personne mon amour pour Chloé à part à Jonathan et Ethan, mes meilleurs amis.

— Laisse-le tranquille, assène Peflor l' œil sévère.

Nadil hausse les épaules et ajoute :

— En tout cas, on la voit retrouver le sourire et s'apaiser de jour en jour à tes côtés.

Cette remarque provoque des chatouillis dans tout mon corps comme un mini feu d'artifice.

— La pauvre, ça n'a pas dû être facile de débarquer ici sans rien comprendre, et seule, fait remarquer Peflor en la regardant sur la plage en train de ramasser des coquillages pour le repas.

Cela me fait prendre conscience de nos réalités qui nous sépareront un jour. Dans combien de temps ? Un jour, un mois, un an ? Je frissonne rien que d'y penser. La Chloé de mon monde n'aura aucun souvenir d'ici et cette Chloé sera alors injoignable, aussi loin que si elle vivait sur Mars ou Jupiter.

Peflor pose une main sur mon épaule :

— Qu'est-ce qu'il y a Hugo ?

— Je... J'ai peur du jour où il faudra faire nos aurevoirs.

Je sens ses bras m'entourer. Sa chaleur me réconforte. La troll dépose un baiser sur mon front.

— Profite du présent, c'est un cadeau.

Nadil m'ébouriffe les cheveux.

— Embrasse-la vite alors !

Il explose de rire. Moi, je dois être plus rouge qu'une fraise. Gêné je redouble d'effort pou éplucher et me concentre sur ma tâche.

* bastingage : Protection pour éviter de tomber dans le vide, sur un bateau.

** balbutier : bredouiller, articuler avec difficulté et hésitation.

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