Chapitre 15 - Vin-cent
Lue-divine hèle un prénom :
— Gaz-ton !
Un garçon, qui doit avoir à peu près mon âge, arrive en courant.
— Emmène-les à la forêt avec Citronnade, le plus de discrétion possible.
Bien m'man !
Gaz-ton nous fait signe de le suivre et nous emmène par des chemins détournés jusqu'en bordure de forêt, accompagné d'un pallanère jaune citron. Le fils nous quitte arrivé aux premiers arbres et le pallanère prend aussitôt le relais pour nous guider jusqu'à une jolie villa entourée de mur de pierres blanches. Un large portail en fer, forgé de branches et de feuilles, est ouvert sur la cour où picorent des poules et quelques coqs.
Sans un mot, notre guide rebrousse chemin.
Nous nous observons quelques instants. Même ceux originaires du coin ne connaissent pas directement ce propriétaire, bien que son vin soit apprécié de tous. Considérant le peu d'alternatives, nous décidons d'entrer dans la cour. Quelques volailles se précipitent vers nous, sûrement en quête de grains ou d'autres friandises. Elles me rappellent celles de Grand-Pa et Grand-Ma quand je vais en vacances chez eux à la ferme.
Les gallinacées font quelques pas avec nous puis, réalisant que rien ne leur sera offert, repartent en quête de nourriture dans les recoins de la propriété.
Un chien attaché par une corde à une grande niche aboie. Il ressemble à un loup avec des oreilles beaucoup plus grandes et une double queue qui fouette l'air à notre approche. Un homme ouvre aussitôt le battant. Petit, le ventre tendu et les mains sur les hanches, il nous interpelle d'un geste du menton.
— Que voulez-vous ?
Bas-tient s'apprête à répondre quand Skaross s'avance encore d'un pas et le devance :
— Bonjour, Lue-divine de la Goutte d'Or nous envoie.
L'homme semble soudain transformé en statue. Il fixe Skaross, son visage devenant plus pâle à mesure que le temps passe.
— Est-ce bien vous, messire ?
— Oui, un garde nous a repéré et il est fort probable qu'un avis de recherche soit sous peu diffusé. Si rien n'a changé, votre roi actuel cherchera au plus vite à me conduire à l'échafaud.
Son interlocuteur fait une brève révérence, en retenant les tremblements qui ont pris possession de son corps :
— Vous êtes le bienvenu dans mon humble demeure, Prince.
— Merci, je saurai vous récompenser de votre accueil et de votre aide lorsque j'aurai repris le trône.
L'homme se redresse, les yeux brillants d'excitation :
— Vous êtes venu remettre de l'ordre dans le pays ?
— Nous débarasser du monstre qui ravage nos côtes et reprendre le pouvoir, en effet.
Il nous fait signe de le suivre, ravi. Lisa préfère rester dehors et part se balader, elle a besoin de retrouver la nature. On s'installe autour d'une grande table et il revient avec une bouteille et de petits verres.
— Un p'tit coup ? De la liqueur maison, à base de raisin fermenté et de fragolles.
Sans attendre de réponse, il commence à nous servir, sauf Chloé et moi bien sûr.
Mon regard est attiré par un mouvement au dehors. Quelque chose bouge derrière la fenêtre. Deux boules oranges avec de petits yeux noirs sont perchées sur le rebord et nous observent... en battant des ailes. Je ne devrais plus être surpris mais, malgré moi, je me demande comment des boules oranges de la taille d'un ballon de handball peuvent voler. Qu'est-ce que ça peut manger ?
— Monsieur, pourriez-vous nous décrire un peu plus la situation ? Cela fait maintenant plus de deux mois que nous sommes partis, s'enquiert Bas-tient.
— Appelez-moi Vin-cent. Tout le monde a fui la côte, trop de villages ont succombé aux attaques du monstre et aux vagues géantes qu'il amène dans son sillage. Le tyran ne prend pas les choses en main, les réfugiés sont logés dans de précaires tentes de toile, massées autour des villes. Ils manquent de tout et rien n'a été fait depuis votre départ. Les taxes, par contre, ont augmenté. Officiellement pour lever une armée capable d'abattre cette bête. Encore faudrait-il savoir à quoi elle ressemble. Les descriptions des survivants sont pour le moins étranges et parfois contradictoires. Il serait aussi haut qu'un château, munis de multiples bras, quand d'autres parlent de tentacules. Certains évoquent des milliers d'yeux alors que d'autres le disent aveugle. Il dévore tout sur son passage, on parle parfois d'une préférence pour les jeunes enfants.
Je sens une main agrippée la mienne et la serrer.
Je tourne la tête en direction de Chloé, elle est blanche comme la neige et des gouttes de sueur mouillent son front. Je ne comprends que trop bien la peur qui la tiraille. Elle va être présentée comme la sauveuse, à même de tuer cette bête ignoble.
Je ne sais pas comment nous pourrons faire mais je pose ma main libre sur la sienne pour la rassurer. Mon regard est plus déterminé que l'incertitude qui occupe mon esprit mais je me dois de la réconforter et de lui transmettre mon soutien.
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