Les adultes restent longtemps à discuter de ce qui se passe, des moyens possibles pour arriver à la capitale, de la façon dont Skaross pourrait retrouver sa place légitime, des soutiens possibles...

Au bout d'un certain temps, je n'arrive plus à suivre. L'ennui me gagne et je vois que Chloé aussi. Je lui fais signe et nous sortons prendre l'air. Vin-cent nous demande de ne pas nous approcher de Vandale, son chien. Il est avant tout un gardien, raison pour laquelle nous devrons lui être présentés par son maître si nous voulons l'approcher sans risque. Il nous propose d'aller sur le côté de la propriété où nous pourrons voir les animaux de ferme qui servent à nourrir le foyer et à travailler dans les vignes.

Nous n'avons pas fait quelques pas qu'une masse orange envahit mon champ de vision. Passée la surprise, j'essaie de dégager cette chose qui me bouche la vue.

Sans résultat.

Je sens des mouvements dans l'air, sans doute un animal ailé. J'arrive une fois à repousser plus loin la bête et m'aperçoit qu'il s'agit d'un des boules oranges qui nous observaient derrière la fenêtre.

Chloé essaie de m'aider en tenant l'animal mais sa surface lisse lui fait vite lâcher prise et la créature revient se coller à mon visage. Elle ne me fait pas mal mais je ne peux rien faire pour autant, complètement aveugle.

J'entends un bruit de porte.

— Skaross, peux-tu nous aider ? Je n'arrive pas à décoller cette chose du visage d'Hugo, demande Chloé.

— Ahh, l'allinère, dit-il en rigolant. Ils ne sont pas méchants mais c'est vrai que ce n'est pas pratique. Il t'aime beaucoup, c'est tout. Il faut que tu le caresses sous l'aile droite puis la gauche.

Je m'exécute. La bête n'a pas bougé d'un pouce mais des vibrations mélodieuses ont volé dans les airs à chaque contact.

— Tu dois finir par caresser sous les deux ailes, ajoute Skaross.

Cette fois, l'allinère s'envole. Ouf !

Mon répit est de courte durée, il vient se poser sur ma tête. Skaross et Chloé sont morts de rire.

— Particulièrement collant celui-là ! pouffe Skaross.

— C'est pas drôle !

Ça m'agace qu'il se moque de moi comme ça ! En même temps, si l'un des deux avait une boule ailée dans les cheveux... Oui, je rigolerai aussi. Cette réflexion me permet de laisser s'envoler la colère qui commençait à m'envelopper. J'essaie de placer mes mains sous ses ailes et le caresse, faisant résonner ses vibrations harmonieuses à mi-chemin entre le ronronnement du chat et le chant du rossignol (ce petit oiseau que Grand Pa affectionne tant quand nous l'entendons dans la forêt).

— Hé, toi ! C'est gênant de te sentir dans mes cheveux, tu veux bien descendre ?

Je ne sais pas si elle me comprend mais aussitôt, elle décolle et vient voleter près de moi.

— Merci... mmmh, voyons... Orangeade !

— Pas très créatif avec sa couleur, me fait remarquer Skaross.

— Ah oui sa couleur m'a fait penser à la boisson que me prépare maman quand il commence à faire très chaud.

— Ah, c'est le nom d'une boisson, je pensais que c'était à cause de la couleur.

— Aussi, c'est fait avec des oranges, un fruit à la couleur orange.

— Au moins, les mots ne sont pas compliqués dans ton monde.

Je réfléchis.

— En général, c'est plutôt le contraire. J'ai souvent du mal à m'y retrouver en orthographe. Mais c'est vrai que pour une fois, c'est simple, dis-je en souriant.

Orangeade semble ravie et entame une joyeuse mélodie vibratoire.

Tout le monde nous rejoint et Vin-cent nous emmène à la découverte de sa propriété. Mon moment préféré est celui où nous biberonnons les petits mouchevreaux. Ils sont tellement mignons ! La mouchèvre est à mi-chemin entre le mouton et la chèvre avec sa laine soyeuse et sa tête de chèvre. Ils portent bien leur nom. Avec les mères, ils fabriquent une sorte de beurre et du fromage.

En fin de journée, alors que Chloé et moi profitons des nouveaux-nés, les adultes retournent à l'intérieur pour planifier la suite.

Au dîner, ils nous résument les actions à venir : faire circuler l'information du retour de Skaross afin de provoquer un soulèvement et renverser le roi actuel, explorer les pouvoirs de Chloé, trouver un moyen de tuer le monstre. Le temps que la rumeur se répande nous laissera la possiblité d'échafauder un plan pour extermier la menace et découvrir les pouvoirs de Cholé.

Au moment de monter nous coucher, alors que les adultes se sont rassemblés autour de la cheminée pour une partie de dés, je sens Chloé complètement abattue.

— Qu'est-ce qui ne va pas ?

— Comment je peux arriver à bout d'un monstre pareil ? Je... C'est impossible !

— Si j'ai pu y arriver, tu y parviendras. On va trouver, ne t'inquiète pas. Je n'étais pas seul face à Skaross, et nous sommes là pour toi.

— Mais je suis morte de peur ! Et je ne veux pas les décevoir.

— Moi aussi, j'ai peur.

— C'est vrai ? Pourtant tu as l'habitude maintenant.

— On ne peut pas s'habituer à ça, on peut juste accepter sa peur et la dépasser. Je crois que... je crois que c'est ça, le vrai courage.

Je la regarde en lui prenant les mains. Je la vois réfléchir, assimiler ce que je viens de lui dire. Ces mots que j'ai lu il y a longtemps dans un livre avec une histoire de samouraïs.

— Je crois que je peux au moins essayer. Merci, Hugo.

Elle dépose un baiser sur mes lèvres. Sur mes lèvres ? Je n'étais pas prêt ! Je... Comment c'était ? Je ne sais plus... Mince, mon premier baiser !

Elle est toute rouge, mais sûrement moins que moi. Gênés, nous nous lâchons les mains et chacun part se mettre au lit dans sa chambre. Avant de m'endormir je repense au baiser. C'était doux, je crois. Trop rapide, assurément. Qu'en penserait la Chloé de mon monde ? Que je l'ai trahie ? Je ne sais même pas si elle est amoureuse de moi. Ces questionnements ne me mènent nulle part, hormis à repousser l'heure de mon endormissement. T'ziss finit par me rejoindre dans le lit voisin. Je fais semblant de dormir. Sa respiration tranquille finit par m'entraîner dans le sommeil.