Je cherche mon amie un long moment avant de la trouver seule, les bras autour de ses jambes, les joues rougies.

Je m'approche et l'appelle d'une voix douce :

— Chloé.

— Pourquoi je n'ai pas pu empêcher ce désastre ?

— On n'est pas des super-héros. Ce n'est pas si simple.

— Pourtant, toi, tu as réussi !

— Après de longs mois à chercher mes pouvoirs et de nombreux morts le temps que je les maîtrise.

— C'est vrai ? demande-t-elle en essuyant son nez d'un revers de manche.

Je m'assois à côté d'elle et l'entoure d'un bras, sa tête repose sur mon épaule.

— Oui.

Je la sens se raidir d'un coup. Je tourne ma tête vers elle et voit son regard perdu dans le vide. Mon coeur s'accélère. Que lui arrive-t-il ?

Avant que je ne panique complètement, elle revient à elle.

Je la secoue légèrement :

— Chloé !

— Je sais ! Je dois leur dire !

— Leur dire quoi ?

— Que ce monstre ne veut pas faire de mal, il a juste terriblement faim.

— Hein ?

— Il ne faut pas le tuer ! Suis-moi !

Elle court comme une folle jusqu'à l'auberge où elle interrompt la réunion en cours.

— Je... sais !

Tous la regarde avec un mélange de curiosité et de colère. Il lui faut un certain temps avant de poursuivre tant elle est essouflée, ce qui n'arrange pas l'humeur générale :

— Donc. Tu sais quoi ? demande Skaross impatient.

— C'est un krachen.

Mes amis se dévisagent, visiblement perdus. Je me sens obligé de préciser à la place de mon amie :

— C'est une sorte de calmar géant.

— Il va falloir faire attention à ses tentacules alors, note T'ziss.

— Non ! s'écrie Chloé.

— Pardon ?

— Il ne nous veut pas de mal, il...

— Comment oses-tu ? Es-tu bien celle qui doit secourir mon peuple ? s'emporte Skaross.

Mon amie est effrayée par le regard noir qu'il lui lance. Je glisse mes doigts entre les siens pour lui donner du courage. L'expression de mon amie se durcit :

— La Pitie m'a transmis une vision. Ce krachen a terriblement faim, les fonds marins ont été ravagés. Il n'a pas d'autres choix que de venir se nourrir à la surface pour survivre.D D'ailleurs, il n'a jamais attaqué d'humain,. Je sais il y a eu des morts et trop de blessés maisla bête n'a attaqué personne directement, il s'en est pris à nos rivages. 

— Donc, si je comprends bien, tu nous suggères de le laisser ravager nos côtes et tuer mes gens ?

— Créons un champ sous-marin. Il y a une profonde abysse à quelques kilomètres au nord, nous pouvons y planter suffisamment de nourriture pour que le krachen nous laisse tranquille.

Le roi de Tenhyou ajoute, glacial :

— Et combien de temps faudra-t-il ? Combien de victimes pour sauver cette monstruosité ?

— Je... Je ne sais pas. La Pitie m'a montré les dragons d'eau. Je vais aller les consulter.

Face au visage de marbre de Skaross, mon amie finit par concéder :

— Et si, d'ici ce soir, je ne suis pas revenue avec une solution satisfaisante, vous... vous pourrez le tuer.

Sans attendre de réponse, Chloé fait demi-tour et part vers le rivage en courant. Je la suis.

À bout de souffle, nous ne prononçons pas un mot tandis que nous enlevons chaussures et collants. Chloé s'avance jusqu'à avoir de l'eau à hauteur des genoux, puis elle ferme les yeux. Je n'ose pas la déranger.

Le temps passe, tout semble figer.

Rien ne se profile à l'horizon. Puis la lumière du jour décline. Mon amie a le front ruisselant de sueur. J'ai mal pour elle, elle ne veut que protéger la vie, comme moi. Mais, contrairement à moi, elle ne semble pas douter. Elle reste concentrée sur son objectif alors que le ciel se transforme en un dégradé de roses.

Puis un remou.

Encore un autre.

Une silhouette scintillante et ondulante se dirige droit sur nous. Un sourire se dessine sur le visage de Chloé.

Le dragon émerge dans une gerbe d'eau qui nous éclabousse de la tête aux pieds.