II

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Plus Sehae descendait les sombres et étroits escaliers situés sous le donjon, plus elle pouvait sentir les effluves enivrantes de magie noire. Une délicieuse sensation à peine ternie par cet arrière-goût de corruption si caractéristique. Anciennement réservée aux appartements du seigneur des orques, les hommes de l'Empire avaient jugé la tour suffisamment lugubre — une fois les reliques et autres tentures grotesques de l'ennemi retirées — pour en faire leur prison. Néanmoins, par manque de place, des souterrains avaient été creusés afin de pouvoir accueillir un plus grand nombre de locataires. La jeune femme avait fait en sorte de neutraliser temporairement la garde afin de passer inaperçue. Elle s'enfonçait dans un dédale de galeries au bout desquelles on trouvait des prisonniers de longue date. S'y côtoyaient des lots de hors-la-loi, de rebelles, d'opposants farouches à l'Empire et autres gredins s'étant sottement laissés prendre.

Plus accessible, la geôle vers laquelle s'approchait la jeune femme était occupée par un homme de petite taille. Isolé, on semblait l'avoir placé là en attendant de le soumettre à la question. De par sa silhouette évoquant celle d'une fouine, on comprenait aisément le choix d'en faire un espion du culte. Le misérable était assis sur le sol, accablé par sa déplaisante situation. Une lueur d'espoir illumina cependant son visage blafard lorsqu'il aperçut poindre la sorcière. Il se pressa contre les barreaux de sa prison.

— Maîtreffe, fous fenez me fortir d'ifi ... Fous êtes trop bonne !

L'homme se perdait en paroles et manières obséquieuses. Une servilité de la part des gens placés sous ses ordres qui avait fini par lasser Sehae au fil du temps malgré la satisfaction que cela lui procurait au départ. Par un acte de désespoir, l'homme ne tarderait plus de chercher à susciter chez elle de la pitié pour sa lamentable existence, ce qui pour une sorcière telle qu'elle s'apparenterait à une insulte. Pour le bien des deux partis, il fallait en finir au plus vite. Elle se promena devant les grilles de la geôle, cachant admirablement sa mauvaise humeur derrière une voix calme et sereine. Elle faisait mine de s’intéresser davantage à la conception archaïque des lieux qu'au personnage qu'elle venait retrouver. Comme pour lui prêter une importance insignifiante.

— Bonjour, Seldrit ... On m'a informé que tu t'es attiré des ennuis. Je constate qu'on dit vrai puisqu'effectivement je te trouve ici.

De par son attitude, on eût dit qu'elle était déjà en train de penser à autre chose, de réfléchir au futur déroulement de sa soirée.

— Je peux tout fous expliquer, bien fûr !

Le nommé Seldrit essayait de se donner de la consistance et de l'assurance aussi maladroitement qu'il crevait d'angoisse. Sehae le sentit à tel point que cela en devenait gênant.

— Je n'en doute pas un instant ... Maintenant crois-tu que cela m’intéresse, Seldrit ?

— Oh foui maîtreffe !

Le ton de la jeune femme devint plus impérieux. Elle sembla tout à coup plus déterminée que jamais. Alors qu'elle se retournait et marchait lentement vers son complice :

— Moi je crois que tu devrais plutôt ravaler ta langue bien pendue. Jusqu'ici je dirais qu'elle t'as plutôt desservie. Me connaissant, tu sais qu'il est en mon pouvoir de t'y aider.

Elle était arrivée à hauteur des barreaux et passa un bras à travers, la main tendue avec langueur en direction de l'homme. Aussitôt, ce qui ressemblait de prime abord à des volutes de fumées inodores d'un noir incroyablement profond s'échappèrent de la manche de sa robe. Alors que celles-ci tournaient autour de l'individu, elles commencèrent à prendre l'apparence d'esprits torturés formant des masques grimaçants d'horreur. À partir de ce moment, il devrait supporter les multiples gémissements assenées par ces entités aliénées. Bientôt, celles-ci prendraient pleine possession de sa raison avant d'enfouir l'homme dans un mutisme éternel.

S'apprêtant à revenir sur ses pas, Sehae se ravisa et s'engagea finalement dans un des inombrables et larges couloirs de la prison souterraine. Il fallut qu'elle déambule plusieurs minutes avant de parvenir à hauteur d'une geôle sombre et froide. Au fond, avachie dans l'ombre, une silhouette replète indistincte semblait méditer. La jeune sorcière resta un moment face aux barreaux, attendant peut-être une réaction de sa part .

— Je sens ... les orques régneront encore ... oui ... bientôt ... Patience. Les anciens dieux festoient là en bas. Oui ... toi tu le sens aussi.

Il s'était exprimé d'une voix grave avec le langage guttural des peaux vertes que Sehae comprenait assez bien contrairement à la plupart des occupants de la forteresse. À l'évocation des entités divines, le vieil orque esquissa avec sa main un geste d'affection à quelques centimètres du sol. Comment ce prisonnier de guerre avait-il ainsi pu survivre après plusieurs siècles d'enfermement ? Les mages admis dans le cercle du pouvoir s'étaient pourtant succédés afin de couper le chamane de la source de magie noire qu'il puisait autour des sombres recoins de sa prison. Sehae n'aurait cependant pas affirmé qu'il était encore capable de se déplacer en marchant.

— Je me moque de tes délires mystiques, vieillard sénile ! Encore une fois, donne-moi la clé pour entrer dans le passage vers les profondeurs ! Je sais que tu la connais.

Cette chose mort-vivante était tellement immunisée contre la magie noire qu'il était vain de tenter quoi que ce soit sur elle susceptible de lui ranimer sa mémoire défraîchie. Voilà des jours qu'elle tentait de l'interroger, sans succès. Pourtant quelque chose de nouveau se passa.

Le vieux chamane à la peau flasque et verdâtre que Sehae finissait par distinguer une fois sa vue accoutumée aux ténèbres environnantes, ouvrit soudainement les yeux et fixa intensément ceux de la jeune femme. Tout se troubla autour d'elle puis s’obscurcit au point qu'elle se trouva plongée dans un océan de noirceur. Elle fut furieuse d'avoir ainsi pu laisser la répugnante créature entrer dans sa conscience à ses dépens. Les ténèbres se dissipèrent bientôt pour laisser place à un décorum tribal typique des peaux vertes. Elle se trouvait sous la tente d'une sorte de sorcier vaudou, aux parois encombrées de gris-gris sordides et embrumée de fumée d'encens . Elle aurait juré pouvoir en sentir l'odeur âcre mais tout ceci n'était qu'illusion bien sûr. L'orque se trouvant assis devant elle était affublé de pendentifs faits d'ossements ornementés de pierres colorées. Se dégageait de lui une force la rendant soudainement envieuse. Il ne dénotait pas avec son homologue prisonnier qui s'adressa à elle d'une voix qui semblait venir de nulle part et de partout à la fois :

— Narrosk ! Narrosk sait ... oui ! Il sait parler aux anciens dieux !

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