Éveil

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La lumière se fit.

Ce n’était pas à proprement parler une lumière vive comme celle d’un soleil estival, c’était plutôt un rai. Un rayon de la finesse d’une tête d’épingle qui filtrait à travers ce qui la recouvrait.

Où était-elle ?

Elle cligna des yeux. Plusieurs fois.

Chaque fois l’étincelle lumineuse apparaissait, et disparaissait.

Elle était bien là où elle se sentait être : allongée dans un lieu sombre particulièrement exiguë.

Elle tenta un mouvement de la main.

Rectification.

Elle était dans un lieu qui épousait parfaitement les formes de son corps. C’était un moule. Un moule à son exacte image.

Avait-il cette forme parce qu’elle était à l’intérieur, ou pouvait-elle être à l’intérieur parce qu'il avait cette forme ?

Intéressante question s’il en était. Mais une petite voix tout au fond d’elle le soufflait qu’essayer de sortir était le plus logique des raisonnements à adopter dans la situation qui était la sienne, les interrogations auront tout le temps de venir plus tard.

Elle pensa cela dommage surtout qu’une autre question lui vint tout aussi rapidement : Si elle était en place si exiguë qu’elle ne pouvait tenter le moindre mouvement, alors comment bougeait-elle ?

Était-ce une illusion que ses sens lui décrivent des accélérations, décélérations, soubresauts et virages ?

Elle ne pensait pas.

La voix revint, plus puissante, comme un bourdonnement empreint de milliers d’échos… Il fallait qu’elle sorte.

Décidant de l’écouter, elle tenta de pousser, faiblement d’abord, puis avec plus de force. Le lourd seau qui la retenait trembla, mais tint bon. Elle ne pouvait pas, elle se sentait... impuissante.

La voix s’était faite hurlement, répété un million de fois en un unique instant, insupportable. Elle devait sortir, maintenant !

De tous ses muscles concertés elle poussa un grand coup, sec. Dans un vacarme assourdissant de pierre brisée et de métal broyé, la lumière l’inonda.

Elle était aveugle. Libre, mais aveugle.

Tout était trop brillant, trop lumineux. Elle ne distinguait que des ombres blanches qui se dessinaient sur des murs aux couleurs du soleil. Derrière elle, des voix se mirent à crier des choses, elles ne semblaient pas particulièrement amicales, aussi elle ne daigna pas se retourner. Toute ces formes se mirent à s’agiter autour d’elle. Elle sentit quelques picotements dans son dos. Cela n’eut pas le mérite de la déconcentrer. Elle voulait quelque chose, elle n’arrivait pas à mettre le doigt dessus, pourtant, elle le désirait ardemment, comme si sa vie en dépendait.

Elle resta ainsi plusieurs longues secondes, alors que tout bouillait autour d’elle.

Jusqu’à ce qu’une odeur lui fasse tourner la tête.

Elle connaissait cela, elle ne savait pas ce que c’était, mais elle en voulait.

Sans doute était-ce même précisément cela qu’elle voulait.

Sans patienter un instant de plus, elle se mit à courir. Plus elle s’approchait, plus elle sentait sa faim grandir.

Sa faim ?

Était-ce donc cela qu’elle cherchait, manger ?

La lumière décroissait progressivement, les silhouettes régulières qui croisaient sa route se distinguaient de mieux en mieux. Toutes lui semblaient extraordinairement lentes et pataudes, elle connaissait également cette lenteur, elle savait qu’il existait un mot pour cela, mais impossible de le retrouver.

Pour l’heure, elle voulait… Manger.

Oui c’était cela. Manger.

Elle tourna à un angle formé par une sorte d’étrange agglomérat de bâtiments rectangulaires. C’était ici, derrière cette porte, celle qui se tenait sous le grand écriteau aux symboles inconnus.

Elle huma l’air, sentant cette fragrance toute particulière qui sembler danser de volute en volute de l’arabesque que formait son propre sillage gracieux.

Elle ne pouvait plus attendre.

Elle fonça.

L’espace d’une seconde, elle se dit qu’elle aurait aussi pu marcher jusqu’à la porte et l’ouvrir calmement, mais elle était trop pressée, et les faibles montant de chêne éclatèrent trop facilement à son passage pour qu’elle ne ressente l’once d’un remords.

Elle était à l’intérieur, le nuage de poussière soulevée par son entrée retombait encore. Il y en avait deux. Non trois… Quatre sources.

Quatre origines à cette délicieuse odeur. Elle en sentait une, juste là dans l’alcôve, derrière ce rideau de velours. Il lui suffisait de s’y rendre, elle jubilait, c’était tellement facile, elle pourrait enfin se repaître, elle…

Elle se sentie percutée à la poitrine, et s’envola.

Le choc contre le mur fut rude, mais le regard d'acier de l’homme qui lui faisait face, plus encore.

La voix ne parlait plus, elle s'était faite hurlement. Irrésistible.

De quel droit, s'interposait-il entre elle et sa nourriture ?! Quelle étincelle de folie pouvait avoir germé dans l'esprit de ce mortel pour lui barrer la route à elle ?!

Elle ne l'acceptait pas.

La voix n'était plus qu'une cacophonie braillante et mugissante.

Elle ne pouvait pas l'accepter !

Aveugle à tout autre chose que sa faim et sa rage, elle chargea l’homme.

Elle était rapide, très rapide, mais il l'était aussi, bien plus que toutes les choses molles et maladroites qui déambulait dehors. Aussi esquiva-t-il souplement sa ruée d’un acrobatique pas glissé. Elle ne s’y attendait pas, et sans pouvoir dévier, elle percuta de plein fouet la paroi d’en face. Sonnée, elle peina à s’extirper du mur que son impact venait d’enfoncer d’une dizaine de centimètre. Dans sa confusion, elle se sentit prendre un coup, puis deux, et trois, puis encore un autre, et un autre…

Sa tempe lui faisait mal, le monde tournait.

Elle ignorait si elle était toujours debout, ou si elle jonchait le sol aux côtés des débris de ce qui fut jadis une lourde porte ornée.

Elle ignorait si la seule chose qu’elle percevait encore était le battement de son cœur ou celui des poings sur son crâne.

Elle ignorait comment elle était arrivée là, était-ce sa faim, était-ce la voix, était-ce cet homme qui n’en était pas un, ou était-ce tout cela à la fois ?

Elle se sentait fatigué… Fatiguée de ne rien savoir.

Doucement, elle ferma les yeux, et accepta les ténèbres.

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