Sang-blanche
Irène ferma les yeux en soupirant. Marquant d'une délicate buée la fenêtre par laquelle elle contemplait quelques secondes auparavant les derniers rayons du crépuscule s'éteindre derrière les typiques bâtiments de cette chic banlieue parisienne.
D'abord les accrochages en ville entre des Égaliseurs et des Rakorn, ensuite cet attentat sur un convoi scientifique gouvernemental directement imputé aux leurs par les médias, le grand conseil qui se réunissait dans deux jours seulement avec ce contexte explosif plein les tripes et des idées rétrograde plein la tête, et qu'oubliait-elle ? Oui, un fou furieux venait de saccager son restaurant sans raison apparente à une heure de grande affluence.
Elle porta soucieusement une main à son front. Plus les jours s'écoulaient, plus ceux à venir se ternissaient. Ce n'était que la dure vérité.
La jeune femme tourna la dos à la nuit qui emplissait lentement les rues et posa deux mains lasses sur un lourd bureau du siècle dernier qui occupaient à lui tout seul une place majeure dans cette pièce aux tapisseries pourpres chargées d'ostentatoires dorures.
- Entre Soniev.
A sa grande satisfaction, sa voix autoritaire ne flancha pas malgré son épuisement.
Un homme franchit la porte qui s'ouvrit dans un faible grincement. Grand et charpenté, ses lèvres rigides soulignaient un nez anguleux et ses yeux d'acier impénétrable cachaient mal leur air soucieux. Son allure et son visage taillé à la serpe irradiait d'une droiture infaillible.
Il s'avança et s'arrêta devant le grand bureau sans daigner de s'assoir sur la chaise qui lui était présenté.
Irène sonda ses traits à la recherche de l'ombre d'une bonne nouvelle, un signe, même minime, d'un espoir futur... En vain.
D'un las geste de la main, elle l'intima à parler. Celui-ci hésita quelque instant, semblant choisir précautionneusement ses mots, puis s'exécuta :
- Nous avons été attaqué par ce qui semble être... une sang-blanche. Elle...
Elle haussa un sourcil.
- Vraiment ? En es-tu certain ?
- Certain madame. J'ai tout autant été surpris que vous, d'autant plus qu'elle semble être d'une ascendance assez élevée. Malgré son état, elle était extraordinairement rapide et résistante, j'ai du la maintenir sous mes coups plusieurs minutes avant qu'elle ne daigne perdre connaissance. Heureusement, personne n'a été blessé, les seuls dommages sont matériels.
- Oui j'ai entendu parler de la porte et de ces quelques murs, nous réparerons cela, fit-elle en balayant le problème d'un revers de main. Elle marqua ensuite une pause, se frottant soucieusement le front. Est-on sûr qu'elle n'a pas été suivi ? Reprit-elle. Nous avons beau être autorisé, je serais heureuse de ne pas trop attirer l'attention des Égaliseurs.
Le dénommé Soniev secoua la tête.
- Elle n'a pas l'air d'avoir été suivie, elle semblait visiblement trop rapide pour être tracée par un quelconque humain. L'explosion de la porte a bien attiré quelques Lisseurs, mais Vera et Tenshi ont pu les tranquilliser assez facilement.
Elle poussa un long soupir de soulagement, comme si l'annonce de cette nouvelle venait de la décharger de toute la pression qui aurait été sienne si la réponse avait été positive.
Rapidement, elle jaugea la situation : les sang-blancs étaient le nom donné aux Viskandres affamés au point de perdre tout contrôle et de devenir des être faibles et bestiaux ne cherchant qu'à se nourrir par tous les moyen. Du fait de leur courte espérance de vie et de l'évolution plutôt confortable de la société, cela faisait plus de cinquante ans qu'elle n'avait pas entendu parler de cas sévère, c'était dire si la présence de celle-ci était incongrue. Techniquement, elle n'avait qu'a la nourrir pour qu'elle revienne à elle, si son ascendence était si élevé que ne l'imaginait Soniev, peut-être cette désespérée pourra leur apprendre certaines choses sur ce qu'il se passait en ville en ce moment, et à propos de ce qui avait pu pousser une bien-née comme elle jusqu'à de tels retranchements.
Elle se surprit à sourire, elle reprenait enfin un minimum de contrôle sur le torrent qui bouillonnait tout autour d'eux. Peut-être n'était-ce qu'illusoire et que l'espoir accroché au bout de sa ligne s'apparentera à un écueil, ou alors sera-ce le plan jusqu'à la sortie. L'avenir le dira.
- Bien, c'est parfait Soniev, trouve quelqu'un pour la sustenter, c'est une sang-blanche, n'importe qui fera l'affaire. Tu peux disposer, je vous rejoindrais lorsqu'elle s'éveillera. Merci à toi.
L'homme s'inclina légèrement et se tourna vers la porte.
- J'oubliais, l'appela-t-elle. Avait-elle l'air de s'apparenter à une quelconque maison ?
Il s'arrêta, pivota légèrement la tête, puis la secoua.
- Tout s'est passé bien trop vite, je n'ai rien pu déduire.
- Ne portait-elle rien de distinctif ?
Il rougit légèrement.
- Non madame, elle ne portait rien du tout.
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