Menace
Stella
Pendant l’espace de quelques secondes, je ne répondis rien. Seule la voix de mon cousin vient troubler le silence. Après une grande respiration, je reprends la parole.
– Ce n’est rien, ne t’en fais pas !
Meilleur moyen pour que Samuel s’inquiète.
– Ce n’est rien, dans le sens, une araignée a traversé mon salon ou, ce n’est rien dans le sens, il se passe un truc grave, mais je fais tout garder pour moi, parce que je suis une femme forte ?
Cet homme me connaît trop bien. Je doute de pouvoir le calmer.
– Si je te le dis, tu ne paniques pas ?
– Tu te souviens à qui tu parles ?
Dans sa voix, je perçois une note d’impatience. J’ai intérêt à lui répondre vite, avant qu’il déboule arme au poing ou qu’il appelle ses collègues à la rescousse.
– Je ne suis pas en danger immédiat.
– Tu m’en vois ravie de l’apprendre.
Il ricane, mais je sens bien que c’est juste pour chasser la nervosité. Samuel est toujours très protecteur avec moi. C’est un peu le grand frère que je n’ai jamais eu.
– Ce n’est rien. J’ai ouvert un colis que j’ai reçu…
– Et ?
Je soupire.
– Juste une mauvaise blague.
– Mais encore ?
Téléphone à la main, je me lève pour aller dans la cuisine.
– J’ai besoin d’un café.
– Et moi, j’ai besoin que tu me dises toute la vérité.
– Sam, c’est bon… Il n’y a pas mort d’homme. C’est juste une mise en scène de mauvais goût…
Je laisse glisser une dosette dans la machine puis appuie sur le bouton. Une odeur agréable de café se répand dans la pièce. Sans savoir pourquoi ce parfum me rassure. J’attends d’en prendre une gorgée avant de lui expliquer.
– C’est à moi d’en décider.
Il me tira les vers du nez quoi que je fasse. Je reconnais là, le flic à l’œuvre.
– Tu sais que j’ai une boite postale ?
– Pour garder le contact avec tes abonnés… Oui.
Pour m’occuper et ne pas retourner dans le salon tout de suite, je passe un coup d’éponge sur le plan de travail.
– Aujourd’hui, j’ai reçu un colis que j’ai ouvert, et à l’intérieur, il y avait…
Je marque une hésitation. Comment le définir pour ne pas l’inquiéter ?
– Quoi ?
– Une méchante blague…
– Tu peux être plus précise.
À regret, j’abandonne le blanc pur de ma cuisine pour rejoindre le salon. Le parfum de ma bougie ne parvient pas à me détendre. Le pire, c’est que ce n’est même pas l’intérieur du colis qui me stresse, mais le fait d’inquiéter Samuel.
– Disons que dans la boite, il y a une poupée avec une photo de mon visage collé sur le sien. Elle est recouverte de peinture rouge, ou un truc du même genre, dans un carton qui a la forme d’un cercueil.
– Quoi ?
L’exclamation de Samuel me traverse le tympan.
– Envoie-moi des photos, tout de suite. Mieux, tu as la visio ?
J’avais deviné qu’il dirait un truc de ce genre. Comme je ne vois aucun moyen de le rassurer, j’obtempère.
Portable à la main, je fixe l’écran. L’image de mon cousin se dessine. Une mâchoire solide, recouverte d’une barbe de plusieurs jours me signale qu’il a encore trop travaillé. Néanmoins, ses cheveux sont plus courts que la dernière fois, preuve qu’il a pris le temps de passer chez le coiffeur. A-t-il pris ma remarque, au sérieux ?
Ses yeux sombres me fixent derrière ses lunettes. Pour lui tenir tête, je me force à sourire. Son front se plisse. L’opération « être rassurante » tombe à l’eau.
– Tu vois, je vais bien.
D’un geste que je veux le plus normal possible, je repousse une mèche blonde derrière mon épaule.
– Ravi de te voir.
Comme il faudra en passer par là, je penche le téléphone vers l’intérieur du colis.
– Voilà, c’est tout.
Mon cousin reste silencieux. Pour peu, je pourrais entendre les rouages de son cerveau tournoyer à une vitesse folle.
– C’est quoi le truc noir dans le coin ?
Pour ne pas le saisir avec mes doigts, je m’empare du stylo pour soulever dans les airs, le tissu sombre. Alors que je le déploie, je découvre un body avec des zones transparentes sur le ventre et la poitrine. Des coups de ciseau rageux ont abîmé la matière. Pourtant à la base, il devait être neuf. Pas de bouloches ou d’élastiques usés.
– C’est à toi, ce vêtement ?
La question de Samuel me désarçonne. Je mets du temps avant de répondre, parce que l’idée que quelqu’un puisse venir chez moi pour se servir me donne des frissons de terreur.
– Non !
Mes yeux scrutent le sous-vêtement. D’aussi loin que je me souvienne, jamais je n’en ai eu de pareil. En un sens, ça me rassure.
– Tu es sûr ?
– Certaine ! Il n’a jamais été porté avant ce truc. Je ne sais même pas si c’est ma taille.
Sauf que je m’avance sur ce point. Il y a des chances qu’il m’aille comme un gant. Parce que j’ai donné mes mensurations pour mes fans.
Ma bouche est sèche. J’aimerais prendre une gorgée de café, même si c’est impossible puisque mes deux mains sont occupées.
– Bon. Ça doit avoir été acheté pour l’occasion.
J’acquiesce.
Mon regard accroche un morceau de papier qui gît dans le fond du carton.
– Il y a un mot. Je le lis ?
– Montre-moi.
Je tourne le portable vers le colis. Du bout du stylo, j’abandonne le body dans la boite puis ouvre le pli pour en découvrir le contenu.
– Un cadeau comme tu les aimes, salope. Tu ferais mieux d’arrêter tout si tu ne veux pas finir dans cet état !
Première fois que quelqu’un m’envoie une lettre avec des mots découpés dans un journal. On se croirait dans un film.
La voix de mon cousin me tire de mes pensées.
– Une menace…
Je hausse les épaules, oubliant qu’il peut me voir puisque j’ai tourné le téléphone vers moi.
– Ce n’est pas la première…
J’avoue que la mise en scène, je n’y avais jamais eu le droit. Les messages des fanatiques religieux, de ceux qui me reprochent de ne pas leur obéir, ceux qui disent que je ne suis pas une femme convenable, ceux qui me sollicitent pour des services sexuels à qui je ne réponds pas… À croire que beaucoup de monde me déteste. Par chance, ils m’ont oublié peu de temps après avoir envoyé le message.
– Tu as fermé ta porte à clé ?
– Sam, je suis une femme qui vit seule. Bien sûr que j’ai fermé ma porte à clé. J’ai même mis le verrou. Tu veux que j’achète une chaîne ?
Ma blague tombe à l’eau.
– Il faut prendre ça, au sérieux !
Pourquoi je me doutais qu’il dirait ça ?
– Écoute, j’arrive tout de suite.
– Sam ! Tu ne vas pas faire plus d’une heure de route pour venir voir des conneries dans une boite !
Mieux que personne, je sais qu’il est capable de le faire.
– Tu peux dormir chez quelqu’un d’autre ce soir ?
Après avoir réfléchi, je donne le nom de la seule personne qui accepterait de me recevoir à la dernière minute.
– À part aller chez Victorien…
– Mauvaise idée !
Au moins, nous sommes d’accord sur quelque chose.
– Je viens, et je resterais dormir chez toi cette nuit.
D’un côté, je suis heureuse de passer du temps avec lui, mais j’aurais préféré un contexte plus festif.
– Et ton travail ?
– Je me lèverais plus tôt, demain !
Sur l’écran, il m’offre un sourire rassurant. Comment lutter contre lui ? Plus encore lorsque je sais que c’est l’inquiétude qui le fait agir.
– Juste une nuit alors. On ferra une soirée pyjama et on s’empiffrera de sushi devant une série télé nulle.
– J’aurais l’esprit plus tranquille.
Un dernier salut et je raccroche. Mon regard vire sur le colis sur la table. Une forte envie de le mettre à la poubelle me prend, mais je me ravise et décide d’attendre l’arrivée de mon cousin.
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