Une femme forte
Passé de Stella
– Prête pour l’entretien ?
C’est la panique dans ma tête, mais je tente de ne pas le laisser voir.
– Oui, même si je ne me fais pas d’illusion.
Assise sur le canapé, je regarde mon CV désespérément vide.
– Pas besoin de l’apprendre par cœur, c’est ton parcours professionnel, tu ne devrais pas avoir de mal à t’en souvenir.
Je relève les yeux vers Samuel qui m’offre un grand sourire. Avec un soupir, je laisse tomber la feuille de papier sur la table basse.
– Je n’aurais jamais ce poste.
Aussitôt, mon cousin vient s’installer à mes côtés. Il passe la main dans mon dos dans un geste rassurant. J’apprécie son soutien. S’il y a bien quelqu’un qui croit en moi, c’est lui.
– Ne pars pas défaitiste !
– Tu parles, je n’ai qu’un bac pro, je parie qu’il va y avoir des tas de filles qui ont un BTS ou plus…
– Mais aucun d’elle n’aura ce que tu as !
Mes sourcils se froncent.
– Tu vas me dire que je suis jolie et autres…
– Mais non ! Enfin, tu es jolie, mais je parlais plutôt de ton caractère. Tu es une femme forte. Le genre qui sait faire face aux problèmes !
Il se saisit de mes mains.
– Regarde-moi dans les yeux !
Je plante mes prunelles dans les siennes.
– Répète après moi : « je suis une femme forte et déterminée ! Même si je n’ai pas cet emploi, ça ne changera pas ce que je suis. »
Mes yeux se lèvent vers le ciel.
– Tu n’y échapperas pas ! Répète ! Je te veux gonfler à bloc !
– Sam, ce n’est pas drôle.
Je retire mes mains pour me relever.
– Bien sûr que non, ce n’est pas drôle. C’est sérieux. Je crois en toi.
Tout en secouant la tête, je fais les cent pas.
– Stella, je veux juste que tu y ailles en pensant que tu peux réussir à avoir ce poste. Si tu ne l’as pas, ça sera un autre, mais tu en es capable !
Pour m’occuper, je me dirige vers la cuisine. Je mets la bouilloire en route. Dommage qu’il n’y est pas de vaisselle sale, je l’aurais nettoyé pour ne plus stresser pour le futur.
Samuel me suit.
– Procédons de façons méthodiques : est-ce que ça changera quelque chose à ta vie si tu n’as pas ce travail ?
Je retourne vers lui. J’avoue que je ne comprends pas vraiment où il veut en venir.
– Non.
Dans les tasses, je dépose des granules de café.
– Alors donne tout ce que tu as. Tu seras fière de toi que ça marche où non !
Un petit sourire se dessine sur mes lèvres. À croire que le dynamisme et la confiance de mon cousin sont communicatifs.
– Et si ça marche, tu me payeras le restaurant !
– Opportuniste !
– Je tente de te motiver comme je peux.
Nous rions tous les deux alors que je lui tends sa tasse.
En vérité, c’est grâce à Samuel si j’ai quitté la maison où je me sentais si mal. Il a dû batailler pour que je le suive. Ce n’était pas gagné d’avance. Abandonner ma mère a été un déchirement, mais mon cousin avait raison. Si elle souhaitait rester avec mon père, je ne pouvais rien faire pour l’aider. Alors, je me suis enfui avec le contenu de ma valise pour seule possession.
Après un arrêt chez ma tante, j’ai rejoint Samuel en ville. Ici, il me sera plus simple de trouver du travail, ainsi qu’un logement. En attendant, je vis dans le petit appartement de mon cousin en sa compagnie. J’avoue que chaque jour passé avec lui, m’aide à reprendre confiance en moi. Je me dis que je peux aller de l’avant. Quoi qu’il m’arrive, il sera toujours présent pour me donner un coup de main.
– Tu vas porter quoi ?
Moment de doute. Pire que pour un rendez-vous galant. Là, je n’aurais qu’une seule chance de séduire.
– Euh…
Vite une gorgée de café pour trouver du courage.
– Deux points sont importants : un que tu sois confortable dans tes vêtements, deux que tu es l’air professionnel.
– Ce n’est pas l’inverse ?
Il secoue la tête.
– Non, il faut avant tout que tu te sentes bien pour ensuite avoir l’air professionnel. Tant que tu n’y vas pas avec un gros pyjama en pilou-pilou, c’est bon.
– Avec une nuisette, ça passe ?
Je prononce ces mots avec un petit sourire narquois.
– C’est toi qui vois. Sur un malentendu, ça pourrait passer.
D’un air déterminé, je pose ma tasse sur la table.
– Je vais te montrer mon idée de tenue…
Sans plus de détail, je me glisse dans la chambre de mon cousin. Il a accepté de me prêter une partie de son armoire. J’ai fait les boutiques pour me composer une garde-robe plus adaptée au métier de secrétaire.
Après quelques instants, je quitte la pièce. J’ai passé une jupe noire fourreau qui m’arrive au-dessus du genou. Un chemisier à rayures blanches avec une veste sombre termine la tenue. Sans savoir pourquoi je me sens gênée alors que mon cousin me détaille d’un œil expert.
– C’est parfait. Je ne vois vraiment pas pourquoi tu te fais du souci.
– Est-ce que je garde le chemisier ?
– Tu veux le retirer ? Ça ne ferait pas tendancieux ?
Je lui jette un regard noir.
– Les rayures, ça passe ?
Le haussement de sourcils de Samuel me fait comprendre que je me fais du souci pour rien.
– Pourquoi tu as peur que le recruteur préfère les pois ?
Je grimace.
– Tu es parfaite comme tu es, Stella ! Si tu n’es pas choisi, ta tenue ne sera pas en cause.
Ses mains se posent sur mes épaules. Sa chaleur me traverse. Je ferme les yeux pour prendre une grande respiration.
Le bruit d’une moto qui pétarade dans la rue en contrebas me ramène à la réalité. Pour la détente, on repassera.
– Tu y vas ! Tu ne penses à rien d’autre qu’à tes compétences, et après, on verra le résultat !
Je hoche la tête.
– Tu veux que je t’emmène ?
– Non, je vais me débrouiller seule. En plus, marcher me fera du bien.
Après tout, j’ai rendez-vous dans le centre-ville et non dans la zone industrielle.
Une dernière gorgée de café, puis je chausse mes escarpins vernis, prête à conquérir le monde ou juste sortir dans la rue.
– Force ! cria Samuel en frappant son poing dans la paume de son autre main.
Pour donner de la puissance à ses mots, je tente une sorte de grognement que je veux bestiale. Le résultat est mitigé, on croirait un chat qui a une boule de poil coincé dans la gorge.
– Si tu as le poste, tu me payes le resto ! Si tu ne l’as pas, c’est moi qui te le paye !
Appuyé contre le mur, Samuel me regarde tout sourire.
– Tu veux me pousser à rater l’entretien pour profiter qu’un resto gratuit.
– Tu n’as pas envie d’être une femme entretenue, déclara-t-il avec un ricanement.
Il a raison sur ce point. Hors de question que je me retrouve dans la situation de ma mère. D’un pas décidé, je quitte l’appartement. J’ignore si je vais briller ou me vautrer, mais au moins, je vais essayer.
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