Stella

Difficile de faire semblant de ne pas l’avoir vu. De même, je ne peux pas m’enfuir. Sauf que se retrouver devant lui fait vaciller mes résolutions. Se montrer ferme est bien plus simple au téléphone ou par messages.

– Salut, Nick.

Je pince les lèvres dans un mouvement défensif. Il me fait un petit sourire. Pas celui du genre charmeur, mais celui de la personne vraiment heureuse de te rencontrer. C’est pire. S’il se la jouait dragueur, ça passerait mieux.

– Ça me fait plaisir de te voir.

– Tu as meilleure mine…

J’ignore pourquoi je prononce ces mots. Peut-être parce que je ne veux pas être méchante alors qu’il ne l’est pas avec moi. Ma tête est vide, mes pensées s’embrouillent. Je le fixe. Ses cheveux bruns sont plus longs que la dernière fois. Quelques mèches retombent sur son visage, en caressant la courbe de sa mâchoire. Il a toujours sa barbe de plusieurs jours qu’il entretient pour donner un effet négligé. Néanmoins, les cernes sous ses yeux sont moins marqués, et les traits de son visage moins tendu.

– Et toi, tu es toujours aussi observatrice…

Je suis surprise. Je m’attendais à ce qu’il me complimente sur ma beauté comme le font beaucoup d’hommes.

– Je t’offre un café ?

– Non, j’attends quelqu’un.

De la tristesse passe dans ses yeux, mais il ne fait pas de remarque.

– Je comprends.

Un serveur s’approche.

– Excusez-moi, monsieur, madame, puis-je vous servir quelque chose à boire ?

Logique. C’est un lieu de consommation et je ne suis pas censée rester au milieu du passage, même s’il n’y a pas beaucoup de monde de présent.

– Je prendrai le café du mois.

Je vais finir par m’installer à la table de Nick, en attendant mon cousin.

Alors que le serveur va repartir, celui-ci intervient.

– Non, pas le café du mois. C’est à la noix de coco.

Bouleversée par la rencontre, je n’ai même pas jeté un coup d’œil à la carte. Par chance, Nick a été réactif. Il connaît mes goûts, ça me fait bizarre.

– Un latte vanille, ça te va ? Ou tu préfères au caramel ?

L’espace d’un instant, je reste silencieuse. Je ne m’attendais pas à ce qu’il me propose une boisson.

– Un latte vanille m’ira très bien.

Le serveur acquiesce avant de partir.

Pourquoi fait-il que Nick me désarçonne autant ?

– Tu hésitais toujours entre les deux, se justifie-t-il. La dernière fois, tu as pris caramel, et tu t’étais promis de choisir vanille lorsqu’on reviendrait.

Dire que je ne me souviens même plus de ça… À croire que j’ai rangé certains de mes souvenirs sous clé pour ne plus y penser. Peut-être parce que me rappeler ses bons moments me touche trop.

Maintenant, je suis obligée de m’asseoir à la table de Nick, je ne peux pas me sauver comme une malpropre. Surtout pas après qu’il eut été si gentil. En plus, il n’a pas l’air de le faire en espérant quelque chose de moi. Juste parce qu’il est heureux de m’avoir croisé.

– Je suis contente de te revoir. J’avais envie de te parler, mais je ne voulais pas te déranger…

Installée sur la chaise qui lui fait face, j’attends la suite. Il n’a pas cherché à me contacter, il respecte mes souhaits. Nick est calme, il parle d’une voix posée. Un peu comme s’il était plus détendu qu’avant. Je prends plaisir à l’écouter, plus que je ne l’aurais imaginé.

Le serveur dépose ma boisson sur la table avec un sourire. Aussitôt, Nick lui tend un billet. Il s’en empare, pour aller chercher la monnaie.

– Est-ce que tu veux bien m’accorder un peu de temps ?

J’acquiesce tout en prenant une gorgée de mon latte. Le goût doux et sucré réveille mon palet.

– Je t’écoute.

Il me fixe, sans parler. Est-ce qu’il est en train de réunir ses idées ? J’en profite pour l’observer à mon tour. Il porte une chemise beige qui met en valeur sa peau mate. Le tissu tendu sur ses bras et son torse m’apprend qu’il n’a pas arrêté de fréquenter la salle de sport. L’espace d’un instant, j’erre dans mes souvenirs. Je crois me rappeler les instants où je me blottissais contre lui. La sensation de son corps sur le mien. La chaleur de sa peau qui touchait la mienne. Je chasse ses pensées. Ce n’est pas le moment de se laisser aller.

– Après ce qui s’est passé…

Des pas résonnent et je tourne la tête en direction de l’entrée. J’y vois se dessiner la silhouette de Samuel. Je lui fais un signe avant de me rappeler que je suis à la table de Nick. Celui-ci ne dit plus un mot.

Mon cousin s’arrête au comptoir avant de venir me retrouver.

– Désolé pour le retard. J’étais coincé par un convoi exceptionnel.

J’entoure ma tasse de mes mains. À présent, qu’il m’a vu avec Nick, je parie qu’il va me taquiner en sortant. Je l’imagine déjà me dire « tu as trouvé un beau mec avec qui discuter en m’attendant. » Ensuite, il va me poser plein de questions jusqu’à ce que je lui avoue la vérité.

Le regard de Samuel va de moi à Nick. Sans y être invité, il s’installe entre nous deux. Surprise, je l’observe.

– Bon, maintenant que je suis là, nous pouvons commencer.

Dire que j’ai oublié que ce n’était pas une visite pour s’amuser. D’ailleurs, le colis, les menaces et autres sont loin dans mon esprit. Tout ça, à cause de Nick. Pourquoi faut-il que je l’aie croisé ici ? Il fait ressortir des souvenirs que j’avais enfouis en moi. Une façon de me protéger. Comme je l’ai toujours fait.

– Je vois que vous avez déjà fait connaissance…

Je reviens au moment présent. La chaleur de la tasse brûle mes doigts, je suis obligée de les retirer. Dommage, parce qu’au moins, j’avais les mains occupées.

– Du coup, Stella, j’ai proposé à monsieur Deviroy de t’accompagner dans tes salons…

Je sors de ma torpeur.

– Quoi ?

Par chance, Nick est dans le même état de sidération que moi.

– Attends, c’est toi que je dois protéger ?

Pour le coup, il ne fait pas semblant. Il est sincère dans son étonnement.

C’est au tour de Samuel de ne pas comprendre.

– Oui. Pourquoi je vous aurais réuni ici, sinon ?

Le serveur coupe court à notre discussion en déposant le café de mon cousin devant lui. Je crois que nous avons tous envie de parler en même temps, mais du coup, plus personne n’ose rien dire.

Je décide de prendre l’affaire en main.

– Pourquoi tu demandes à Nick de me protéger ?

– J’ai changé de métier, m’explique celui-ci. Je voulais te le dire…

D’un regard, je le fais taire. Ce n’est pas le moment.

Samuel me dévisage sans comprendre.

– Mais… Vous vous connaissez ?

Instant de vérité.

– Oui. C’est mon ex !

Les mots sont sortis tous seuls. Nick me jette un regard de chien battu. Je déteste quand il fait ça. Plus encore parce que ça me touche et que l’envie me prend de le consoler.

– Attends ! Explique-moi ! Vous vous êtes connu quand ?

On en vient au moment fatidique. Le désir de fuite se fait plus pressant, mais ça n’arrangera pas mes affaires. Alors je me redresse et bois une grande gorgée de mon latte. Au train où vont les choses, je me dis qu’il va m’en falloir un deuxième. Samuel me fixe toujours.

– D’accord, je vais t’expliquer.