Le Noeud du Présent

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- Vite, Chang ! Ferme le portail, fissa ! Je n’ai pas encore prévu de système d’urgence et si une de ces machines a la sombre idée de venir nous rejoindre…

- Argh !

- Bakanga ! Shoot, shoot !

- Je l’ai vu ! Hors de question que je tire quoi que ce soit ici, dans mon labo ! Et mes recherches ? Y as-tu pensé ?

- Mais faites quelque chose ! Cette saloperie est en train de me lacérer la jambe ! Refermez cette merde !

- Tu as entendu le monsieur, Chang ? Ferme le portail… pas tout de suite… quelque chose me dit qu’on pourra tirer des trucs utile de sa carcasse. Son tronc tout particulièrement. Et… un autre maintenant ! Ferme, ferme ! Tant pis !

- Au secours !

- Fermez-là, Verne !

- Whippa ! Araganda !

- Qu’est-ce qu’il veut lui ? Aaaaaah ! Ma jambe, ma jambe ! Espèce de tar…

- Surveillez votre langage dans mon laboratoire, le Verne ! Chang ! Fracasse la tête de cette machine, vise bien ! J’ai pas envie d’éponger le sol. Là ! Raté ! A droite !

- Burbin bip ! Yah !

- Vous êtes tous complètement fous !

- Silence ! Arrêtez de crier ! Arrêtez de crier, tous autant que vous êtes ! C’est bon ? Bien ! Il a son compte. Vous, Verne, montrez votre jambe.

- J’ai mal…

- Fermez-là et montrez ! Non mais… dites donc, vous vous fichez du monde ? Il n’y a rien du tout, à peine quelques griffures et un bleu ! Et vous prétendez être un Verne ?

- Mais arrêtez avec ça ! On ne choisit pas sa famille, espèce de taré ! Je vous demande à vous si vous êtes digne de Fabio Sanchez ?

- Et c’est qui ça ?

- Une étoile montante dans le milieu des cabarets parisiens qui…

- Oubliez ma question et allez mettre un pantalon. J’ai tout sauf l’envie de continuer de contempler vos mollets poilus.

- Hein ? Mais pourquoi je suis…

- Ne vous fatiguez pas, je n’ai toujours pas réglé le problème de dissolution moléculaire des textiles. Servez-vous dans la garde-robe. Vous trouverez forcément mieux que vos abominables nippes.

- Merci…

- C’est ça. Chang ! Amène la carcasse, on a du boulot et ce machin ne va pas se dépiauter tout seul.

- Wetash, manitou.

- Voyons… Intéressant… très intéressant, curieux aussi… L’Homme n’a toujours pas compris qu’il est mauvais de se penser l’égal du grand barbu. Regarde-moi ça… Un coeur de métal, finement ouvragé, moulé dans le bronze et dissimulant… là… rien de moins qu’une mini-turbine ionique photosensitive. Une petite merveille en somme ! Étonnant pour un futur aussi archaïque. Visiblement, la vapeur et l’éther ne sont pas leurs seules sources énergétiques. Quelle technologie étonnante et à mon avis, très mal répartie… pour changer, ai-je bon, M. Verne ?

- Pardon ?

- De toute évidence. Ce qui m’intrigue d’autant plus réside dans le soin apporté à la confection de cet automate. J’en ai aperçu une bonne vingtaine dans le bâtiment et j’ai bien du mal à les imaginer tous conçu avec le même soin. Surtout de la main de tocards pareils.

- Jowlenin, miski benzi chibna looble…

- … bazeni gwebb, je sais. Il n’empêche que j’imagine mal des primates de leur tempe faire preuve d’une telle délicatesse, surtout auprès d’autant de machines qu’il n’y a de tartufes. Verne !

- Quoi ?

- Changez de ton ? Je vous rappelle que vous vous êtes incrusté, non que cela vous choque visiblement.

- Oh, vous savez, le monde est tellement secoué maintenant, enfin… plus tard, je suppose… que changer d’air est un peu mon mardi midi. C’est quoi cet engin là-bas ?

- Un ordinateur. Rendez vous utile dans ce cas. Les “automates”, comme vous les appelez, vos robots là. Ils sont nombreux à Paris ?

- Cela dépend où vous trainez. Si vous furetez entre les cuisses de la Dame ou les vieux ponts autour de Rivoli, on en croise pas mal. Mais pour le reste… bah, ce n’est pas comme si on se souciait des basses classes. Les plus débrouillards s’en sortent, les autres crèvent sur les pavés.

- Pourquoi je ne suis pas surpris… Et je suppose que ça, la machinerie planquée dans ces engins, n’est pas répandue ?

- Pour sûr que non ! C’est d’ailleurs la première fois que je vois leurs viscères. Ces modèles sont quasiment indestructibles. Les généraux s’en servent pour charger les armées ennemies depuis leur invention. Mais, qu’est-ce que c’est ?

- J’ai pas la patience de vous l’expliquer, pas plus que vous n’en aurez assez pour écouter mon assistant. Sachez juste que le coeur de ces “viscères” peut alimenter un immeuble entier en électricité pour deux bonnes années.

- Mazette !

- J’imagine que vous ignorez leur processus de fabrication.

- Eh bien…

- C’est bien ce qu’il me semblait. Dommage, enfin, c’est pas comme si je n’avais que ça à faire. Chang ! Il est temps de changer d’air, ajuste de nouvelles coordonnées. Je veux un champ plus stable, moins farfelue de préférence. Les probabilités se doiv…

- Attendez une minute ! Et… et moi ? Je deviens quoi, là ? Renvoyez-moi chez moi !

- Ah… Vous y tenez vraiment ?

- Comment ça si j’y tiens vraiment ? Mais pour sûr !

- Arrêtez avec cette expression.

- Et vous cessez de me prendre pour ce que je ne suis pas !

- A savoir ?

- Je… Renvoyez-moi à mon époque, c’est tout !

- Pourquoi être si empressé ? N’importe qui voudrait voir le monde d’avant. Avant la Chute, si j’ai bien compris, où tout était plus décadent, sous l’opium et l’absinthe, selon vos clichetons. Vous êtes à mille lieux de la réalité, si ça peut vous faire un scoop. Sans compter que votre époque est quand même un chouilla meilleure que la mienne. Gouverné par des chimpanzés, mais moins chargée de toxine.

- Vous n’avez pas idée du monde dans lequel je vis…

- Si justement. Je commence à m’en faire une idée bien solide. Avec un peu plus d’éthique, moins de violence inutile, de mabouls en liberté et une technique mieux répartie, vous pourriez vraiment être un avenir envisageable. Si vous les probabilités dépassaient la barre des 7%.

- Non ! Vous ne vous êtes frotté qu’à la haute et aux rapiats bien costumés, pas aux… comment ça 7% ?!

- Inutile de meugler, l’ahuri. Je parle ici de la probabilité, la potentialité si vous préférez, pour que votre avenir, votre temps, ne survienne. En l’état c’est mal barré, vu nos décisions environnementales.

- Ce qui signifie que…

- Shambara, katapong !

- Ah ! Qu’est-ce qui lui prend à lui ?

- Ne faites pas attention, je l'ai ra… Peu importe, ne faites simplement pas attention. Pour terminer votre phrase, oui, cela signifie que de mon point de vue, vous avez peu de chance de naître ou exister tel que vous êtes planté devant moi.

- Mais... c’est horrible !

- Tout est relatif.

- Quel enfer !

- Parlez pour vous.

- Ah, c’est le pompon ! Et dire que je m’inquiétais pour l’inquiétude de la rédaction ou cette foutue lettre mystérieuse, et voilà que j’apprends que je n’existe même pas ! Quina merda !

- Tiens ? Vous parlez catalan, vous ? Curieux… Elias m’a pourtant bien signifié que le français avait retrouvé ses lettres de noblesse… Chang prends en note.

- Mais oui, bien sûr ! Le français, la langue absolue ! Pff… Dès l’instant où l’on impose une langue, un dialecte ou un patois à une population, vous pouvez être sûr qu’il en naitra une chiée d’autres pour contrer sa suprématie. De toute façon, qu’est-ce que ça change ? Je n’existe pas ! Voilà ! Magique ! Pouf ! Je n’existe pas et vous non plus, sans doute. Hein ? Qui dit que je ne suis pas dans un passé potentiel, hein ? Hein ?

- Chang.

- Wetash.

- Qu’est-ce qu’il y a enc… AÏE !

- Vous êtes calmé, maintenant ? Ca viendra. Que vous soyez mon avenir ou non, vous existez dans votre temps, votre réalité. Hum... Au lieu de vous imaginer à jouer les funambules sur la ligne rouge d’une réalité, voyez plutôt cette situation en parallèle de plusieurs milliers d’autres lignes, chacune bardée de personnes comme vous et moi, enfin surtout vous, cheminant sur leur voie, inconscient de l’existence de ces autres lignes, mais toute rattachée ici au même noeud : mon présent, qui à 7% de chance d’être votre passé. Ma machine permet de voir ces lignes et de m’y déplacer plus ou moins librement, suivant leur probabilité d’existence, en corrélation avec l’évolution de mon époque. Ainsi, si cette probabilité arrive à zéro, ou que mes gouvernants prennent une autre voie, je serai dans l’incapacité de remettre la main sur votre temps, sans pour autant vous rayer du monde des vivants. Nous serons, j’imagine, sur des plans d’existence distincts.

- Je vois.

- Vu votre tronche, non. Je n’en attendais pas plus d’un dessinateur du Ricaneur Grandiloquent.

- Désinvolte !

- Pareil. Contentez-vous de savoir, que vous êtes un être de chair, d’os et de sang. Pour l’âme, je n’en sais trop rien, mais si c’est comme l’infinité de l’univers ou ce Dieu mégalo, alors c’est du vent. Que vous soyez à votre époque, à gribouiller vos carnets ou ici, dans la mienne, ne change pas la factualité de votre existence, aussi minable soit-elle.

- Tss…

- Cela étant dit, puisque vous y tenez tant, je vous rouvre votre futur. Pour une raison qui m’échappe, il est encore stable.

- J’espère bien… merci, au fait.

- J’imagine que c’est normal. J’ai tout sauf envie de me coltiner un cafardeux temporel jusqu’ad nauseam.

- Non, je veux dire, merci de m’avoir sauvé la vie.

- Hum ? Oh, vous parlez des automates ? Désolé de vous décevoir, je pensais avant tout à ma vie, qu’à votre sécurité.

- Evidemment… Pourquoi vouliez-vous aller à ma rédaction ?

- Hein ? Ah, pour collecter des infos qui m’étaient, de toute évidence, dissimulées. Sans compter que je voulais embarquer un souvenir pour… un de vos très anciens collègues. D’autres questions ?

- Non… Si ! Si, est-ce que vous comprenez quelque chose à cette lettre ? Je l’ai lu près de cinq fois et c’est à peine si j’y comprends un traître mot. Je pense qu’il s’agit d’un message crypté complexe, par permutation vous voyez le genre ?

- Oui. Donnez. … Cinq lectures et vous n’aviez toujours pas pigé, hein ? Vous êtes stupide, vous aussi ?

- Je commence à le savoir ! Si c’est si simple, dites-moi de quoi ça parle !

- Doucement, le simplet. L’auteur de votre message ne s’est pas foulé. Il lui a juste suffi de passer de l’autre côté du miroir pour vous déboussoler. Un simple reflet pour les plus empotés et le tour est joué. Si vous vous demandiez pourquoi les macaques qui ont mis au point les automates vous snobaient, vous avez la réponse.

- Quoi ? C’est ce qui est écrit ?!

- Bien sûr que n… Vous êtes sérieux ? Nom d’un chien… Je vous la fait courte, d'un parce que ça l’est, mais très ampoulé, deux parce que sinon, vous allez m'emmerder au moindre mot qui vous échappera. Et il y en a, j'en suis sûr, beaucoup. Donc, votre zouave a envoyé cette missive aux membres de chaque rédaction pour tous vous inquiéter. Il prétend qu’un gros coup est en préparation du côté des Pyrénées parisiennes et que vous, Verne, êtes directement concerné. Rapport avec votre fiancée, séquestrée. Et c’est signée d’un nom à la con : la Chouette de Novembre.

- Qu-que… Quoi ? La… La Chouette ? F…

- Ouais, la Chouette de Novembre. M’a tout l’air d’être un guignol qui joue les justiciers. J’imagine que chaque époque en a un…

- Enora ! Ma Enora est séquestrée ! C’est une blague !?

- Pas de ce que j’ai lu.

- Renvoyez-moi, merde ! Il faut que j’aille la sauver !

- Vous ne savez même pas où…

- Je trouverai ! Et filez moi votre pétoire !

- Mon fusil à cosmo-impulsion ? Certainement pas ! Je ne vous donnerai pas un cricket pour vous défendre. En fait, j'ai une meilleure idée : je viens.

- Ce ne sera pas nécessaire.

- C’est quoi ce changement de ton ? Dites tout de suite que ça vous emmerde !

- Ben, c’est un peu le cas. Vous êtes un beau salopard, moins aimable qu’un battant de chiotte et plus visible qu’un chérubin dans une orgie libertine. En plus, vous n’aviez pas l’intention de revenir, alors pourquoi avoir… ?

- Je vous retourne ces beaux compliments, avec des termes de mon époque, plus concis : allez vous faire foutre, vous aussi. Je viens, c’est tout. Je n’avais pas tout vu, votre rédaction s'inquiète d’après vos dires et il me manque encore quelques éléments pour mon wiki.

- Votre wiki ?

- Ne m’interrompez pas ! Je veux voir comment vous gérez les crises de ce genre, votre armement, la faune mal torchée des banlieux insalubres et au besoin, viendrez mettre mon grain de sel. Votre rédaction se trouve rue de la Cerisaie ?

- Jamais entendu parler de cette rue…

- Où est votre rédaction, alors ?

- Euh… près des Tuileries, dans la rue du Mont Thabor.

- Eh bien, il y a eu de l’avancement.

- Si vous le dites.

- Je vous l’ai dit et je ne le répéterai pas. Voilà ! On est partis.

- Quoi, déjà ?

- Jarnicoton… Pourquoi tout le monde réagit de la sorte à chaque fois que je la sort ? Oui, tout de suite, maintenant. Vous voulez revoir votre fiancée, oui ou merde ?

- Oui, mais…

- Oubliez les “mais” ! Arrêtez de commencer des phrases pour ne jamais les finir, chien de gratte-papiers ! Traversez le portail, je vous suis. Non, Chang, tu restes ici ! J’aurai suffisamment à faire.

- Frobisher ah walouf.

- Il a dit quoi ?

- Faites pas attention et allez-y !

- Vous devriez penser à vous changer, je vous assure. Avec votre accoutrement, on va vous griller dès…

- Je ferai ça sur place. Vous devez bien avoir des fringues en rabe dans votre gourbi. Bien, maintenant traversez ! Normalement, nous devrions arriver pile derrière vos locaux.

- Normalement ?

- J’ai dit, allez-y !

Il y a un pop, suivi d’un autre et les deux hommes ont disparu.

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