... Jour de Colère
- Déployez-vous et ouvrez le feu !
Les mitrailleurs crépitent, les tirs déchirent l’air. En moins de deux secondes, les apparences faussement soignées de la tour d’AstraCorp se changent en tableau d’Otto Dix. Les cris civils grésillent dans la respiration saccadée des canons, vomissant la mort depuis tous les coins du parking.
Sa capuche relevée, son œil synchronisé, Martha déplie son arme automatique et tire à son tour sur les véhicules encore stationnés ou cherchant vaille que vaille à se tirer de ce traquenard.
- Allumez les drones ! beugle-t-elle dans l’émetteur cybernétique. Et dégommez les foutues postes d’observation !
Un orgue de Staline la dépasse, fonce à pleine balle à travers le portique, le réduisant en miettes. Dans son sillage huileux, résonne la clameur des vigiles surclassés. Martha les attend de pied ferme ceux-là. Ses paumes brûlantes se plaquent au sol et commencent à liquéfier le goudron, qui se met à couler tel un magma sinistre au bas de l’accès pentu.
L’orgue se met en branle. D’un accord parfait, il atomise une, deux, puis trois tours de guets à coups de roquette. La panique gagne en puissance à mesure que les débris pleuvent sur l’asphalte, les employés zélotes et les vigiles abasourdis.
Martha débute son ball-trap. Elle n’aime, ni ne cautionne la mise en danger, voire carrément mise en décès, des vie de civils, mais les mots doux ou les chevaux de Troie ont fait leur temps. Puisque leurs ennemis n’hésitent pas à violer la sanité des innocents, il n’allait pas se priver de leur renvoyer l’ascenseur et les exposer comme il se doit.
- Ne tirez pas sur les civils ! Butez les vigiles, leurs drones et toutes les saloperies qu’ils vont nous balancer à la gueule, mais ne touchez pas aux civils !
D’une rafale, elle abat une pleine de grappe de vigiles en train de déverrouiller leurs armes. Un homme pourvu d’une arme devient un monstre dès l’instant où l’idée d’occire son semblable semble un acte de raison. Ce monde est rempli de monstres. Martha en est un, ses Pandas aussi. Mais pour le bien des innocents, elle peut user de sa nature pour au moins ranimer la flamme de l’humanité.
Alors, comme les autres, elle fait feu. Encore et encore, jusqu’à ce que son monde impur retrouve un semblant de sérénité.
L’orgue entame sa dernière fugue, tentant de lécher la Tour de flammes meurtrières, avant d’être soulevé dans les airs et envoyé voler hors du parking. En plein sur le carrefour fréquenté. Il y explose au milieu d’un concert d’applaudissements métalliques et de hurlements chaleureux.
- Alors, c’est parti, marmonne Martha à haute voix. Ne vous retenez pas et abattez-moi ces enfoirés !
- C’est pas vrai !
Andrex n’en croit pas ses yeux. Ses trois moniteurs flashent et pioupioutent de tous côtés. Autour du Donjon, les points rouges se multiplient, à mesure que les explosions secouent la structure de plus en plus fort. Par chance, le champ protecteur s’est activé sitôt la première salve tirée. Il n’empêche que la situation est sans pareille.
S’attaquer ainsi au siège d’AstraCorp, en plein jour, au nez et à la barbe de tout le monde, ce n’est pas de la hardiesse ou du courage, mais du suicide. Sauf que…
Andrex se masse les paupières. Assis derrière son terminal depuis plus de huit heures maintenant, il commence à fatiguer. Ce n’est pas tout de suite qu’il pourra cependant s’offrir un moment de repos, pourtant ô combien mérité.
Ses doigts s’agitent sur le panneau de contrôle, verrouillant les accès, activant des drones supplémentaires. Lorsque son index effleure, l’icône de l’alerte noire, il hésite.
- Pourquoi hésitez-vous ? fait une voix derrière son dos.
Il se retourne et manque de choir de son fauteuil à la vue de la visiteuse, qui, au regard de la situation, n’est pas aussi improbable que son esprit peine à l’admettre.
- Madame… Madame la Présidente ? balbutie-t-il. Qu’est-ce que… C’est un honneur, mais…
- Epargnez-moi vos salamecs et vos courbettes, le coupe-t-elle brutalement. Résumez-moi la situation.
- Oui, bien sûr, très bien. Je veux dire… tout de suite, madame.
Il n’en revient pas. La PDG d’AstraCorp, la troisième femme la plus puissante au monde est ici, dans sa modeste salle de surveillance en foutoir. S’il avait su qu’il, enfin qu’ils recevraient une telle invitée d’honneur, il aurait fait un minimum de rangement et obligé ses collègues à faire preuve de tenue. Plus que d’avoir les bottes sur les claviers tactiles, des frites graisseuses étalées sur les tables, des allusions graveleuses plein la bouche.
Heureusement, s’il en est, la situation oblige le moindre clampin planté ici, à écarter les doigts de la nouille et se ruer à son terminal. En qualité de responsable “surveillance et contrôle”, Andrex est le rouage qu’il se plaît à considérer essentiel dans la moindre crise. L’heure est venue d’en faire la démonstration.
- Les Pandas nous attaquent de tous les côtés, annonce-t-il après s’être raclé la gorge. Ils encerclent le bâtiment, détruisent les dispositifs de surveillance et s’en prennent à nos soldats. Plusieurs camions pourvus de lances-roquettes ont forcé nos postes peu après le début des hostilités et entrepris de détruire nos mirad… je veux dire postes de surveillance. Mais ce n’...
- Combien de morts ?
- Pardon ? Oh… Il est impossible de savoir pour le moment. Nous essuyons de lourdes pertes, personne n’aurait prévu qu’ils se mettent en tête de nous attaquer de front. Encore moins, en prenant le risque de mettre la vie de civils sur la balance.
- Si, moi, déclare la présidente d’une voix glaciale. Les probabilités étaient faibles, mais existantes. Ils sont aux pieds du mur et lancent un ultime assaut pour nous faire tomber. Quels idiots…
La présidente croise les bras en reniflant. Andrex reste silencieux, n’osant même relever la tête dans sa direction. Il l’imaginait moins grande. Plus jeune aussi, non que sa peau lisse, quasi-parfaite, ne fasse d’elle une vieille bique. Il réprime toute pensée parasite et joue la carte du stoïcisme.
- Déclenchez l’alerte noire, reprend-elle finalement. Activez aussi la Cage.
- Quoi, la Cage ?! s’exclame Andrex, oubliant toute déférence. Sauf votre respect, madame, n’est-ce pas un peu trop exagéré pour… Enfin… les SuperZ sont déjà en train de se…
- Je ne prends pas de risque, le coupe-t-elle. Obéissez ou quittez cette pièce.
Il déglutit. Tout, mais pas ça. Il n’a pas monté chaque degré de la hiérarchie, léché le moindre pied influent pendant ces quinze dernières années pour finir à battre le trottoir comme un malpropre. D’un index, il presse la commande de l’alerte noire, puis entreprend d’activer la Cage.
Si dieux il y a, qu’ils leur viennent en aide…
L’onde de chaleur projette les soldats contre la camionnette. Ils ne se relèvent pas. L’un d’eux tente de ramper vers son arme, mais Martha lui écrase les phalanges de sa botte crantée, puis l’envoie sucer des racines, d’un coup de crosse sur le crâne.
- Elrin ? Elrin, t’en es où ? demande-t-elle dans l’émetteur, donnant la nette impression aux éventuels curieux les plus détachés, l’impression qu’elle tchatche avec le vent.
- Ni mal, ni bien, répond la voix crachotante de son second. Je me suis débarrassé de toutes les tours d’observations. Parfois, j’ai pu épargner leurs occupants, mais d’autres fois…
Il ne termine pas sa phrase. Martha souffle, jusqu’à en cracher un mollard.
- Ils avaient choisi leur camp, continue-t-elle. Continuez de pilonner c’te tour. Quand nos agents dormants entreront dans la danse leur fragile illusion d’omnipotence s’effritera en même temps que leur prétentieuse verroterie.
Elrin ne répond pas, seul le vacarme de l’affrontement résonne dans la communication.
- Elrin ? Toujours là ?
- Je suis là, finit-il par répondre. Juste… il se passe quelque chose au sommet de la Tour et… merde ! Psy est ici !
Martha grogne, mais s’en doutait. Un de ses camions avait déjà été victime de sa génomité. Reste qu’elle n’aurait pas pensé que le plus puissant et instable des SuperZ accoure aussi vite à la rescousse de ses géniteurs.
- Tu sais ce qu’t’as à faire, dit-elle. Attire-le de mon côté, on va tâcher de se débarasser de ce salopard une bonne fois pour toute.
- Reçu.
La communication se coupe. Martha peut laisser libre cours à sa colère. Une nouvelle vague de chaleur embrase le parking, obligeant les Pandas à se mettre hors de portée. Ils ne connaissent que trop bien leur commandante pour savoir qu’elle va avoir besoin de place et surtout pas de boulets dans les pattes.
Une zébrure bleutée fissure le ciel se parant soudainement d’un voile nébuleux. En levant la tête Martha note que les éclairs se concentrent sur l’antenne au pic de la Tour. Quelque chose se prépare.
- Imo… marmotte-t-elle en augmentant la pression thermique. J’espère que je peux compter sur toi et tes... fous furieux... J’espère, sinon nous sommes tous morts.
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