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- Non, on reste tous les deux plantés là, à se regarder comme des mérous, jusqu’à ce que je vous oublie et décide d’aller nourrir l’âne Trotro cryogénisé au fond du couloir. Évidemment qu’on descend, s’exclame Sanchez en pressant une enième fois la lettre G.

- Toujours aussi agressif. Créatif aussi. Vous me changez de tous ces pandas, si terre à terre, si limités, si…

- Je ne vous ai pas demander de déblatérer votre misère du monde, l’interrompt Sanchez tapant du pieds. D’ailleurs, je ne vous ai rien demander. Taisez-vous.

Et c’est ce qu’ils font. Pas longtemps cependant, car agacé d’oublier à répétition la présence d’Imo, Sanchez brise bien vite le silence.

- Comment ça marche exactement ?

- De quoi ? L’ascenseur ?

- A se tordre de rire. Je parle de votre invisibilité. Votre anomalie, comme vous l’appelez.

- Eh bien ?

- Vous êtes sourd ? Je vous ai demandé comment ça fonctionnait ! Comment est-il possible que vous disparaissiez toutes les dix secondes ?

- Bwof… L’intensité varie en fonction de la durée pendant laquelle je suis vivant. Alors dix secondes, dix secondes, c’est très variable.

- Ce n’est pas la question que je vous ai posé.

Imo soupire. Il faut dire que c’est principalement celle qu’on lui adresse dès lors qu’on se force à le fréquenter. Toutefois, rares sont ceux à pouvoir l’encadrer suffisamment longtemps pour accepter la réponse.

- Je n’en ai aucune idée. Comme pour mon immortalité, c’est juste comme ça.

- Beaucoup de “comme” dans votre phrase pour pas grand chose.

Imo hausse les épaules.

L’ascenseur passe tout juste le niveau Francine. Bizarre. À croire que plus ils s’enfoncent dans les méandres sous-terrains, plus la hauteur sous plafond augmente. Un choix architectural discutable s’il en est.

- Toute particularité, anomalie ou élément commun trouve une origine quelque part. Mes avis que vous ne faites pas exception, continue Sanchez.

- Vous êtes bien humain pour penser un truc pareil. Un esprit étriqué se raccrochant au mystique ou, dans votre cas, à la partialité physique. Cela dit, vous n’avez pas tout à fait tort. Il y a bien eu un élément déclencheur, mais…

- Mais… ?

- C’est compliqué. Long et compliqué. Il faudrait au moins cinq bons aller-retour dans cette cabine infernale pour que votre monde logique commence seulement à tolérer le mien.

- J’en doute. C’est relatif à votre clignotant bleu ?

- Oh non, l’oeil de vérité m’a été offert bien plus tard…

- L’oeil de vérité ?

- Metal Gear ?

- Quoi ?

- Reculez-vous !

Imo attrape le scientifique par la blouse et le tire loin des portes. Moins d’une demi-seconde après, une secousse agite la cabine, manquant d’envoyer les deux hommes bouler de chaque côté. La cabine s’agite, grince, puis le calme revient. Un court instant. Une nouvelle seconde passe, puis un objet long et effilé traverse les portes. Une lame noire, au tranchant ondoyant. D’un mouvement fluide, elle découpe une entrée pour laisser pénétrer son propriétaire.

Sanchez ne l’a croisé qu’une fois. Deux, si il tient compte de la dégelée éclair dont l’a gratifiée Leone. Peu importe cependant, car l’aversion que lui procure sa vue et sa cuistrerie, ne risque pas de se muer en élan affectueux. Visiblement, il en va de même pour Imo, qui s’appuie sur la paroi proche, avant de subitement mettre un genou à terre, une main plaquée sur son oeil gauche, d’un coup beaucoup plus étincelant.

- Hum ? Ça ne va pas blanc-bec ? demande Sanchez, son regard toujours rivé sur le Samouraï de Minuit, une main caressant son canon à cosmo-impulsion.

Réaction rarissime, Imo ne répond pas. À la place, un son épouvantable, inhumain, oscillant entre un gémissement et un grognement guttural s’échappe de sa gorge. Son corps se met à trembler, presque convulser, l’obligeant à se recroqueviller au sol.

- Crétin ! maugrée Sanchez, en moulinant du canon. Vous choisissez vraiment bien votre moment pour vous donner en spectacle. Un truc mutagène, je suppose. Ça a l’air de vous monter au cerveau à vous tous, là.

- Silence !

S’il y a bien une chose qui insupporte le Samouraï de Minuit, c’est d’être ignoré. Vêtu d’un haori noir, drapé autour d’une sorte de kimono foncé, semblant onduler de sa propre volonté, à l’instar de son katana, il pose devant la trouée qu’il vient tout juste de créer. Ses lèvres gercées se retroussent, dévoilant des dents jaunâtres, taillées en pointe, qui d’ordinaire terrifient ses adversaires. Seulement là, c’est à peine si Sanchez ne lui jette plus qu’un coup d’œil. Or, se faire snober après une telle entrée, constitue pour lui le pire des camouflets.

Il fléchit les genoux, prend sa plus belle pose de combat et… se fait brutalement expulser de l’ascenseur d’une décharge d’énergie en pleine poitrine. Sans même lui accorder un regard (ce pédant de la nuit ne le mérite aucunement), Sanchez a tiré plus au hasard qu’avec précision en direction du Samouraï, avant de se pencher sur son compagnon.

Surpris, le SuperZ rebondit dans le trémie et tombe, ricochant sur les parois, au-bas du conduit trop abasourdi pour songer à se raccrocher quelque part ou amortir sa chute. Ainsi, c’est comme un vieux flanc qu’il s’écrase sur la dalle de carboradium, une dizaine de mètres en dessous, dans l’indifférence générale.

Sanchez, de son côté, essaie de faire preuve d’un minimum d’inquiétude pour son compagnon immortel, frissonnant sur le sol jonché de débris métalliques. Exercice difficile pour le scientifique, guère concerné par le sort d’autrui, surtout quand l’autrui copule avec la mort depuis une bonne centaine d’années.

- Vous allez bien ? tente-t-il tout de même, penché sur Imo. C’est l’autre arrogant qui vous met dans cet état ? Je l’ai balancé par dessus bord, si ça peut vous aider à récupérer…

- Non… Rien… à voir… murmure Imo plus calme, une main toujours plaquée sur la partie gauche de son visage. C’est… Je ne sais pas… Je n’ai jamais ressenti un truc pareil…

- Remettez-vous. Je ne suis pas là pour faire du baby-sitting. Alors tâchez de vous reprendre, fissa !

Le jeune immortel hoche la tête. Il se rassoit péniblement et s’adosse lourdement contre la paroi la plus proche en soupirant. Lentement, il découvre son visage. Sanchez cille.

Jamais il n’a assisté à un tel phénomène. Pourtant les abysses savent qu’il en a vu de toutes les couleurs, y compris hors du spectre humain. Rien de ce calibre cependant. Si d’ordinaire, une flamme semble pulser lentement au fond du globe oculaire d’Imo, ici, un brasier entier brûle sa pupille d’une lueur céruléenne. Par ailleurs, la rétine vit sa vie, balaie la cabine, se fixe un long moment dans celles du savant, qui ne peut s’empêcher de frissonner, avant de s’ancrer vers un point en contrebas.

Bien que fasciné, Sanchez ne peut s’empêcher d’être clairement mal à l’aise à mesure que son regard se perd dans l’abîme brûlante. Non seulement parce qu’en retour, elle aussi le sonde (de quoi ravir les philosophes), mais qu’en outre, il a la furieuse impression oxymorique de contempler l’oeil d’un animal mort, prêt à lui bondir dessus pour le mettre en pièces. Il finit par se détourner.

Une nouvelle secousse bouscule l’ascenseur. Le Samouraï revient à la charge. De nouveau sa lame fait une percée, cette fois-ci au sol, à une dizaines de centimètres d’un des pieds de Sanchez. La lame se retire, puis retraverse de nouveau la paroi, comme s’il s’agit d’une motte de beurre, avant qu’une des mains du SuperZ ne viennent se cramponner à la trouée précédemment créée.

- Vous pensez vraiment pouvoir vous débarrassez de moi avec une puissance aussi minable ? Quelle pitié… Je vais vous mettre en pièces.

- Et nous, vous rebalancer d’où vous venez, réplique Sanchez en dirigeant son arme vers la trouée, avant de faire un bond en arrière.

Le katana tranche le sol à l’endroit précis où se tenait le scientifique. À l’extérieur, le Samouraï pousse un sifflement.

- Pas mal pour un humain. Mais ça ne suffira pas. Rien ni personne ne peut m’arrêter.

- Ce n’est pas ce que j’ai pu voir jusqu’à maintenant.

- Insolent !

La lame crisse et lacère de nouvelles bandes de titane, pendant que son propriétaire entreprend d’arracher à mains nues les portes endommagées.

Au grand remède, les grands moyens, même lorsque ceux-ci n’entrent pas exactement dans la catégorie souhaitée. Sanchez plonge sa main dans sa blouse, mais Imo, remis de ses émotions quelles qu’elles fussent, l’en empêche.

- Laissez-moi faire, professeur Javeloo, dit-il avec un sourire. Je vais nous débarrasser de ce gêneur (24).

- Ravi de voir que vous vous sentez mieux, répond Sanchez en levant un pied juste à temps pour éviter la lame autonome du Samouraï. Seulement j’ai tout ce qui me faut pour évacuer les déchets dans son genre (12).

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