22.
- Journée difficile ?
Sanchez a formulé la première question qui lui est passé par la tête. La même que ses anciens collègues lui posaient souvent au détour d’un couloir, en voyant ses traits tirés et son expression massacrante. Sa tronche de tous les jours en somme. Ce qui constituait, et constitue toujours, un motif suffisant pour s’abstenir d’aller plus loin dans cette parodie de conversation stérile.
De facto, il est rare pour le scientifique d’amorcer le premier un semblant de conversation hors de son domaine de prédilection. Généralement parce que son tempérament un chouïa emporté a tendance à prendre les devants.
- Euh… oui, on peut dire ça, oui, répond le stagiaire. Comme souvent avec le Professeur Joult.
- Hum, hum.
Nouveau silence. Non décidément, Sanchez n’est pas taillé pour le small talk. Quoi qu’il en soit, il a jeté un premier pavé dans la mare. À l’autre de mouiller son caleçon.
- Hum… vous travaillez dans quel département si je puis me permettre ? demande-t-il timidement.
- Je ne vous permets rien du tout, répond sèchement Sanchez, avant d’inventer, face à la stupéfaction du jeune homme : Chimie quantique, professeur Javeloo… Avec deux O et sans le H.
- Deux… Vous le mettez où le H ?
- Là où il devrait se trouver.
Voyant que Sanchez ne compte en dire plus, le jeune homme hoche la tête, perplexe. Sa confusion le rend hésitant. Éclaircissement ou présentation ? Politesse ou irrévérence potentielle ? La politesse d’usage finit par l’emporter.
- Emeryx Danton. Danton comme dans une tonne, hé éh éh… Bref, assistant de recherche en épigénétique, dit-il en tendant sa main, que Sanchez refuse d’un geste. Ah oui, bien sûr, évidemment, les risques de contamination, tout ça.
- Tout ça, oui.
- Je vois, répond le dénommé Emeryx avec un hochement de tête. Sinon… qu’est-ce que vous venez faire ici ?
- Vous n’avez pas à le savoir.
- C’est à propos du réacteur ?
- Et si je vous dis oui ?
Le regard de l’épigénéticien s’illumine. Un mélange de surprise, de crainte et de respect pare son visage déformé d’un sourire simiesque. Cocktail détonnant qui ne manque pas de lui octroyer une dégaine collector. Cela dit, ce n’est pas la tronche de l’assistant qui préoccupe Sanchez, mais l’une de ses mains s’apprêtant à pianoter sur la commande d’étage.
Il est bien tenté de dégainer pour l’envoyer disloquer sa mâchoire sur les portes (10), mais d’un autre côté, la violence n’est pas toujours mère de chaque solution. En plus, Imo est toujours avec lui… enfin, il suppose… pas sûr, mais bref ! Il peut toujours laisser ce bougre d’âne interrompre la descente (18). Avec un peu de chance, il pourra peut-être grappiller une ou deux infos. En compagnie de pareille saucisse, les chances sont minces… mais pas inexistantes.
Annotations