Une histoire de pouce
- Il est mort ?
- Molombia… neeshga.
- Évidemment, pourquoi j’m’emmerde à poser la question…
Penchés au-dessus d’Olver, Chang et Aisaan ont temporairement réglé leur pugilat. Un ennemi, doublé d’un tir neutre ont suffi. Et quel “ennemi” ! Le quart de siècle grand max, le corps enveloppé d’une blouse trop large maculée d’urée, teint pâle proche du navet, les traits fuyants. Le jeune homme a toute l’étoffe d’un stagiaire, plus que d’un scientifique renommé.
Aisaan tapote le corps inconscient. Pas de réaction. Il respire cependant et ses globes oculaires, sagement dissimulés derrière ses paupières grises de poussières, s’agitent. Il en faut plus pour tromper ceux bien vivaces d’Aisaan. Une gifle plus tard, Olver est arraché à ses songes simulés.
- Aïe ! Pitié ! Pitié ! Je dirai rien ! J’vous jure ! D’ailleurs, j’ai rien vu ! couine-t-il en se protégeant le visage.
- Tu vas fermer ta gueule, oui ? réplique Aisaan, des fourmis picotant les mains, prêt à servir un nouveau marron. T’es qui, d’ailleurs ?
- O… Olver. Danton ! Pitié, ne me t…
- Glover Damtome ? demande soudainement Chang, la tête inclinée.
- Nan ! Oliver Danton, il a dit !
- Olver, en… en fait, bredouille le susnommé, avant de se recroqueviller davantage. Ah ! M… Mais si vous préférez Oliver, ce sera…
- Mais la ferme ! Qu’est-ce qu’on en a à carrer d’ton blaze ?!
- Mais c’est vous qui…
- La ferme, t’entends ?!
- Frabbit moratic !
- Exactement !
Pour un peu, Aisaan aurait presque tapé un check avec Chang. C’est fou ce que la présence d’un plus grand blaireau que soi-même peut harmoniser comme relation. Faute de pouvoir passer décemment ses nerfs sur l’esthète du coup bas, cette nouvelle cible fera l’affaire. D’un mouvement brusque, il le remet sur ses pieds tremblants.
- Bien ! Inspection du travail ! improvise Aisaan. Qu’est-c’tu fous encore là ? Tout le monde a décarré et toi tu traines encore tes paluches sur des éprouvettes. Qu’est-c’tu foutais ?
- C’est… que… j’avais des prélèvements encore à faire et… mon frère y tient… et…
- Au point d’ignorer les alarmes ?
- Des alarmes ?
Aisaan et Chang échangent involontairement un regard. Ce bâtiment a de sérieux problèmes et pas seulement d’éthique scientifique. Aisaan se racle la gorge.
- Rien. Tout va bien. Oublie ça.
Olver fronce les sourcils. Sans avoir la lumière à tous les étages, question pragmatisme ou viabilité, il se doute bien que quelque chose cloche, tout particulièrement quand ses deux illuminés, à l’allure impossible dans ce sous-sol, s’affrontaient encore moins de cinq minutes plus tôt. Sans prévenir, le plus petit des deux, prononce un truc et lui place son canon sur le bide.
- Whoua ! Ne me tuez pas ! s’écrie Olver. Je ne suis pas augmenté, pitié ! j’dirai tout ! Aouch !
Un coup de poing d’Aisaan au plexus le plie en deux.
- Tu fais c’qu’on te dit ! tempête-t-il en frottant ses phalanges, sourire malsain aux lèvres. Obéis à mon collègue, si tu veux pas t’en manger un autre !
- Ma… Mais il a rien dit !
Cette fois-ci, une gifle effectue un aller-retour, bruyante, résonnant sur les murs déglingués. Piaillant, Olver tente de se protéger le visage. Il n’en faut guère plus à Aisaan pour amorcer un nouveau soufflet, mais Chang l’en empêche, secouant la tête.
- Neeshga. Pas le temps, déclare-t-il sans toutefois ôter son arme de l’abdomen d’Olver.
- OK… Et qu’est-c’tu proposes exactement ? On va pas le laisser s’débiner comme ça, si ?
Chang secoue la tête, plus vivement. Un sourire dessine ses lèvres. Il indique les portes, les murs, un couloir, un autre. Aisaan ne comprend pas. Olver non plus, excepté la menace du canon, enfoncé à chaque mouvement un peu plus profond dans son bide.
- Guide ! s’exclame finalement Chang. Choo choo checkmar !
- Comme si on avait besoin de s’emmerder avec ça ! crache Aisaan, l’index pointé vers Olver.
- Accesh fump fump ! continue Chang.
Baissant le canon, il attrape la main, d’Olver qui frémit, et l’approche du visage d’Aisaan. D’une grimace, celui-ci se recule. Clairement irrité, Chang insiste, dépliant le pouce.
- Fump ! Doigt ! Accès ! Important pour avenir ! Gerbit !
- Arrête ton charabia ! On l’bute et puis c’est marre !
- Vous voulez utiliser mes accès ?
À la surprise de tous, y compris lui-même, c’est finalement Olver qui, le premier, a saisi les intentions de l’assistant. Comme pour l’attester, celui-ci hoche la tête, babillant et sautillant ; au contraire d’Aisaan qui bouillonne et sanctionne l’idée dans la foulée.
- Des conneries ! On va pas s’emmerder avec c’te péteux pour des prunes ! J’connais le chemin, je sais où on va. Tu suis, puis c’est tout !
- Neeshga, dit Chang, secouant la tête, gesticulant vers un couloir défraichi par les impacts répétés des tirs. Pas bon. Par là ! Là ! Plein de choses !
- On n’est pas là pour faire du tourisme !
- Firby nurbs, gerbit.
- Tu m’insultes, là ?
- ARRÊTEZ !
Le duo se tourne vers Olver, qui se plaque les mains sur la bouche. Au fond de lui, il se sent fichu, mais s’il doit caner, ce ne sera pas avec la même indifférence générale qu’il a vécu. Surtout pas en tant que monnaie marchande de deux cintrés, infichus de s’entendre.
Maladroitement, il se dégage de la gueule du canon lui mordant l’estomac et, avec tout l’assurance lui ayant longtemps fait défaut, il déclare :
- J’accepte la proposition. Je vais vous guider.
Aisaan le fixe un instant, avant de lui en retourner une.
- D’où t’as cru qu’on te f’sait une proposition, abruti ?! tempête-t-il, poings crispés.
- Cayoo zor, ajoute Chang en secouant la tête.
- Voilà, exactement ! Tu viens avec nous, c’est tout.
- Parce que vous êtes d’accord, maintenant ? bafouille Olver, une main sur sa joue enflammée.
- Ou… Non… enfin… Pas… merdoie Aisaan confus, pour mieux s’énerver. T’en reveux une, espèce d’enc…
L’insulte est emportée par la détonation, tout comme son corps, parti d’un vol plané s’écraser cinq mètres plus loin, accompagné d’une pluie de nouveaux débris.
Pleinement satisfait, Chang fait mouliner son canon et le range à sa ceinture. Puis, il se tourne vers Olver, main tendue.
- Chang. O vwa vwaf sna, annonce-t-il, sourire étiré jusqu’aux oreilles.
À la fois tendu et vouté, Olver escompte un nouveau pruneau, qui n’arrive cependant pas. Non, l’illuminé qui lui fait face attend bel et bien une pince à serrer. Avec mille précautions, il accompagne sa main d’une présentation murmurée.
Chang s’en saisit et l’entraîne vers le couloir qu’il a précédemment montré. Une poignée de secondes plus tard, Aisaan les rejoint, jurant pour changer et menaçant d’un nouveau bourre-pif, que la menace du canon, de nouveau sorti, balaie d’un mouliné.
- Litzergam. Shooba dog araganda !
C’est sur ces mots fumeux que le trio ainsi formé s’engouffre toujours plus loin dans le dédale sous-terrain, au grand dam de bien des péquins.
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