Chapitre 1 : Sacha
Sept heures du matin, le réveil sonne. Comme tous les jours, je me levai, pris ma douche et mon petit déjeûner, puis sautai dans mon uniforme. Chemise blanche, veste et pantalon de costume noirs, chaussures de sécurité, cravate noire... C'était là les atours que l'on m'avait transmis le jour de mon arrivée, accompagnés d'un discret badge doré sur lequel était gravé mon nom : "Sacha Lepleux". C'était il y a quatre ans. Au départ, je me réjouissais. Je suivais les traces de mon père, ayant enfin eu l'occasion de décrocher un job parmi les agents de sécurité du supermarché local. Pas très loin de chez moi, en plus.
Pourtant, j'avais la pénible impression que mon équipe ne me pensait pas à la hauteur. Mon père avait beau tenter de me convaincre que non, je le voyais. Je le sentais. Prenez Cédric, par exemple. Il était arrivé deux an après moi et n'était pas mieux formé. Aujourd'hui, j'étais sous ses ordres. De mon côté, personne en quatre ans ne m'avait proposé de promotion. Jamais. J'avais sans doute dû faire quelque chose de mal, mais je ne comprenais pas quoi. Je travaillais d'arrache-pied, je montrais chaque jour ma motivation et je redoublais d'effort, mais rien ne se passait. Chaque soir, je tombais dans les bras de Camille, que je laissais s'occuper de notre fille. Heureusement que je l'avais. L'amour de ma vie, la seule personne au monde avec laquelle j'avais jamais souhaité fonder une famille. Son odeur, sa peau, ses lèvres, ses cheveux, ses yeux... j'aimais tout, sans exception, et remerciais chaque jour Dieu de nous avoir permis de nous rencontrer.
Plusieurs fois, j'ai tenté de me faire entendre. J'ai demandé à mon patron pourquoi Cédric était mon responsable alors qu'il était arrivé plus tard. Je lui ai demandé pourquoi Maxime était mieux payé alors qu'il était moins compétent. Je lui ai demandé pourquoi il refusait sans cesse de me confier les missions les plus importantes. Sa seule réponse : "Ne t'inquiète pas, Sacha. Ça viendra". Après quatre ans, je commençais à me douter que rien ne viendrait. Je savais que mon responsable ne me promouvrait pas, mais je ne savais pas pourquoi. Même parmi mes collègues, j'avais du mal à me faire des amis. Il y avait certes Bastien, mon co-équipier, avec qui je m'entendais bien, ainsi que quelques autres. Heureusement d'ailleurs. Tous les autres me toisaient avec un regard que je ne comprenais pas. Ce regard, ils ne l'adressaient qu'à moi. Pas même à Bastien, avec qui je passais pourtant le plus clair de mon temps. Seulement moi. Ils restaient sympathiques, mais personne n'avait avec moi la même relation qu'avec les autres.
Le seul qui eût un jour manifesté un intérêt particulier pour moi : un certain Dylan. Il s'était rapidement rapproché et m'écoutait attentivement. Il semblait tout faire pour que je l'apprécie depuis le jour de son arrivée. Au bout de quelques semaines, je compris enfin d'où provenait cet intérêt soudain, Bastien me l'ayant confirmé : il avait l'air de me trouver à son goût, et cultivait pour moi des désirs très éloignés du domaine professionnel. Je n'avais pas l'habitude et ma surprise fut grande, mais je tâchai de m'adapter. Il fallait reconnaître que dans un métier d'hommes, ce genre de choses pouvait arriver.
Ce matin, j'avais pourtant décidé que les choses changeraient. J'allais parler à mon boss. S'il ne me donnait pas d'augmentation dans les prochaines semaines, je partirais. Je saisis mes clés de voiture, embrassai mon mari puis notre fille, à laquelle je confiai : "ne t'inquiète pas, Maman revient bientôt".
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