8.

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De retour à la créole, Maude, frigorifiée et entièrement mouillée, pénétra dans le bureau d’Erick, une pièce avec la fenêtre aux rideaux tirés.

« Asseyez-vous, je vais vous préparer un chocolat chaud », lui dit-il.

Pendant qu’Erick quittait la pièce, Maude s’exécuta tout en cherchant à comprendre la raison de cette apparition inattendue. Elle prit son téléphone, appela Cléo, mais tomba sur sa boîte vocale. Ressentant un sentiment d’urgence, elle lui envoya un message.

« Appelle-moi, je me sens perdue. »

Dans la cuisine, la bouilloire se mit à siffler et Erick servit Maude aussi rapidement qu’il le put.

Le son de sa voix lorsqu’il entra dans la pièce la fit sursauter. Maude but par petites gorgées pour se réchauffer. Un lourd silence s’installa au cours duquel Erick se leva et lui proposa de rester là en attendant qu’il débarrasse. Elle n’osa pas demander si Ayden se trouvait dans sa chambre et exprima sa gratitude par un sourire.

Pour un bref instant, la vision étrange de Pauline s’estompa dans l’esprit de Maude, et elle se concentra sur cette pièce étriquée. L’endroit était sombre, aussi étroit qu’un escalier, encombré d’un imposant secrétaire sur lequel reposaient quelques objets en porcelaine et des livres empilés. Un tableau était accroché au-dessus de la porte d’entrée, avec une femme d’un âge indéterminé, assise dans un rocking-chair, les cheveux coiffés à la diable. Une jeune fille se tenait dans son dos, le regard triste, le cartable à ses pieds, les gambettes aussi fines que des allumettes.

Un feuillet posé sur la machine à écrire piqua sa curiosité. Maude se leva lentement, les jambes encore flageolantes, puis s’approcha de l’Underwood et lut le début d’un roman.

Erick est vraiment doué, pensa-t-elle lorsqu’elle eut achevé sa lecture. Il se dressait dans l’entrée, le visage presque dissimulé dans la pénombre. Se retournant brusquement, elle laissa son sac glisser et tomber à ses pieds.

« Une charmante histoire, n’est-ce pas ? Ma nouvelle fiction concerne la disparition d’une jeune fille, un mystère macabre, ajouta-t-il, en se penchant pour ramasser son sac Chanel.

— Le début de votre roman m’a paru très triste.

— Il l’est.

— Ayden ne vient jamais dans le bureau ?

— Non.

— Est-il dans sa chambre ? reprit-elle.

— Oui, sûrement. Myriam peut vous y accompagner, elle est dans la cuisine. Vous feriez mieux de la rejoindre tout de suite, elle est très occupée.

— Merci pour le chocolat, c’est aimable à vous.

— Pas la peine de me remercier », conclut-il.

Quittant la pièce, elle s’immobilisa dans le vestibule, et prit le temps d’envoyer un second message à Cléo.

« S’il te plait, appelle-moi vite. »

Ensuite, elle se dépêcha de retrouver Myriam. Elle trouva la cuisine déserte. Par la fenêtre, elle regarda au-delà de la véranda et l’aperçut étendre du linge sous la grange. Au moment où elle entendit le vrombissement du tracteur de monsieur Tach au loin, son téléphone se mit à vibrer.

« Que se passe-t-il ? Je suis en train de rouler, je m’arrête dès que possible pour t’appeler. »

Un éclat de tendresse illumina son visage. Elle aurait aimé pouvoir se lover dans les bras de Cléo.

La porte du bureau claqua et elle demeura quelques secondes sur place avant de se diriger vers l’escalier, sans vraiment savoir où était la chambre d’Ayden. Arrivée sur la dernière marche, elle remarqua un guéridon avec une photo d’école, ce qui fit naître en elle une série d’images du passé. Sur la photographie, Ayden semblait radieux, entouré de deux camarades de classe. L’une d’entre elles était de dos, avec des boucles brunes, le bras enroulé autour d’Ayden. La deuxième se tenait à sa gauche, vêtue d’une courte jupe laissant entrevoir ses longues jambes fines.

Elle se revit fillette, sa maman lui apportant des goûters qu’elle posait sur un guéridon semblable à celui-ci. Puis, Maude courrait jusqu’au pneu suspendu sous les chênes, où elle s’élançait dans les airs. Un soupir s’échappa de ses lèvres.

Son regard se porta ensuite vers la porte entrebâillée au fond du couloir. Le parquet craqua, le bruit provenant de cette pièce. Une fenêtre s’ouvrit. Convaincue qu’Ayden s’y trouvait, Maude s’en approcha. Elle frappa, mais n’obtint aucune réponse.

Elle poussa doucement la porte, se questionnant sur la manière dont elle allait pouvoir s’occuper de lui, après l’expérience troublante vécue près de la cabane. Un silence absolu régnait, alors qu’elle le vit de dos, debout devant la fenêtre, tenant Captain Boum entre ses mains.

Quel drôle de petit bonhomme, songea-t-elle.

Préférant s’asseoir sur le rebord du lit, elle apprécia l’atmosphère paisible qui enveloppait la pièce comme un châle doux. Elle laissa vagabonder ses yeux autour d’elle. L’endroit était propret, les murs peints en blanc, avec une agréable odeur de cire flottant dans l’air. Dans un coin, des vêtements sales dépassaient d’une corbeille en osier, tandis que des pots de terre cuite suspendus au rebord de la fenêtre débordaient de jonquilles en fleurs.

Le temps était changeant et le soleil inondait à présent la chambre de sa chaleur. Maude arracha Ayden à sa rêverie. Il la regarda et lui sourit, puis s’approcha pour lui offrir un doux baiser sur la joue avant de s’en retourner près de la fenêtre. L’instant d’après, il se mit à sauter d’excitation, le visage illuminé, agitant la main en guise de salut.

« À qui fais-tu un signe ? À maman qui étend le linge ? »

Il leva les yeux au ciel et lui indiqua l’orée du bois.

« Ben non, à Pauline, ma copine qui est là-bas, viens voir ! »

Maude fronça les sourcils, ressentant une tension dans la gorge.

« Ta camarade de classe, celle avec laquelle tu joues pendant la récréation ?

— Pfff ! Tu comprends rien, j’te l’ai déjà dit, mon amôreuse de la forêt, elle m’a promis de venir me voir chaque jour ! » s’exclama-t-il.

Maude se redressa d’un bond et le rejoignit le plus vite possible. Fixant la lisière sans un mot, elle vit à son tour Pauline.

« Ce n’est pas vrai ! » s’écria-t-elle, les mains portées devant la bouche.

Maude tremblait, tandis que les yeux d’Ayden brillaient d’enthousiasme. Elle voulait comprendre, mais elle était perdue. Maude sentait qu’elle perdait pied et que les efforts déployés pour rester lucide étaient vains.

« Toi aussi, elle vient te parler ? » demanda Ayden.

Maude ne lui répondit pas.

« Elle m’a demandé de ranger ma chambre et de faire mes devoirs si je veux qu’elle revienne demain matin. »

Maude peinait à respirer normalement. Tout ce qu’elle entendait, voyait lui paraissait irréel. C’est impossible, se répétait-elle. Ayden lui agrippa le bras.

« Elle t’aime aussi, tu sais. »

Dépassée, Maude se laissa tomber sur le bord du lit.

« Pauline n’a pas de chance, elle vit seule dans le marais depuis si longtemps, reprit-il, les mains entre les cuisses, avec la furieuse envie de se rendre aux toilettes.

« Mon Dieu », murmura-t-elle. 

Ayden continuait à dodeliner, trépignant d’impatience.

« J’ne comprends pas pourquoi papa et maman ne la voient pas. Pauline m’a dit qu’elle allait s’amuser avec le monsieur qui lui a fait du mal, mais chut, c’est un secret ! »

Maude s’agenouilla à ses côtés.

« De quel monsieur s’agit-il ?

— Oh, zut ! j’me rappelle plus d’son nom, mais elle m’a dit qu’autrefois, il vivait dans la cabane.

— Avec Pauline ? demanda-t-elle d’une voix chevrotante.

— Oui. »

Elle s’interrogeait sur ce que cette révélation annonçait de tragique. Elle ferma les yeux pendant une fraction de seconde et les rouvrit quand il la poussa très fort.

« Elle est morte ! », lâcha-t-il soudain, les traits plus graves.

Les dents serrées, il criait, écorchant les mots. Maude échappa un cri et tomba à la renverse.

« Elle va enterrer le monsieur sous le sable ! Comment il va pouvoir respirer là-dessous ? » gueulait-il.

Des bruits de pas retentirent dans le couloir et Erick se précipita dans la chambre.

« Qu’est-ce qui se passe ici ? » tonna-t-il.

Maude se releva et, d’instinct, enveloppa Ayden dans ses bras.

« Viens, tu ne crains rien, Pauline ne te veut pas de mal. Je suis navrée, Erick, j’ai bêtement glissé sur le parquet, s’excusa-t-elle encore choquée.

— Ça va ? », reprit-il.

Maude se tut, sentant qu’elle tenait à peine sur ses jambes.

« Ouh, ouh, vous m’entendez ? Tout va bien ? répéta Erick.

— Pardon ? », répondit-elle, perdue dans ses pensées.

Les larmes lui montèrent aux yeux, elle baissa la tête et s’enfuit sur le palier.

Malgré la chaleur de la maison, elle ressentit un frisson. Cette expérience la terrifiait. En descendant, elle respira profondément, franchit le seuil de la porte d’entrée, alluma une mentholée, puis se dirigea vers le ponton. Aucun souffle de vent ne venait agiter les branches, donnant l’impression que les chênes l’observaient comme des gardiens stoïques. Maude se disait que cela n’avait aucun sens. Au même instant, son téléphone sonna.

« Comment va ma chérie ?

— Pas très fort, Cléo, j’aimerais que tu sois à mes côtés, tu me manques, confessa-t-elle, le regard perdu.

— Oh, à en juger par ta petite voix faible, je présume que les choses ne se déroulent pas comme tu l’espérais. Tu me manques également.

— C’est juste que… toute cette histoire me dépasse. C’est la première fois que je me retrouve confrontée à une affaire si étrange. Je ne sais plus où j’en suis. Te souviens-tu de cette jeune fille dont je t’ai parlé ? À l’époque, les enquêteurs ne l’ont pas retrouvée. Il se peut qu’il y ait un lien avec l’enfant dont je m’occupe.

— Que veux-tu dire ? »

À son timbre de voix, Cléo comprit qu’elle était sacrément bouleversée.

« Pauline s’est manifestée, Ayden peut la voir et communiquer avec elle, lui confia-t-elle, d’une voix retenue.

— Qu’est-ce que tu me racontes ?

— Je sais que cela semble insensé, mais je viens de vivre… la même expérience, réagit-elle, avec des trémolos dans la voix.

— J’ignore de quoi tu parles ! Je me dépêche pour rentrer, si cela peut te consoler, je vais prendre quelques jours de congé.

— C’est merveilleux ! C’est exactement ce que je voulais t’entendre dire !

— Je dois d’abord régler quelques affaires urgentes à Toulouse. Es-tu toujours là ? Allo ? »

Maude hésita avant de parler.

« Tu as l’air sur le point de t’évanouir, ma chérie. 

— Je suis contente que tu restes quelques jours, répondit-elle d’une voix fébrile.

— Je serai chez nous en fin d’après-midi. Bon, je te laisse, je dois passer quelques coups de téléphone ».

Elle chercha la clé de la Zoé dans son sac, déverrouilla la portière et s’y installa. Maude mit le moteur en marche, mais se rendant compte qu’elle n’était pas prête à reprendre la route immédiatement, elle le coupa aussitôt. Elle s’enveloppa dans sa veste et posa son front sur le volant, submergée par les sanglots.

Ayden apparut sous le porche et descendit les escaliers à toute vitesse, ignorant Flin allongé dans l’allée, pour se précipiter jusqu’à la Zoé. Il ouvrit la portière et entoura Maude de ses bras délicats.

« Je n’aime pas te voir pleurer », dit-il en l’embrassant sur la joue.

Elle le considéra avec tendresse.

« Et voilà, tu ne peux plus bouger, tu es ma prisonnière », plaisanta-t-il.

Elle lui sourit et sécha ses larmes

« Pauline m’a dit que je devais tout te raconter.

— Vraiment ? »

Ayden acquiesça d’un hochement de la tête.

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