10.
Un peu plus tôt dans la matinée, par la fenêtre de la cuisine, Myriam scrutait attentivement la piste. Elle sentit sa gorge se serrer quand elle vit la zoé débouler dans le chemin. Elle la surveilla jusqu’à ce qu’elle se gare devant les passiflores. Quand, elle entendit frapper à la porte, épuisée par la tension de ces derniers jours, elle poussa un soupir. Erick lui avait clairement demandé de ne pas laisser madame Tirbois seule avec Ayden. C’était une question de confiance, avait-il ajouté. Myriam se précipita vers le vestibule, ouvrit et invita Maude à entrer.
Maude s’attendait à recevoir un accueil chaleureux, mais la poignée de main ferme de Myriam montrait son malaise. Elles commencèrent par discuter de la belle saison à venir et de la température étouffante qui s’installait. Au moment où Maude lui demanda si elle pouvait s’entretenir avec Ayden, Myriam se pinça les lèvres et parut embarrassée. Aux yeux d’Erick la visite de madame Tirbois impliquait aussi de l’empêcher de voir Ayden en tête à tête dans sa chambre.
« Je vais lui demander de descendre, vous pourrez lui parler dans le salon. »
Rien qu’au tremblement de sa voix, Maude comprit qu’elle était mal à l’aise.
« Je suis désolée, mais je préférerais m’entretenir avec lui dans sa chambre.
— Mon mari m’a demandé d’assister à la séance, expliqua Myriam, il ne veut pas que je vous laisse seule avec Ayden depuis que vous vous êtes isolé avec lui dans la voiture. »
Si investie depuis sa première visite, Maude éprouva un sentiment d’humiliation. Cependant, elle s’efforça de ne rien laisser paraître, et sourit poliment, gardant en mémoire la dernière colère d’Erick.
« Laissez-moi vous expliquer, je suis le seul espoir de votre fils. Il m’a donné sa confiance et se livre facilement. Peu avant l’intervention de votre mari, Ayden s’apprêtait à m’apporter une information majeure sur la jeune fille disparue. Votre fils détient une sensibilité peu commune et une grande intelligence. J’ai passé des heures à éplucher des dossiers qui traitent d’affections similaires et je vous avoue qu’il s’agissait d’une impasse. J’ai travaillé auprès du docteur David Prigent pendant ces six dernières années et je suis convaincu qu’Ayden est doté d’un pouvoir exceptionnel, cela n’a rien à voir avec un quelconque déséquilibre psychologique. La médecine psychiatrique a progressé de manière considérable sur l’étude des troubles du comportement et croyez-moi, Ayden fait partie de ces enfants capables de percevoir l’invisible, d’entendre des personnes disparues. Tout comme vous, ses révélations me surprennent. Faites-moi confiance, Myriam, je suis là pour l’aider, insista-t-elle.
— Je suis confuse, sincèrement », répondit Myriam en levant les mains à la hauteur du visage.
Maude eut pitié d’elle et devant sa stupéfaction, elle lui saisit la main pour la rassurer. Elle lui pressa doucement les doigts.
« Et, pensez-vous qu’Ayden parlera plus facilement dans sa chambre ? demanda Myriam les yeux brillants d’espoir.
— Absolument. C’est dans son univers que Pauline apparaît.
— Dans ce cas, allons-y, je m’arrangerai avec Erick, après tout, il s’est absenté pour la matinée. »
Maude retira sa main de la sienne.
« J’en ai assez de me morfondre sans savoir.
— Votre présence auprès d’Ayden est importante Myriam. »
Myriam hocha la tête. Elles s’engagèrent dans l’escalier, mais dès qu’elles atteignirent le milieu des marches, l’angoisse noua de nouveau l’estomac de Myriam qui s’arrêta. Elle semblait regretter sa décision. Maude l’encouragea en lui saisissant la main et l’entraîna dans ses pas.
La porte de la chambre d’Ayden était ouverte. Une fois à l’intérieur, elles le trouvèrent en train de peindre. Maude le regarda sans bruit. Au moment où il s’essuya les doigts sur le short, Myriam souffla un léger agacement, tandis que Maude en profita pour s’approcher et ramasser un pinceau au sol.
« Bonjour, Ayden, je vais t’aider à tout ranger.
— Pfff, non, c’est pas la peine, je n’ai pas encore fini mon dessin, dit-il alors qu’il frottait maintenant ses mains sur le front.
— Je peux le regarder, fit-elle d’une voix douce.
— Oui.
— C’est joli, tu m’expliques toutes ces belles choses.
— J’ai dessiné une île.
— J’observe que tu as aussi coloré toutes les cases sur pilotis, mais pourquoi n’as-tu pas mis de bleu sur celle-ci ? Toute la maison est noire», lui fit-elle remarquer.
Il ricana.
« Ben normal, c’est celle de la maman de Pauline, répondit-il en se tournant vers elle.
— Elle est différente de la cabane que nous avons visitée dans la forêt.
— Oui. Sa maman vit maintenant sur l’île aux oiseaux. »
La lumière éclairait les taches de peinture sur son visage. Il se dirigea vers la fenêtre, lança un geste en direction de la lisière. Maude sentit un frisson dans le dos.
« Elle est toujours là-bas près de la croix, elle dit que la bête est venue chercher quelqu’un.
— Elle t’a dit de qui il s’agit ? »
La stupeur se mêlait à la curiosité sur le visage de Myriam. Elle regardait Ayden avec les yeux gonflés de larmes. Elle s’effondra sur le lit.
« Non, pas encore. Cette nuit, elle est revenue me voir et elle m’a dit ce qu’il était arrivé au méchant monsieur qui vivait dans la cabane.
— Tu veux parler de Caleb ?
— Oui. »
Maude enleva sa veste, et vint se coller dans son dos en l’enlaçant de ses bras. Elle pouvait entendre sa respiration. Elle contempla la croix et le bouquet de fleurs placé à ses pieds. Elle écarta lentement le voile du rideau, scruta le ciel sans nuages. Ayden lui posa la main sur le poignet.
« Elle est d’accord pour que je te raconte le reste de son histoire. », dit-il.
C’était trop douloureux de l’entendre parler de la sorte. Myriam était profondément affectée et ressentait une once de culpabilité. Était-ce cela qu’elle avait imaginé en aménageant dans cette maison ? Sûrement pas. Même les romans qu’Erick écrivait ne l’avaient pas préparé à une telle émotion. D’un coup, ses traits s’affaissèrent et elle pleura. Elle sentit une main sur son épaule, leva la tête et croisa le regard de Maude. À la fois curieuse et craintive, Myriam rassembla son courage. Désormais, elle était prête à écouter une vérité qu’elle s’interdisait d’entendre jusque-là.
De ses yeux bleus, Ayden les fixait d’un air réjoui.
Maude s’assit auprès de Myriam et jeta un coup d’œil à son portable. Cléo allait sûrement lui en apprendre plus dès son retour de la cabane. Elle parcourut les appels, relut son dernier message qui, comme elle pouvait s’y attendre, remontait de la veille. Elle rangea le téléphone, attrapa son carnet et concentra son attention sur Ayden.
« Je suis heureuse que Pauline soit revenue te rendre visite cette nuit et qu’elle accepte que tu me livres son secret, dit-elle d’une voix douce.
— C’est à la tombée de la nuit que Pauline entre dans ma chambre, juste après que la lumière s’éteigne. »
Myriam écoutait avec consternation.
« Si Pauline vient te parler quand tu es couché, tes parents l’auraient vu franchir la porte.
— Grrr ! Elle enjambe la fenêtre ! »
Le geste d’Ayden pour montrer la fenêtre de la main était tout aussi vif que sa réponse. Maude le regarda en souriant.
« Pourtant, ton papa s’assure qu’elle est bien fermée dès que tu pars au lit.
— Non, non ! Elle est là… appuyée contre le radiateur devant la fenêtre… elle me fait signe de me taire avec son doigt sur la bouche », s’énerva Ayden.
Tandis que Maude griffonnait quelques mots sur son carnet, Myriam gardait les yeux grands ouverts.
« Je te crois Ayden, après tout ce n’est pas grave. J’espère que Pauline va bien, et qu’elle ne m’en voudra pas si je te pose beaucoup de questions. Peut-être que moi aussi je pourrais lui parler…
— Elle ne veut pas entrer en contact avec toi, elle dit que tu peux l’aider, mais que tu auras peur si elle te parle directement. »
Maude s’efforça de ne pas paraître étonnée.
« Par où veux-tu démarrer l’histoire ? Prends ton temps avant de répondre. »
Myriam s’enfonça derrière Maude, de manière à cacher son visage en pleurs. Ayden se mit à observer attentivement son ourson sur l’étagère, puis il commença son récit.
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