6.
Cléo s’affairait dans la cuisine et se félicitait des carbonara qu’il venait de préparer. Il décocha un beau sourire quand Maude entra d’un air pensif dans la pièce.
« Ne me dis pas que c’est à cause de ton verre vide que tu es si pensive, s’amusa-t-il en prenant une bouteille de Chardonnay.
— Dans l’après-midi, j’ai contacté la Fondation Haussler, la personne qui m’a répondu n’était guère enthousiaste à l’idée de me donner des renseignements.
— Et alors, quel est le problème ? Tu es tombé sur quelqu’un de peu zélé, voilà tout.
— Oui, sûrement, à mon avis sa réaction cache quelque chose et mon instinct me dit de suivre cette piste. Qu’en penses-tu ?
— Que nous allons nous régaler avec ces spaghettis carbonara, répondit-il avec un petit rire.
— Tu as raison, je me laisse envahir par toute cette histoire.
— Oui, en effet. Je me suis donné beaucoup de mal à te mijoter ce repas en amoureux. »
Maude étouffa une exclamation.
« Je ne l’ignore pas, mon cœur. »
Cléo vit que Maude en dépit de sa joie demeurait soucieuse.
« Attendons demain pour en apprendre un peu plus. Je serais à tes côtés.
— Je te suis reconnaissante. »
Tôt dans la matinée, au moment où Maude gara la Zoé devant la ferme de Monsieur Tach, Cléo remarqua sa mèche de cheveux qu’elle recalait toujours derrière l’oreille et que le vent venait de rabattre sur son front. Ça lui allait bien, se dit-il et ça attirait le regard sur ses yeux verts. Maude se tourna en direction de la croix. Le ciel était dégagé et les premières lueurs roses pailletaient la surface lisse de la mare.
« Mon chéri, peux-tu rendre visite à Monsieur Tach, apparemment lui et sa fille cachent quelque chose sur Pauline et sa famille. Si le bûcheron vivait encore ici cet hiver, il a menti. »
Cléo fit la moue, déçu de ne pas l’accompagner chez les Grenereau.
« Je te l’ai dit mon cœur, ça ne prouve rien », lança-t-il en claquant la portière.
Tandis qu’il soupirait, Maude lui sourit avec une fossette profonde qui lui creusait la joue. Quand Cléo se retourna, la Zoé s’était déjà remise en marche. Maude se gara devant la Créole et aperçut à la fenêtre du premier étage la silhouette d’Erick, l’œil collé à la vitre. Il guettait son arrivée. Vêtue d’une robe fleurie à manche courte, et chaussée d’escarpins assortis, elle n’eut même pas le temps de descendre de la voiture qu’il apparut sur le perron. Maude sut parfaitement de quoi Erick voulait l’entretenir au moment où il se rua dans sa direction. Mais, elle n’avait aucune envie de supporter son humeur exécrable, aussi essaya-t-elle de n’en laisser rien paraître.
« Quel genre de psychologue êtes-vous ? s’écria-t-il tandis sortait de la zoé.
— Bonjour, Monsieur Grenereau, je suppose que Myriam vous a mise au courant de ma venue hier, poursuivit-elle d’un ton poli.
— C’est vrai cette histoire ?
— De quoi parlez-vous ? reprit-elle en levant les yeux au ciel.
— Myriam m’a raconté qu’Ayden communique avec cette… enfin, vous voyez de qui je veux parler. »
Ce « sous-entendu » ne paraissait pas innocent dans la bouche d’Erick. Myriam lui avait tout déballé, et à en juger par son agressivité, il ne doutait pas un instant que Maude était responsable, qu’elle avait jeté le flou dans la tête d’Ayden.
« Tout va bien, Monsieur Grenereau, ce n’est pas la peine de hurler. C’est vrai qu’Ayden semble percevoir des choses qui nous échappe, je ne vais pas vous mentir, moi-même j’ai commencé par me méfier lorsqu’il a évoqué Pauline pour la première fois. Votre fils est ce que je qualifierai d’enfant lumière.
— C’est quoi ces bêtises ?
— Il possède un don, une capacité d’entrer en contact avec…
— Les morts ? Sacrément tordu votre raisonnement ! Il est temps de mettre un terme à vos visites, désormais on se passera de vos services.
— Bien sûr, vous pouvez vous passer de moi, mais je suis sérieuse, Ayden a besoin de mon aide pour guérir.
— Possible, mais d’autres personnes peuvent s’en charger. Quittez ma propriété sur le champ !
— En supposant que je vous rende ce service, croyez-vous qu’Ayden s’en portera mieux ? Soyez raisonnable, et écoutez-moi, les informations qu’il m’a révélées sont fondées. Le bûcheron a disparu cet hiver, au mois de février et non pas en 1994 comme le prétend votre voisin. Mon fiancé travaille pour la police scientifique et il m’a confirmé cela. Comment Ayden aurait-il pu nous guider sans être en contact avec cette jeune fille ? »
Maude contempla les mains d’Erick posées sur ses hanches qui tremblaient. Elle se rapprocha de lui.
« Accompagnez-moi et assistez à cette séance, vous pourrez vous assurer que je dis vrai. »
Maude attendit sa réponse.
« S’il vous plait, Erick, laissez-moi voir Ayden une dernière fois, cela ne changera rien à votre décision finale. »
Il ferma les yeux. Ses épaules s’affaissèrent, puis sans trop savoir pourquoi, il l’invita à entrer. Myriam n’était pas présente, ce qui ne la surprit pas. Maude pensa qu’elle avait sûrement préféré éviter cette dispute. Alors qu’ils pénétraient dans la cuisine, elle tressaillit en croyant entendre une voix féminine à l’étage sans toutefois distinguer les mots prononcés. Elle jeta un coup d’œil en haut de l’escalier et vit Ayden qui l’observait, l’ours en peluche dans les mains. Elle lui fit un signe. Il la gratifia d’un beau sourire avant de se diriger vers sa chambre.
Sans que Maude le lui demande, Erick se glissa dans ses pas et tous deux gravirent les marches.
« Je suis prêt à vous aider, dit-il. J’aime mon fils et il a besoin que je sois à ses côtés, mais tout cela m’effraie.
— Je comprends, pourtant vous prenez la bonne décision », lui chuchota-t-elle.
Dès qu’ils entrèrent dans la chambre, Erick sentit ses jambes trembler et voulut redescendre. Maude le retint par le bras.
« Vous aussi, Erick, vous avez besoin de savoir. »
Il s’exécuta.
Maude remarqua les crayons de couleur dispersés sur le parquet et le nouveau dessin posé sur le trépied. Il représentait une jeune fille brune, revêtue d’un pull-over bleu saluant de la main.
« C’est Pauline que tu as reproduit, n’est-ce pas ? Ton amôreuse de la forêt ? insista-t-elle.
— Oui. »
Légèrement en retrait, Erick opposait un regard vide.
« Cette nuit, Pauline était contente », ajouta Ayden.
— Et, tu sais pourquoi ? lui demanda-t-elle.
— Parce que le monsieur est mort.
— De qui parles-tu ? s’enquit-elle alors que dans son dos, Erick, les yeux grands ouverts, se disait que cette histoire ne menait nulle part.
— De Caleb »
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