13.

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Il était près de dix heures quand Ayden se tut. Il grimaça avec l’envie furieuse d’aller jouer avec Flin en entendant ses aboiements dans le parc. De son côté, Maude avait l’impression que ces nouvelles révélations posaient plus de questions qu’elles n’apportaient de réponses.

Pauline avait grandi loin du delta. Aujourd’hui, elle dirigeait un institut dans la ville d’Arès. Comment avait-elle pu disparaître aussi longtemps sans éveiller de soupçons  ? Cela n’avait aucun sens. Après toutes ces années, elle serait revenue affronter Caleb dans le marais avec pour seule intention de recueillir des informations sur sa mère ? Une recherche en ligne aurait été l’un des moyens les plus efficaces de retrouver sa trace, surtout que Jeanne avait vécu à la Fondation. Sans compter que Pauline devait avoir accès aux archives. Sur le web, en quelques clics, une multitude de renseignements seraient apparus. Les pages blanches d’un annuaire fournissaient toujours les coordonnées, l’adresse, et le numéro de téléphone des personnes. Sachant que le passé ne s’évanouit jamais en totalité, engager un détective aurait offert une stratégie plus discrète. Enfin, rien n’empêchait Pauline de recontacter Florence ou son père, et ce, sans aucune contrainte. Après tout, elles étaient amies. Tout cela donnait l’impression que Pauline désirait se fondre dans le décor, délier son enfance horrible au présent. Sans oublier que sa rencontre cet hiver avec Caleb l’avait obligé à renouer avec ce monstre.

Maude braqua son regard sur Erick. Elle le vit pâlir et ouvrir ses yeux en grand. Il était bouleversé. Il la fixa un long moment ne sachant quelle contenance adopter. Il était rare qu’il se montrât abattu, lui qui se pensait solide. Mais, après le récit d’Ayden qu’il venait d’entendre, il demeurait désemparé et tournait son briquet dans la poche, le retournant d’un geste nerveux. Erick alla silencieusement jusqu’à la fenêtre, la referma puis s’adressa à Ayden.

« Tu peux aller jouer dehors avec Flin, maman ne va pas tarder à rentrer. »

Ayden acquiesça, et se mit à galoper dans le couloir. L’instant d’après, Erick l’aperçut s’asseoir sur le siège de la balançoire sous les chênes. Flin tenait un ballon dégonflé entre les crocs, secouait la tête tandis qu’Ayden essayait de lui retirer de la gueule. Le visage d’Erick se recomposa pour échapper un léger sourire.

Erick jugea que le moment était opportun. Il fronça le nez, plissa les yeux et se tourna vers Maude pour lui balancer ce qu’il avait sur le cœur.

« Tout cela est ridicule ! fulmina-t-il. Comment avez-vous pu me convaincre d’écouter ce ramassis de stupidités ? »

Il la regardait droit dans les yeux et lui jetait un air soupçonneux comme s’il la rendait responsable de la situation. Erick était en plein déni et considérait Maude presque comme une ennemie. Son briquet lui glissa des mains.

« Ne vous voilez pas la face Erick, vous savez aussi bien que moi qu’Ayden nous dit la vérité.

— Ben voyons, autant m’annoncer que mon fils est complètement fou ! J’ai retrouvé mon bon sens et ce qu’il raconte paraît tout droit sorti de son imagination débordante. »

Maude secoua la tête d’un air contrarié. Elle fourra son carnet dans sa serviette puis regarda sa montre. Dans dix minutes, elle aurait rejoint Cléo près de la mare.

« Si Pauline réside dans la ville d’Arès, et travaille bien pour cet institut, il sera aisé de le vérifier. J’ai déjà contrôlé l’existence de cette Fondation qui accueille des enfants et sur ce point, Ayden ne se trompe pas. »

Maude se redressa, lui adressa une poignée de main légère, celle d’Erick était plus franche.

« Elle serait donc venue rendre visite à Caleb, dit Erick, elle aurait récupéré sa peluche qu’elle appelle Boum, exactement comme Ayden. Ça paraît un peu gros ! Nous sommes ici depuis le début de l’hiver et je vous assure que personne ne vit dans cette cabane ! »

Maude sentit qu’il se raidissait et que le ton de sa voix était glacial.

« Pour l’histoire de l’ourson, il pourrait mélanger des éléments de son environnement, y mêler des personnages réels à d’autres imaginaires, ajouta-t-elle calmement.

— Et pour Caleb ? Il baigne au milieu des marécages sans que personne ne s’en inquiète et ne fasse un signalement à la police !

— Selon les propos d’Ayden, sa mort serait accidentelle due à la morsure d’un serpent. Il ne fréquentait pas les gens du coin. Il aurait été étrange qu’il se lie d’amitié avec vos voisins après toutes ces années. Après tout, c’est chose banale, et puis sa femme ne vit plus ici.

— Pourtant, monsieur Tach m’a affirmé qu’il avait déguerpi en 1994, quelques mois après la disparition de la gamine, la reprit-il sèchement.

— Ce matin, mon fiancé s’est rendu chez votre voisin, j’espère qu’il pourra nous en apprendre un peu plus sur Caleb. »

Sans réfléchir, Erick pointa un index menaçant avant de lui saisir le bras d’une force inouïe.

« De quel droit avez-vous osé trahir notre confiance ! »

Il serrait ses doigts plus violemment autour de son poignet

« Lâchez-moi ! cria-t-elle stupéfaite par sa violence. Il travaille pour la police scientifique, c’est à ma demande qu’il a accepté d’interroger monsieur Tach, afin d’y voir plus clair. Si cet homme nous cache quelque chose, il est suffisamment fin limier pour lui tirer les vers du nez, reprit-elle avec autorité.

— Monsieur Tach est un taiseux, je doute qu’il ne parle sans que l’on exerce sur lui une forte pression, je vais m’en charger ! s’écria-t-il en la relâchant.

Il frappa du poing contre le mur.

« Non, restez ici ! Ne vous mettez pas en travers au risque de tout compromettre », affirma-t-elle d’un ton plus ferme.

Soudain des talons claquèrent au rez-de-chaussée. Myriam venait d’entrer dans le hall. Surprise par le vacarme à l’étage, elle faillit lâcher le sac de courses et leva des yeux inquiets sur le haut des marches.

Erick avait toujours la mine renfrognée, et se tenait maintenant sur le seuil, un regard noir fixé sur Maude. Puis, il observa tour à tour l’escalier puis Maude.

« N’essayez plus de m’embobiner avec vos foutaises »

Il quitta la pièce et Myriam le vit descendre en trombe.

« Ayden est avec toi ?

— Non ! Il joue dans le jardin avec Flin », dit-il en la bousculant sans s’excuser avant de disparaître sur la terrasse.

Maude s’attarda quelques instants à la fenêtre pour contempler Ayden. Puis, elle sortit à son tour de la chambre, referma la porte derrière elle. Elle se disait qu’avec un peu de chance, Cléo en aurait appris davantage sur le cas de Caleb. Elle pourrait lui soumettre la piste de son corps enfoui sur l’île des cotonniers.

Cela implique de lancer des fouilles sur les simples déclarations d’un gamin, jamais tu n’arriveras à le persuader.

Elle soupira.

« Maude, que s’est-il passé ? s’enquit Myriam se demandant bien pourquoi Erick était fâché.

— Votre mari s’entête dans son refus à reconnaître les faits. J’ai rarement croisé quelqu’un d’aussi obtus, dit-elle d’une voix emportée.

— Que diriez-vous d’une tasse de thé ?

— Je suis désolée Myriam, mais je ne peux pas rester, je dois rejoindre mon fiancé. Erick était présent lors de la séance, il va vous expliquer ».

Myriam demeura bouche bée.

En sortant de la Créole, Maude vit Cléo qui patientait sur le ponton au-dessus de la mare. Dans la prairie d’à côté, au milieu des herbes hautes balayées par le vent, Flin aboyait furieusement galopant après la balle que lui lançait Ayden. Le labrador commençait à tirer la langue. En tendant l’oreille, elle entendit Ayden lui crier après.

« Allez Flin, bouge-toi mon gros ! »

Maude leur jeta un coup d’œil. C’était un enfant merveilleux, doté d’une incroyable sensibilité. Les mains qui tremblaient, agacée par l’attitude d’Erick, elle alluma une mentholée pour se calmer. Elle préféra traîner un peu pressentant qu’elle risquait de perdre patience en fournissant à Cléo moult explications sur la présence d’un corps enfoui sous la vase.

Ma pauvre, tes idées sont aussi embrouillées qu’un périphérique aux heures de pointe, remet tout dans le bon ordre avant de lui parler de Caleb.

Quand elle le rejoignit, Maude regarda le bouquet de fleurs au pied de la croix et éprouva au même moment un sentiment de tranquillité, ressentant une paix profonde.

« Tout va bien, ma chérie, tu es toute pâle, s’exclama Cléo apparemment ravi de sa rencontre avec Monsieur Tach.

— Comment ? Oh ! excuse-moi, laissa-t-elle échapper d’une voix faible.

— Je te demande si ça va ? répéta-t-il en l’enlaçant.

— Oui.

— Ils ont l’air de bien s’amuser ! déclara Cléo en montrant Ayden et Flin. Que t’a raconté le gosse ce matin ?

— On en parlera tout à l’heure dans la voiture si tu veux bien et de ton côté ? s’enquit-elle.

— Le vieux bonhomme est tellement gâteux qu’il a passé plus de dix minutes à me brailler aux oreilles que la famille de la gamine s’était volatilisée du marais à l’époque de la découverte d’une pierre en 1994. Un vrai supplice à écouter cette histoire ubuesque ! Ensuite, il m’a déclaré que ces derniers temps, il n’avait plus la force de quitter sa ferme pour se balader du côté de la cabane. Et, je ne te parle même pas de sa surdité ! »

Maude esquissait une moue ennuyée.

Tu ne vas pas aimer quand je vais te parler de Caleb.

Elle réfléchit un instant, se blottit dans ses bras et posa la tête sur son épaule.

Pan ! Pan ! Pan ! Comme au théâtre, c’est le moment de te lancer.

« Ayden est persuadé que le cadavre de Caleb pourrit sous la vase sur l’ile en face du marais. Il nous a raconté que la Cama Crusa était venue chercher son âme. »

Cléo l’écarta et ne put réprimer un haussement des épaules.

« La Cama Crusa ?

— Un conte gascon, je pense qu’Ayden s’en inspire pour nous livrer la vérité sur Pauline. Elle serait revenue au début de l’hiver pour le rencontrer. Il se serait noyé bêtement et elle aurait caché son corps dans les roseaux. »

Cléo s’efforçait de garder une expression sérieuse.

« De ton côté, tu n’as rien appris d’autre ? demanda-t-elle.

— Non, rien de bien intéressant, si ce n’est que le vieux n’a plus de famille hormis sa fille, et apparemment, elles étaient inséparables avec Pauline. Ensuite, monsieur Tach n’a eu de cesse de se lamenter à propos Florence. Il se sent responsable de sa cécité et s’en veut de ne pas l’avoir soutenu après l’accident routier dans lequel, elle a perdu la vue. »

Elle considéra les paroles de Cléo un instant. Était-il possible que Pauline et Florence aient renoué un contact ?

« Attends une minute, elles étaient très liées par le passé.

— Ouais, rien d’extraordinaire à ça, répondit Cléo en hochant la tête.

— Cela peut sembler tiré par les cheveux, mais imaginons qu’elles se soient revues, qu’elles aient reficelé une amitié aussi chaleureuse et profonde que durant leur jeunesse, dit-elle.

— Où veux-tu en venir ?

— Pauline aurait pu se confier à Florence, ou bien la fille de monsieur Tach aurait pu l’aider à se débarrasser de Caleb. »

Cléo la pressa contre lui en prenant le temps pour répondre le plus posément possible.

« Ma chérie, ce n’est pas la psychologue clinicienne censée qui me présente une telle élucubration ? », lâcha-t-il en souriant.

Maude se drapa d’une mine boudeuse.

« Oh, je ne sais pas ce qui me retient de te gifler !

— L’amour sûrement », dit-il en l’embrassant.

Puis elle leva des yeux implorants vers lui, lui donna une petite tape espiègle sur le bras.

« Mon chéri, j’ai l’intention de poursuivre mes recherches sur cette Fondation. Penses-tu… »

Il ne mit pas longtemps pour comprendre.

« Tu aimerais que je retourne fouiner dans le marais, désolé de jouer les rabat-joie, mais je n’ai pas envie de revivre une crise de panique là-bas. »

Elle se hissa sur la pointe des pieds, posa ses lèvres sur les siennes, exerça une légère pression et cilla de ses beaux yeux. Il prit un air réfléchi.

Après tout, si je m’éloigne suffisamment de cette foutue cabane !

« Il n’était pas nécessaire d’en arriver jusque-là ma chérie, c’est d’accord. »

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