14.

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Aux alentours de minuit, Maude, était assise devant son ordinateur, tapait dans la barre de recherche. Depuis la page d’accueil de la Fondation Haussler, elle cliqua sur un lien de présentation. Elle jeta un rapide coup d’œil à la liste qui comprenait un historique, sa raison sociale, ainsi que les actualités les plus récentes. Elle s’attarda sur un article qui parlait d’un projet.

Sur la photographie, une femme était accroupie à côté d’un chien guide d’aveugle. La légende indiquait « Florence Tach une auteure dont le succès ne s’est pas démenti ces dernières années, un véritable phénomène d’édition » et qui poursuivait par « avec une dizaine d’ouvrages publiés, madame Tach déclare ne plus pouvoir poursuivre son œuvre littéraire depuis ce terrible accident de la route qui lui a couté la vue. Après quelques années passées à Paris, elle est revenue sur ses terres natales afin d’aider à la rénovation de la Fondation Haussler sur la commune d’Arès, un institut qui lui tient à cœur consacré aux enfants sous la protection du Conseil régional de Gironde. Depuis la nomination d’une nouvelle directrice très enthousiaste, un programme original avec la construction de deux pavillons supplémentaires a été en partie co-financé par madame Tach en vue d’y accueillir une trentaine d’anges. »

Maude zooma sur la photo. Elle montrait une silhouette se détachant dans le dos de madame Tach, selon toute vraisemblance, une jeune femme d’environ trente-cinq ans. Elle contemplait le chien, ses cheveux d’une jolie teinte brune lui masquant une partie du visage. Maude eut du mal à cacher son étonnement. Il n’y avait pas de nom apposé sous la photographie. Pouvait-il s’agir de Pauline ?

Cléo se présenta sur le seuil, une tasse de café à la main.

Maude sursauta au cliquetis d’une cuillère. Elle se retourna brusquement et se rassura en découvrant Cléo dans la pénombre.

« Je crois que je tiens quelque chose de très intéressant, fit-elle remarquer.

— Je t’écoute, ma chérie.

— La fille de monsieur Tach est en lien avec la Fondation. Elle a récemment financé la construction d’extensions de bâtiments. Un cliché la présente aux côtés d’une jeune femme. »

Cléo la regarda bouche bée.

« Penses-tu que cette personne pourrait être aux commandes de l’institut ? demanda-t-il.

— Je le suppose, comme elle pourrait simplement faire partie du personnel.

— J’aimerais bien voir à quoi elle ressemble, montre-moi la photo, dit-il.

— Hélas, ses cheveux cachent son visage.

— C’est ce qu’on appelle protéger sa vie privée, dit-il en riant. Nous rendrons visite très prochainement à cette Fondation. Il y a quelque chose d’autre dont je voudrais m’entretenir.

— Quoi donc, mon cœur ?

— Ce matin, monsieur Tach m’a parlé de sa fille, qu’elle jouissait d’une certaine notoriété dans le milieu littéraire, mais il n’a jamais mentionné la Fondation Haussler, fit-il en fronçant le nez.

— Pourquoi l’aurait-il fait ? Ce n’était pas l’objet de ta visite.

— Évidemment, mais il semblait tellement fier d’elle que je trouve étrange qu’il n’ait pas évoqué son mécénat », conclut-il d’un air pensif.

Maude se dit qu’elle n’obtiendrait guère plus de renseignements sur Florence Tach en fouinant sur le web et la fatigue lui piquait les yeux. Elle laissa échapper un bâillement, éteignit l’ordinateur et jeta son dévolu sur un plaid posé sur le canapé d’à côté.

« Et si sa fille avait repris contact avec Pauline sans pour cela en témoigner auprès de la police, après tout, rien ne l’y contraignait, n’est-ce pas ? demanda-t-elle en observant par la baie vitrée la lune aux trois quarts noire comme on en voit les nuits de nouvelle lune.

— En effet, elle et son père avaient affirmé lors de l’enquête que Florence était absente le jour de la disparition.

— Maintenant, imaginons que Pauline soit revenue se venger de Caleb, elle aurait pu se confier à Florence ou la solliciter pour l’aider.

— Je ne veux pas être désobligeant, ma chérie, mais cette supposition est grotesque.

— Peut-être, mais elle reste plausible, raison de plus pour interroger la fille de monsieur Tach, insista Maude.

— Je te l’ai dit et répété, l’enquête ne pourrait être réouverte que sur instructions du procureur de la République et je ne serais pas l’officier désigné pour cette procédure. »

Maude haussa les épaules.

« C’est la pire excuse que j’ai entendue ! Cela signifie que tu ne comptes rien faire, n’est-ce pas ?

— Il y a des tas de choses que je peux faire, mais sûrement pas aller ennuyer, madame Tach, qui à l’époque des faits était une gamine et n’est au courant de rien. En revanche, j’ai beaucoup réfléchi à la question du corps enfoui sur l’île des cotonniers. Je vais m’y rendre cette nuit pour en avoir le cœur net.

— Cela te tracasse au point de ne pas attendre le lever du jour ?

— Je préfère commencer les recherches tout de suite et puis j’ai toujours eu un faible pour les balades nocturnes, s’amusa-t-il. »

Maude jaugea Cléo de la tête aux pieds. Elle lui sourit en le passant au crible. Il chaussait une paire de bottes en caoutchouc, revêtait une parka doublée de fourrure, les mains gantées et était coiffé d’un bonnet. Il sortit une lampe de poche et prit une pause théâtrale.

« L’heure est venue de marcher de nouveau sous la sérénité d’une lune noire et de retourner dans le marais, dit-il.

— Tu devrais faire attention de ne pas tomber nez à nez avec un ours polaire, ironisa-t-elle.

— Si j’en croise un, il sera ravi de papoter avec un confrère », conclut Cléo.

Puis il pivota sur les talons et sortit.

Cléo parcourut rapidement les kilomètres qui le séparaient du village d’Hougueyra tout en s’interrogeant sur ce qu’il allait découvrir là-bas. Il se gara sous le panneau de réclame, éteignit les phares de son pick-up et coupa le moteur. L’obscurité enveloppait les prairies et amplifiait l’impression que cet endroit était sans nul doute retiré de tout. Il descendit, prit soin de ne pas claquer la portière et grimaça lorsqu’il se rendit compte qu’il ne disposait que des piles logées dans la lampe. Le poussoir émit un léger déclic quand il l’enclencha et le faisceau traça une lumière faiblarde en direction des prés. Les Duracell étaient fatiguées.

Il huma l’herbe des prés fraîchement fauchée, embrassa du regard le chemin, apprécia le silence autour de la ferme du vieux bonhomme.

Allez mon gars, tu n’as pas l’intention de prendre racine, bouge-toi.

Cléo se fondit au travers des pâturages, évita de traverser l’airial des Grenereau. Tandis qu’il se glissait sous la clôture de barbelés, il tomba sur Flin qui sembla hésiter, en marquant un arrêt avant de se remettre à trottiner dans sa direction.

« Bon chien, bon chien, je t’en prie, n’aboie pas », dit-il en le caressant.

L’espace d’une seconde, il avait cru que le labrador lancerait l’alerte, mais Flin se contenta de se coucher à ses pieds. Aplati au sol, le museau entre les pattes Flin le regarda s’éloigner puis disparaître dans le bois.

La lumière de sa lampe repoussait les ombres des arbres sous un linceul d’étoiles scintillantes. Une chouette hulula et il se sentit épié. Les épaules enfoncées, Cléo se retourna de temps en temps à l’affût des bruits.

Tu imaginais quoi en te pointant en pleine nuit au milieu de nulle part !

Il reniflait l’odeur dense et humide du marais. Il poursuivit dans le silence de la nuit, à peine entrecoupé par le craquement de ses pas sur le tapis de feuilles mortes et de brindilles. Il se recroquevilla pour se glisser sous des buissons épineux et accrocha sa manche. Parcouru d’un frisson, il se débattit et déchira sa parka.

Il perçut un mouvement dans le noir au-dessus de sa tête, comme si quelque chose allait s’abattre sur lui. Il dirigea la lumière vers la cime des arbres et vit des chauves-souris qui tourbillonnaient. Le faisceau parut les affoler.

Je deviens parano.

Il braqua la lampe en direction d’une masse plus sombre. La Bruyère se dressait au milieu des ténèbres. La senteur âcre des planches pourries lui emplit les narines et le mit mal à l’aise. Une angoisse intense le dévorait, le maintenait à fleur de peau. Au moment de se frayer un passage entre les broussailles, il ne savait plus vraiment ce qu’il était venu chercher. Cléo bondit sur le côté quand un oiseau s’envola dans un claquement d’ailes.

Je ne suis même pas sûr de trouver quoi que ce soit dans ce foutu marais! Tu parles d’une connerie ! 

La cabane dépassée, Cléo s’égara et massacra sa parka dans les ronces. L’espace de quelques pas, il était complètement perdu. Jamais il ne s’était senti aussi inquiet, prenant conscience de sa solitude au milieu du delta. Il se forçait à chasser cette pensée en regardant de gauche à droite quand enfin son visage s’illumina. Il venait de retrouver le chemin qui longeait la berge. Une excitation monta en lui.

Ce n’est pas le moment de musarder.

Soudain il eut l’impression que son cœur s’arrêtait. Il se frotta les yeux. Là, à moins d’une trentaine de mètres, droit devant lui, une lueur brillait entre les arbres. Blanche et de forme curieuse, la chose fila en un clin d’œil sautant d’un buisson à un autre pour le survoler l’instant d’après.

Merde ! C’était quoi ce truc ? 

Bien trop grosse pour une luciole, Cléo imagina une hallucination, ou bien un fantôme, mais il n’en était pas sûr, d’ailleurs il souhaitait plus que tout au monde ne pas en être certain. Il lui fallut une sacrée dose de courage pour avaler les derniers mètres qui le séparaient d’un bras de mer, à la sortie du bois. Peu à peu, dans l’épais brouillard, une ombre massive se dégagea lentement. La peur redescendue, il comprit qu’il s’agissait d’une île qui s’étalait presque miraculeusement en face de lui.

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