15.

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Cléo s’enfonça dans le dédale de buissons. La forme arrondie de l’île s’agrandissait. L’atmosphère confinée du marais ne faisait qu’accroître une tension palpable sur chacun de ses muscles. Il gagna une langue de sable et apprécia la largeur de l’estey, d’environ une dizaine de mètres. Il nota avec surprise qu’ici les flots étaient plus agités et s’accorda un temps de réflexion. Puis, il pivota et rebroussa chemin pour contourner la rive qui lui semblait trop inhospitalière.

Bien qu’il reprit le même itinéraire, il ne reconnaissait pas le sentier. Les broussailles et les buissons lui fouettaient le visage. Les piles commencèrent à donner des signes de faiblesse. La lampe s’éteignit de façon brutale. Il plongea soudain dans une noirceur totale qui transformait tout de manière uniforme. Il eut beau essayer de la rallumer en lui tapotant le cul, les accus étaient vides. Il scruta l’obscurité, au début il ne voyait rien et puis la forêt d’abord dense se dévoila peu à peu. Il se fraya un passage sur une centaine de mètres, avant qu’une trouée plus large ne lui permette de retrouver la Leyre.

Merde ! Ce coin a l’air sacrément vaseux.

Il longea la rivière jusqu’à un coude où il tomba sur une petite plage de sable. Tout autour s’étageaient des bosquets de roseaux. Il retira le bonnet et essuya la sueur qui lui dégoulinait sur le front, ouvrit la fermeture éclair de sa parka et accéléra le pas.

C'est étouffant.

Ces jambes fatiguées commençaient à le trahir. Il marqua une pause et ressentit l’humidité qui se glissait dans son dos. Il était sur le point de rebrousser chemin lorsque la brume se dissipa peu à peu laissant émerger une barque, amarrée à un énorme tronc. Cléo se mit en quête d’une grosse branche pour pagayer et en délogea une près d’une souche.

Il entendit un léger froissement de feuilles suivi d’un craquement au sol. Il s’immobilisa.

Y a-t-il quelqu’un d’autre ?

Le vacarme lui parvint de nouveau. Il fronça les sourcils. Sous le jeu du vent, une sorte de hurlement déboulait vers lui.

Mon imagination me joue des tours.

Il inclina la tête, tendit l’oreille et réussit à localiser la direction des bruits. C’était Flin qui aboyait. D’après l’écho des jappements, Cléo pensa qu’il devait se trouver à moins d’un kilomètre de la propriété des Grenereau. Il étouffa un ricanement.

Voilà que je me mets dans tous mes états pour des grognements.

Il détacha l’embarcation, la poussa et s’accroupit à l’intérieur. Elle était étroite et instable. Cléo sentait au plus profond de ses tripes que s’aventurer sur ce bras d’eau sans y voir plus loin que le bout du nez relevait d’une extrême sottise.

Arrête de flipper pour rien.

Cléo esquissa un sourire en se demandant ce que Maude penserait de lui si elle pouvait l’observer barboter en pleine nuit. Sûrement rien de bien raisonnable. Il restait à l’affût des remous, rama et se laissa porter par le courant jusqu’à l’île. Il fonça droit sur un tas de branches enchevêtrées, et s’aida du bois pour s’en écarter.

La barque glissa lentement sur la grève. Elle s’arrêta d’un coup sec. Cléo sauta sur le rivage et d’emblée, constata que les hauteurs de la berge revêtaient des allures de forteresse imprenable avec sa barrière de roseaux aussi épaisse qu’un mur de béton.

À part un crétin comme toi, qui viendrait dans ce bourbier ? 

Il s’engagea péniblement au milieu des cannes et remarqua un passage étroit sur sa droite. Cléo s’y engouffra en repoussant avec fureur les dernières tiges qui se rabattirent aussitôt dans son dos. Il s’entêta, ruminant sans cesse, et ses efforts finirent par payer quand il découvrit un sentier qui s’ouvrait sur une clairière. Il observa attentivement tout autour et eut une seconde d’hésitation en repérant deux yeux rouges. Surpris, Cléo recula et les fixa à son tour. Il comprit qu’il était en présence d’une hirondelle de mer. On eût dit qu’elle prenait un malin plaisir à le voir souffrir. Il poussa un soulagement.

Je te remercie pour ton amabilité, enfoiré de piaf ! 

Alors que jusque-là, il s’était inventé mille bonnes raisons de quitter le marais, un galet plus luisant attira son attention.

Le caillou gisait au milieu de quelques gravats. Cléo parvint à distinguer son aspect poli, arrondi, aussi lisse qu’une coquille d’œuf. Il s’en approcha, se pencha et s’en empara. Au contact de ses doigts, il sentit un frisson le parcourir de la tête aux pieds. Il tomba à genoux.

Bordel ! Je crois devenir dingue ! 

Il creusa autour pour le dégager avec une intuition qui le poussait à se mordiller les lèvres. En l’arrachant, il souleva une poignée de sable et demeura quelques secondes les bras ballants avec un air hébété.

« Bon sang ! » s’écria-t-il.

Son pouls alla croissant et son corps se mit à trembler. Là, enfoui sous le sable, ce qu’il avait cru être un coquillage ou bien une pierre n’était autre qu’un fragment de crâne de la taille de son poing.

Il se redressa de tout son mètre quatre-vingt et voulut s’en retourner au plus vite, en emportant le morceau de boîte osseuse.

C’est une mauvaise idée, tu n’as tout de même pas l’intention de te présenter au commissariat avec cette saloperie dans les mains.

Il reposa la voûte crânienne, traversa le champ de tiges, les yeux grands ouverts, la sueur lui dégoulinant sur le visage. Il répétait à voix haute : Ayden disait vrai.

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