16.

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Le chemin du retour fut aussi laborieux que la traversée de la forêt s’était avérée accablante.

Cléo roulait à vive allure en direction d’Arcachon. Après le lavoir, il prit le virage trop serré et son pick-up chassa de l’arrière. Les pneus crissèrent et le véhicule se déporta dangereusement vers le bas-côté. Il braqua le volant, écrasa la pédale de frein et parvint à rattraper sa course. L’esprit toujours occupé par l’image du crâne, il s’engueula d’une cascade de jurons pour se concentrer sur la route.

À la borne kilométrique 3, Dieu sait pourquoi, il enfonça le pied sur l’accélérateur et manqua in extremis de renverser une vieille dame. Il s’injuria de nouveau et cogna le volant. Enfin, il se décida à ralentir. Il consulta sa montre. Il était neuf heures du matin et le soleil, déjà haut, réchauffait la ville. Il baissa la vitre et ressentit la chaleur emprisonnée par le bitume et les façades en béton. Elle abrutissait les rares promeneurs, le corps comme aplati sous la pire vague de feu que la baie ait connue en cette période printanière. Ces derniers jours, les bulletins de la météo prévoyaient que l’été 2022 serait torride.

Aussitôt garé devant le poste de police, il bondit hors de son pick-up. À l’instant où il franchit le hall d’entrée, une atmosphère lourde et humide s’abattit sur ses épaules, lui pétrissant les chairs aussi molles que le drapeau français, suspendu immobile au mât de la façade.

Situé sur la place Verdun, l’édifice abritait un terrible secret. Cette belle demeure, construite sur une tombe, était devenue le théâtre de phénomènes étranges, un récit de fantôme qui s’était déroulé de la mi-mai jusqu’au mois de septembre 1963. Des jets de pierres, dont l’origine restait inconnue, avaient mitraillé la bâtisse. L’heure de la chute des moellons se manifestait de manière capricieuse, avec une prédilection pour la tombée de la nuit. Malgré l’étroite surveillance du personnel, ce mystère n’avait pu être élucidé. Il suffisait que le brigadier Denis apparaisse au balcon avec une cigarette au coin des lèvres pour que les cailloux commencent à dégringoler. Dès qu’il se précipitait à l’intérieur pour se mettre à l’abri, les jets cessaient. Au début, personne n’avait prêté attention à ses dires, certains ragots de ses collègues faisant même allusion à sa sympathie pour les vins de Bordeaux. Mais, bien vite, une rumeur s’était répandue comme une traînée de poudre dans toute la ville. La bâtisse était hantée !

Les pierres, visiblement lancées d’assez haut, transperçaient le feuillage des platanes qui ombrageaient la cour. Un soir d’août, tandis que les moellons tombaient en abondance, le brigadier Denis avait constaté qu’ils provenaient d’un local désaffecté au deuxième étage, dans l’aile ouest. Il s’était élancé dans le couloir, et engouffré à l’intérieur du réduit, l’arme au poing. Au moment où il avait poussé la porte, un objet s’était mis à voler au-dessus de sa tête provenant du fond de la pièce, comme si quelqu’un s’y était caché. Pour en avoir le cœur net, muni d’une lampe électrique, il s’était approché, avait fouillé l’endroit qui servait de débarras où s’entassaient les caisses et les cartons, mais n’avait vu personne. Puis, de manière tout aussi inexpliquée, d’autres pierres lui avaient rasé la tête.

Cette même nuit, il était resté en planque sur l’ordre fâcheux de son supérieur. Aux alentours de minuit, quatre coups sourds avaient résonné le long des murs, et il avait cru que le plancher vibrait au point de le faire swinguer tel un danseur de rock. Le brigadier Denis s’était réfugié derrière une pile de cartons d’où on l’avait entendu hurler à pleine gorge du rez-de-chaussée. Ensuite, et toujours selon ses dires, des ongles lui avaient griffé le dos. Avec une hardiesse héroïque, il avait pris les jambes à son cou, dévalant l’escalier en trombe.

À cette époque, la brigade était importante, mais de nos jours il restait plus de cellules vides que de taulards à l’intérieur. Le maréchal des logis Denis jouissait d’une retraite méritée, et le phénomène des pierres volantes avait cessé. La remise rénovée servait désormais d’office au commissaire Terreu.

Son bureau donnait sur le balcon côté baie, ceinturée par un bardage au blanc éclatant mêlé au rouge acajou de la balustrade. La porte s’ouvrait sur un corridor mansardé et étroit qui menait à un escalier en bois aux marches à la hauteur si aléatoire qu’elles invitaient à une extrême prudence.

Sur la corniche, Terreu contemplait le Bassin. Il pénétra dans la pièce, prit une inspiration, et fit rouler le rideau d’une armoire métallique, pour y chercher un objet qu’il finit par dénicher. Il récupéra un catalogue avec une description détaillée sur la culture des rosiers rustiques. Cléo frappa à sa porte.

« Entrez ! dit-il.

— Excusez-moi… commissaire… vous… vous pouvez m’accorder une minute ? » demanda Cléo d’une voix proche de l’ivresse.

— Savez-vous que le parquet de mon bureau est ciré chaque matin ? balança Terreu en scrutant ses bottes en caoutchouc recouvertes de boue.

— Désolé, cette nuit… il faut… l’enquête… envoyer une équipe… il y a un cadavre dans le marais ! s’écria Cléo avec un mal de chien à reprendre son souffle.

— Cléo, pas la peine de hurler comme ça, je ne suis pas sourd. Asseyez-vous et répétez tout depuis le début, dit Terreu, étonné.

— Je peux ouvrir la baie vitrée ?

— Faites comme vous voulez Cléo, mais arrêtez de piétiner mon parquet ! » s’agaça Terreu.

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