3.

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Par une fin d’après-midi ordinaire, l’autobus déposa Ayden en face de la patte d’oie. Depuis leur installation dans la Créole, il avait pris l’habitude de galoper le long du chemin, son cartable sur les épaules. Il gravit l’escalier en quelques bonds pour surgir tout joyeux sous la véranda. Sur la terrasse, Erick savourait la douce lumière que procurait l’ombrage de l’airial. Il fumait, les coudes appuyés sur la balustrade, jetant de temps à autre un coup d’œil vers un héron aux longues échasses perché sur le cyprès chauve. Ayden se rua vers lui.

« Pa, je peux te poser une question ?

— Je t’écoute mon petit.

— Pourquoi personne n’habite la cabane qui est dans la forêt ?

— Je n’en ai aucune idée Ayden. Sinon, comment se passe l’école ? »

Ayden se passa la main dans ses cheveux blonds pour les recoiffer. D’habitude, il était pressé de monter dans sa chambre pour s’atteler à ses devoirs, mais cette fois, il semblait s’en moquer.

« Ils vont revenir, pas vrai ? Dans la cuisine, des bols sont posés sur la table. »

Erick fronça les sourcils. Il réalisa qu’Ayden s’y était aventuré seul, bien qu’il lui ait clairement interdit de le faire. Il eut envie de le gronder, mais il étouffa sa colère et adopta son attitude de papa responsable.

« Là, fiston, nous avons un sérieux problème. Nous avions convenu d’un accord tous les deux. Tu n’avais pas l’autorisation de partir là-bas, tu pourrais te perdre dans la forêt ou te blesser.

Pa, tout est différent dans notre nouvelle maison. Depuis ma chambre, je ne peux plus observer les étoiles comme avant.

— Et pour quelle raison fiston ?

— À cause du gros arbre devant la fenêtre, il bouche le ciel, je ne vois rien du tout ! »

Ayden paraissait au bord des larmes. Il s’assit sur les marches avec la mine boudeuse. Le voir ainsi était un vrai crève-cœur pour Erick. Il décida d’agir pour lui redonner le sourire.

« Eh bien, voici ce que je te propose. Nous allons installer ton télescope dans le parc, et organiser une soirée pizza, qu’en penses-tu ?

Pa, je voudrais admirer la lune depuis la terrasse de la cabane, là-bas, il y a une clairière tout autour, allez s’il te plait, dis oui », insista-t-il avec les lèvres arrondies en cul-de-poule.

Erick attendrit par cette grimace, se retint de rire. Il s’accroupit à côté de lui et lui caressa les cheveux.

« OK, fit-il d’une voix douce, c’est parti, on décolle, va chercher un pull et ton sac à dos, je prends le télescope. »

Ayden se redressa d’un bond, brandissant les poings en l’air. Il poussa un cri de joie qui résonna dans l’airial et au-delà.

« Oh, t’es chic Pa, pourrons-nous y dormir ?

— Les nuits sont trop fraîches, mais nous demanderons à maman de nous préparer de quoi grignoter et nous y resterons jusqu’à l’heure du coucher.

— Super ! Allons- y ! » s’exclama Ayden, emporté par l’envie furieuse de s’y rendre aussitôt.

Une heure plus tard, ils quittèrent la bâtisse bras dessus, bras dessous et longèrent la rivière. Ayden sirotait un jus de fruits et gambadait sur le sentier qui épousait les courbes de la rivière. La pénombre les enveloppa dès qu’ils s’engouffrèrent sous le couvert des arbres. Ils atteignirent la bicoque en peu de temps et Ayden fila droit vers elle. Erick tenta de le retenir d’un haussement de voix, mais Ayden feignit de ne pas l’entendre. Parvenu sur la terrasse, il se hissa sur la pointe des pieds, lorgna par la fenêtre, les mains protégeant ses yeux pour mieux voir à l’intérieur. Puis, il se détourna de la fenêtre, poussa lentement la porte, contempla la pièce et s’imprégna de sa fraîcheur et de la forte odeur de bois pourri.

Peu à peu, ses yeux percèrent l’obscurité et il découvrit un mobilier fait de bric et de broc. Un vaisselier avec des verres poussiéreux trônait contre un pan de mur. À côté, une collection de têtes d’animaux empaillés était suspendue à une poutre. Chaque bête paraissait le fixer. Ayden avança d’un pas prudent, attentif aux bruits environnants. Dans le fond de la pièce, une porte entrebâillée dévoilait une chambre exiguë. Il s’attendait presque à voir surgir un superhéros, ce qui lui procura une sensation de plaisir et éveilla encore plus sa curiosité. Se sentant en sécurité, il s’y dirigea, levant le regard vers une horloge murale.

Soudain, il bondit sur le côté au moment où le tic-tac régulier du balancier se déclencha comme par magie.

Dehors, Erick s’attardait sur les alentours, où une végétation dense s’étalait dans tous les sens. Son regard parcourut nerveusement l’ossature de la cabane. Il s’inquiéta de son état délabré. Une orgie broussailleuse de feuillus, de ronces et de buissons écrasait les bardages. C’est à ce moment-là qu’une vague d’angoisse le saisit en réalisant que la toiture menaçait de s’effondrer et que les poutres étaient bouffées par l’humidité.

Précipitant ses pas vers l’escalier recouvert de mousses, il le gravit en deux enjambées et, posant le pied sur la dernière marche, il s’immobilisa, saisi d’un sentiment étrange. Quelque chose de déroutant émanait de cet endroit, mais il demeurait incapable de mettre le doigt dessus, si ce n’est cette odeur puante qui lui remplissait les narines. Il inspecta la terrasse. Une gamelle pour un chien attendait qu’une ration y soit versée. Dans l’angle de la véranda, un casier de bouteilles de bière vides était trié avec soin.

Erick tomba nez à nez avec une poupée placée dans un rocking-chair. Son visage était mutilé, et elle portait une robe en lambeaux, l’étoffe noircie. Un souffle d’air la fit basculer, surprenant Erick. Il recula brusquement, butant une planche surélevée et chuta au sol. Malgré la douleur, il caressa d’un geste mécanique le bois, conscient de l’étrangeté de la situation.

La terrasse apparaissait d’une propreté immaculée, comme si une main invisible l’avait balayée et lessivée. Il eut l’impression que l’endroit était anormalement silencieux, trop même. Les oiseaux paraissaient avoir déserté les lieux pour se réfugier plus en profondeur dans la forêt.

« Ayden vient, on fout le camp ! » hurla-t-il en se relevant.

Erick constata que par cette soirée fraîche, il transpirait abondamment. Il s’essuya le front, pressentant qu’ils ne devaient pas rester là.

« Ayden ! On file d’ici ! », le pressa-t-il.

De son côté, cela faisait cinq minutes qu’Ayden s’était aventuré dans la pièce du fond, coupé des appels de son père. Il hésitait à ouvrir l’armoire au centre de la chambre. Emporté par la curiosité, il colla l’œil au trou de la serrure. Soudain, un cri d’effroi lui échappa alors qu’une étagère s’effondrait. Ayden se jeta en arrière. Tandis qu’il se relevait, une main puissante l’agrippa par l’épaule.

« Je t’ai demandé plusieurs fois de venir, le sermonna Erick, le visage rouge de colère.

— Mais, Pa, pourquoi on ne reste pas ? Il y a tant de choses à découvrir ! Peut-être qu’un pirate habite cette maison.

— Toute la structure menace de nous tomber sur la tête et le sol est si pourri que nous risquons de passer au travers. Partons, nous trouverons un autre coin pour observer les étoiles.

Pa. Pa ! T’es pas gentil ! », s’écria Ayden en se libérant.

Puis, il quitta la pièce en râlant.

Après son départ, piqué par la curiosité, Erick examina plus en détail la pendule. Tandis que ses poumons avalaient l’air humide, il sentit que ses pieds le trahissaient lorsque le plancher craqua. Quand le balancier de la pendule bougea, Erick sursauta presque à s’en étouffer. L’aiguille se mit en mouvement et indiqua dix-huit heures. Il fronça les sourcils. Comment un tel prodige était-il possible, qui avait fait cela ? pensa-t-il. L’instant d’après, elle continua à trotter, s’arrêta et repartit en sens inverse pour marquer quinze heures.

Se hissant sur la pointe des pieds, Erick la saisit pour la remettre sur le chiffre six. Soudain, il ouvrit grand les yeux. D’une manière bizarre, l’aiguille frétilla plusieurs fois sur place avant de remonter très vite sur le chiffre trois. Il leva aussitôt la main pour la ramener en arrière, mais avant qu’il ne puisse agir, Erick perçut les appels d’Ayden. Il hésita quelques secondes, sortit de la cabane, ferma la porte derrière lui, traversa la terrasse et entendit le carillon sonner trois coups.

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