2.
Maude sentit qu’elle avait froid. La chambre était baignée d’une douce lumière. De la main, elle tâtonna les draps, se retourna et constata que Cléo n’était pas dans le lit. Dommage, pensa-t-elle. Maude aurait aimé partager ce délicieux moment en sa présence. Chaque matin, son sourire lui réchauffait le cœur. Elle avait besoin de se blottir dans ses bras. Maude s’étira et regarda le réveil. Il était presque huit heures. Elle se haussa contre la tête de lit, coinça l’oreiller dans le dos, mit ses lunettes et mû par une humeur charmante, se surprit à rester ainsi à fainéanter. Rien ne pressait. Plus tard dans la matinée, elle se rendrait à son bureau de la faculté Bordeaux Montaigne en vue d’y corriger une dernière fois ses travaux sur les troubles de la personnalité multiple – une argumentation qu’elle prévoyait de présenter à ses confrères de la Fondation Charles Perrens.
Elle repoussa la couette des pieds, se leva, ouvrit grand la fenêtre. Cela sentait bon les mimosas en fleurs, une journée chaude et ensoleillée. Elle parcourut la pièce des yeux, quelques tee-shirts traînaient par terre et la porte donnant sur le palier demeurait ouverte. Elle alla dans le dressing, emporta une robe légère, une courte qu’elle aimait bien et qui mettait ses longues jambes en valeur. Maude sortit de la chambre, éteignit la lumière du couloir, ce qu’elle ne faisait jamais. C’est alors qu’il lui sembla entendre la voix de Cléo au rez-de-chaussée.
« Tu es là mon chéri ? »
Quand elle l’appelait ainsi, d’ordinaire, il lui faisait la surprise de remonter les marches avec une tasse de chocolat chaud qu’il lui tendait en la gratifiant d’un beau sourire. Mais, ce matin, l’escalier demeura silencieux.
« Cléo ? »
Un désagréable sentiment de confusion l’envahit.
« Cléo, c’est toi ? »
De la cuisine s’échappait une odeur de café fraîchement torréfié. Elle descendit, entra dans la pièce. Elle était déserte et la machine à café allumée, une tasse remplie et fumante posée sur la grille d’égouttage. Elle soupira en se demandant à quoi Cléo pensait ces derniers temps au point d’oublier son jus et de laisser la Rancilio branchée. Elle l’éteignit et s’empressa d’aller dans la salle de bain.
Quand elle se présenta devant la douche, elle sourit à l’idée de ressentir l’eau chaude couler sur sa peau. Sous le jet, elle n’entendit pas son portable retentir. Ce ne fut qu’après s’être habillée qu’elle découvrit l’appel de Cléo. Elle ne se donna pas la peine d’écouter le message tout de suite et pressa le bouton pour éteindre le téléphone. La sonnerie avait tonné plusieurs fois avant de basculer sur la messagerie. À cet instant, elle perçut de nouveau un bruit venant de la cuisine. On aurait dit la voix de sa mère et Maude sut aussitôt que cela n’avait pas de sens.
Elle sortit de la salle de bain, se positionna en haut de l’escalier et plongea un regard soupçonneux sur le hall. La porte d’entrée était ouverte et la chaîne du loquet pendait. Pieds nus, immobile sur le plancher froid, elle marqua une longue pause.
« Maman ? Cléo ? »
N’obtenant pas de réponse, elle descendit les marches très lentement. Parvenue au rez-de-chaussée, elle poussa la porte du bureau. La pièce était éclairée, et son ordinateur ouvert. Pourtant, Maude était certaine de l’avoir éteint la veille. Son cerveau fonctionnait maintenant par à-coups, incapable de réfléchir. Elle avança vers le secrétaire, posa la main sur l’écran. Il était chaud. Son P.C. devait être allumé depuis des heures. Qui s’était introduit chez elle ? Lui avait-on volé quelque chose ? Avait-on fouillé dans ses affaires ? Maude se sentit épiée. Une peur sournoise s’empara d’elle et sa respiration s’emballa. Maude scruta le bureau d’un autre regard, comme si quelqu’un s’y était tapi. Les yeux figés sur le fond de la pièce, elle recula en direction du hall. Soudain elle lâcha un cri quand son dos buta contre le porte-manteau.
Elle se retourna et vit son sac Chanel qui gisait au sol. Sur le guéridon, deux tasses vides étaient posées. Prise de panique, elle empoigna ses escarpins et se précipita dehors. Elle fonça tête baissée et s’écrasa contre Terreu qui se tenait sur le seuil, les mains dans les poches.
« Bonjour, Maude, que se passe-t-il ?
— Cléo est-il avec vous ? dit-elle d’une voix suppliante.
— Pas vraiment. Il est au commissariat, j’étais revenu pour laisser des instructions au jardinier qui doit venir ce matin pour nettoyer les massifs de roses. Je vous ai entendu hurler depuis le trottoir.
— J’ai l’impression qu’un rôdeur s’est introduit chez nous.
— Voulez-vous que je jette un coup d’œil à l’intérieur ?
— Oh, oui, avec joie ! », reprit-elle le visage pâle.
Terreu l'écarta en douceur et se glissa dans le vestibule. Puis il s’engouffra d’une pièce à l’autre avant de monter à l’étage. Il ne trouva pas de trace d’effraction. Il balaya du regard la salle de bain. Il contempla la chambre depuis le palier et dans le fond le dressing. Maude le cherchait des yeux. Elle tressauta quand Terreu déboula les marches pour la rejoindre.
« Je n’ai vu personne, je vais faire le tour de la maison pour m’assurer que tout est calme. Prévenez Cléo et demandez-lui de rester avec vous. Je peux me rendre seul chez monsieur Tach. Il devrait bientôt être là, dit-il en tendant son portable vers Maude.
— Merci, merci infiniment, mais je ne veux pas l’inquiéter pour rien et puis je dois m’en aller. Acceptez-vous de venir avec moi jusqu’au bureau, le temps que je prenne mes affaires ?
— Bien évidemment. »
Maude acheva de se chausser, plaça son sac à main autour de l’épaule et récupéra ses dossiers dans le bureau. Quand Terreu sorti, elle claqua la porte et la verrouilla. Ils se quittèrent au pied de la Zoé. Maude s’installa, posa son Chanel sur le siège passager et saisit son portable. Elle s’aperçut qu’elle avait reçu trois appels de Cléo. Elle lança le premier message.
« Bonjour, ma chérie, ce matin le commissaire Terreu est venu plus tôt que prévu pour me récupérer. Je ne t’ai pas réveillée, tu dormais profondément, je suis parti à la hâte et j'ai laissé pas mal de bazar derrière moi, je crois même avoir oublié d’éteindre la machine à café. Je t’embrasse mon cœur. À ce soir. »
Annotations