3.

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Dans la cour de la faculté de Bordeaux Montaigne, le vent agitait les sapinettes alignées en une haie rectiligne. Maude se gara. En descendant, elle réajusta sa robe. Un bus bondé s’arrêta à côté d’elle. Les portes s’ouvrirent et deux demoiselles apparurent. Elles riaient franchement entre elles. Maude s’attarda sur la première. Elle était d’une beauté saisissante avec de magnifiques yeux verts. Elle repoussa ses cheveux blonds qui lui couvraient le front, les laissant retomber en une cascade de bouclettes sur la nuque. Les deux étudiantes se séparèrent et la jeune femme marcha d’un pas rapide, un casque sur les oreilles, la jupe au ras des fesses. Elle baissa la tête, une main dans son corsage pour arranger son soutien-gorge et percuta Maude.

« En plein dans le mille ! s’exclama Maxine, je suis désolée, ça va ?

— Ce n’est pas grave, dit Maude en souriant, vous êtes sûrement pressée. »

Maxine releva la tête.

« Je me présente, Maxine Timber, je me rends au cours du professeur Denis.

— Maude Tirbois, enchantée. Au moins, vous partagez tous les deux ce don particulier de bousculer les gens lorsque vous les rencontrez, s’amusa-t-elle.

Maxine acquiesça d’un pincement des lèvres.

« Je suis si maladroite. Bien, j’ai été ravie de faire votre connaissance, malheureusement, je dois filer.

— Peut-être qu’à notre prochain accrochage, nous prendrons le temps de sympathiser », suggéra Maude en lui tapotant le bras.

Maxine lui sourit et hocha la tête.

« Avec grand plaisir, désolée, je dois y aller. »

Dans son bureau, Étienne s’apprêtait à rejoindre l’amphithéâtre quand son regard se posa sur une publicité en haut de la pile de courrier. Elle représentait la baie d’Arcachon avec ses deux cabanes tchanquées dressées devant l’île aux oiseaux. En grosses lettres, y était écrite la date du 25 mars annonçant la bénédiction des bateaux. Il sourit en repensant à Jeanne qui aujourd’hui vivait sur l’île dans le cabanon du vieux Virgil. Treize ans plus tôt, ça avait sérieusement dérapé dans les marais du delta.

Cela s’était passé en avril 2009. Bas sur la ligne d’horizon, le soleil ne s’était pas encore couché et ses dernières lueurs chatoyaient au-dessus de la baie. Jeanne se terrait depuis une bonne heure chez Charly, accompagnée de son fils. Caleb était ivre et hurlait comme un chien enragé. Le pied en appui sur la calandre de sa camionnette, il menaçait de mettre le feu à la cambuse. Lorsque Charly l’avait vu joué avec des allumettes, il s’était fourvoyé, se disant qu’après tout, cette dispute ne le regardait pas. Il avait poussé Jeanne et Seeker dehors. Fallait avouer que pour éviter les emmerdes, le vieux était sacrément doué. Mais, les larmes du môme avaient fini par lui fendre le cœur, dès lors, il s’était ravisé et souvenu du gaillard descendu quelques années plus tôt dans son bar. Il avait conservé son numéro de téléphone et l’avait appelé à la rescousse.

Au moment où Caleb avait flanqué une gifle sur la joue de Jeanne, Charly avait rabattu la porte sans bruit. Puis, il s’était éclipsé derrière le comptoir. De temps à autre, il relevait la tête, les yeux à peine au-dessus du zinc. Caleb bloquait du pied Jeanne au sol. Elle était allongée sur le dos avec le visage violemment abîmé. Charly s’était rapproché à quatre pattes de l’entrée pour la verrouiller. Puis, gardant l’œil collé à la serrure, il avait aperçu Caleb assommer Jeanne d’un coup de poing puissant. Une légère protestation s’était échappée des lèvres du vieux portant aussitôt les mains à la bouche, songeant surtout à ne pas se faire remarquer.

Quelques minutes plus tard, il avait entendu tambouriner contre la porte. Le visage pâle, les dents qui claquaient, Charly avait terminé de s’aplatir au sol. Caleb continuait de hurler dans la nuit et la peur tenaillait le vieux. Il s’était glissé sous une table, pensant qu’il s’agissait d’une cachette sûre. Puis, il s’était allongé en fermant les yeux, les mains plaquées sur les oreilles. Il s’était mis à prier — Notre Seigneur qui êtes si grand, faîtes que cet empiffré de Caleb dégage très vite — enfin, un truc du genre.

C’était à ce moment-là qu’il avait entendu une Land Rover débouler dans le parking. La voiture s’était arrêtée dans un crissement de pneus et Charly avait rouspété au bruit des cailloux qui mitraillaient sa devanture.

Caleb avait vu une silhouette d’environ deux mètres sortir du véhicule et foncer sur lui. Prenant son courage à deux mains, il avait bien tenté de fuir. C’était peine perdue. À peine avait-il prononcé « Ça veut dire quoi c’bordel ! » qu’il avait ressenti un choc brutal. Ensuite cela avait été le trou noir. Il ne se souvenait plus, ignorant jusqu’à l’endroit où son truck était garé. Il s’était essuyé le nez avec la main tachée de sang. Il se lamentait encore quand Charly avait débarqué.

« Eh ben, mon gars, t’as pas eu de veine. Sans cette foutue arthrose, je serais venu à ton secours », avait balancé le vieux.

Par la suite et de manière curieuse, Caleb s’était bien gardé de retrouver Jeanne et son fils. Il avait dû penser que sur ce coup, il s’en était plutôt bien sorti.

Deux semaines plus tard, le môme poursuivait ses études dans un pensionnat bordelais et Jeanne reprenait goût à la vie dans la cabane ostréicole de Virgil, la plus spacieuse du village Afrique, sur l’île aux oiseaux.

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