5.

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Maude était toujours en proie avec le sentiment étrange que la Fondation Haussler restait la clé du mystère qui entourait Pauline. Il y avait aussi la question du financement des nouveaux pavillons par Florence Tach qui la taraudait. Elle sursauta en entendant la porte d’à côté claquer. Puis, elle s’inquiéta au moment où un drôle de bruit résonna à travers la cloison.

Ce n’est pas possible, se dit-elle, il ne va pas recommencer son raffut.

Un véritable tintamarre se détachait du bureau d’Étienne.

Incroyable, il est en train de déménager toute la pièce.

Maude se leva, traversa la salle aussi vite qu’elle put, se précipita dans le couloir pour aller tambouriner à sa porte. Quand elle s’ouvrit, Maude lança un regard perçant à Étienne. Il s’écarta d’un pas nonchalant.

« Qu’est-ce qui ne va pas ? », dit-il, la mine presque surprise.

Maude ne répondit pas tout de suite et trimbala son attention d’un endroit à l’autre. Le fouillis était saisissant. Sur le secrétaire, il régnait un désordre indescriptible avec des dizaines de livres jetés pêle-mêle dessus. L’escabeau reposait renversé au pied de l’énorme bibliothèque. Deux corbeilles étaient remplies à ras bord, à croire qu’Étienne y avait entassé le courrier d’une année.

Il l’invita à entrer. Maude hésita un instant, sa colère se voyant comme un nez rouge au milieu de la figure.

« Ça va peut-être vous étonner, mais je triais mes dossiers et mes livres afin de les prêter à l’une de mes étudiantes intéressées par mes recherches sur les légendes gasconnes », poursuivit-il.

Maude se sentit embarrassée par son intrusion puérile. Tandis qu’elle continuait d’inspecter la pièce, il lui saisit la main pour l’entraîner à l’intérieur. Ce genre de comportement familier horripilait Maude. Elle le repoussa, prit ses distances, et baissa ses lunettes pour lui lancer un regard froid. Elle s’apprêtait à ressortir, lorsqu’il se plaça en travers de la porte. Elle remarqua immédiatement son bras tendu qui barrait le passage.

« Et après quoi ? Vous comptez m’empêcher de quitter votre bureau, dit-elle d’un ton agressif.

— Non, bien sûr que non, concéda-t-il, mais nous ne sommes pas obligés d’engager une joute verbale à chacune de nos rencontres. Ce n’était qu’une invitation franche de sympathie. Apparemment, j’ai eu tort, n’en parlons plus. »

Étienne retira son bras et adopta une attitude plus rassurante en se dirigeant vers le meuble Louis XV. Au fil des secondes, Maude finit par se dire qu’elle se comportait de façon idiote. Elle entra et referma la porte.

Sa curiosité se porta de nouveau sur la bibliothèque, les rangées de livres et s’attarda un long moment sur les aquarelles. Enfin, elle décocha un sourire.

« Ces lithographies sont sublimes !

— Merci. Cela représente pas mal d’années à fouiner dans les brocantes et autres lieux d’antiquaires. »

L’une attira l’intérêt de Maude en particulier. Elle la regarda avec plus d’attention et soudain ses yeux s’écarquillèrent. Puis, ils se mirent à tressaillir tandis qu’ils clignaient de manière effrénée. Étienne comprit à son expression qu’elle était terrifiée.

« Qu’y a-t-il, Madame Tirbois ?

— Oh, seigneur ! s’écria-t-elle, les mains devant la bouche.

— De toute évidence, cette représentation vous rappelle quelque chose de terrible.

— Je pensais que mes affreux cauchemars n’étaient que le fruit de mon imagination », dit-elle avant de se murer dans le silence.

Il revint à ses côtés, posa sa main sur la sienne. Maude retenait son souffle. Ensuite, elle recula, et renversa une chaise. Craignant qu’elle ne se laisse plus longtemps gagner par la peur, il voulut la tranquilliser et l’aider à se ressaisir. Mais Maude demeurait immobile comme prisonnière d’un lieu clos, oppressant. Elle s’adossa contre le mur, ferma les yeux. Elle s’imaginait incapable de bouger.

« Maude, ce n’est qu’une estampe avec ma pinasse. »

Ils étaient si proches, qu’Étienne entendait les battements de son cœur.

« Non… non, ce n’est pas ça ! Cette embarcation est exactement la même que celle dans mes mauvais rêves. »

« Calmez-vous ! Ce n’est qu’un dessin, je suis tombé dessus par hasard, il y a une dizaine d’années de cela. Je possède un bateau identique.

— J’ai l’impression d’être déjà montée à bord, et le nom sur la proue ne m’est pas inconnu.

— La Créole ! C’est ainsi que j’ai baptisé mon voilier ».

Les ongles de Maude s’enfoncèrent dans la peau d’Étienne. Elle crut que le monde autour d’elle s’écroulait. Une larme coula le long de sa joue tandis qu’une chaleur soudaine se répandait dans son corps. La cadence de ses battements devint plus rapide, envahie par une bouffée d’angoisse. Son cerveau lui donnait l’alerte — Tu dois fuir coûte que coûte.

« Je n’arrive plus à respirer, laissez-moi partir ! » s’écria-t-elle avec une sensation d’oppression toujours plus forte dans la poitrine.

Étienne la relâcha, et s’écarta.

Maude en profita pour se ruer vers la porte, l’ouvrir et avaler d’une foulée hâtive les quelques mètres qui la séparaient de son bureau. Elle entra et faillit perdre l’équilibre. Ses jambes la lâchaient. La gorge encore nouée, elle expira lentement, puis aspira une grande volute d’air. Elle enfouit son visage dans les mains et pleura à chaudes larmes.

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