Chapitre I
C’était Achour.
Achour Benachour.
Petit et menu, un mètre quarante-sept.
À peine.
Il trichait. Sans cesse.
Pour paraître plus grand, il n’hésitait pas à marcher sur la pointe des pieds, mais hélas, sa feinte ne trompait personne.
Sa peau jaunâtre était ridée par endroits et, sans l'avouer à quiconque, il souffrait des touffes délavées qui parsemaient le crâne irrégulier, évoquant, d’après les dires d’une méchante voisine, des îlots de graminées après le passage d’une tempête.
Il serait injuste de ne pas parler de ses dents alignées dans un ordre parfait. Par leur éclat, elles éclaboussaient la vilaine bouille aux traits extraordinairement ingrats et étonnamment asymétriques.
À sa naissance, Achour n’était pas plus grand que la main de sa mère.
— Un chaton, un ridicule petit chaton ! bougonnait la sage-femme, tout en trifouillant avec obstination le ventre de l’accouchée, à la recherche d’autres bébés.
— Un si gros ventre pour un si petit bébé ! De ma vie, je n’ai vu une simagrée pareille ! Quelle plaisanterie ! De qui se moque-t-on ? Hein ? Qu’il est ridicule, il ne mérite même pas la moitié d’un youyou ! Neuf mois pour une si petite chose ? gronda-t-elle en jetant Achour dans les bras de sa mère.
Elle était furieuse. Sa réputation de mettre au monde de beaux et gros bébés était définitivement ruinée ! Les mains tendues vers le ciel, elle invoqua des esprits avant de quitter la maison, refusant obstinément l’argent et les précieux cadeaux choisis par Benachour lui-même. Outrée, elle s’éclipsa par une porte dérobée.
La venue au monde du petit Benachour s’était déroulée dans le calme, sans cris et sans complications. Néanmoins, on colportait, par-ci, par-là, qu’il avait affiché une moue burlesque devant les yeux incrédules de l’accoucheuse. Les sourcils légèrement froncés et l’air cabochard, il l’avait longuement fixée du regard, sans cligner des yeux une seule fois.
Cinq jours plus tard, lors du marché hebdomadaire, l’accoucheuse que les villageois appelaient affectueusement hanna Izza, jura sur tous les saints, devant tous les chalands, qu’Achour Benachour, n’était pas un enfant comme les autres.
Le père, Moha Benachour, était heureux d’avoir un fils. Heureux à ne plus en dormir. Il l’aimait tellement qu’il le portait dans la capuche de son burnous. Pour rien au monde il n’aurait manqué une occasion pour le bercer tendrement, lui parler des terres, des moissons, des chevaux… Ce moment de complicité était souvent rompu par les sollicitations de la mère. Elle était intransigeante sur l’heure du bain, somme toute un prétexte pour avoir un peu son bébé pour elle, lui donner le sein en sifflotant de vieilles mélodies, le masser longuement et le parfumer d'eau de fleur d'oranger. Mais, et comment ne pas l'admettre, le petit Achour n’avait d’yeux que pour la capuche du burnous. Loin de son harnais douillet, ses hurlements ameutaient toute la maisonnée, sauf la tourterelle somnolente sur le figuier du patio.
Un jour, alors que le père se débarbouillait après une journée caniculaire, la mère s’était discrètement harnachée du burnous avec Achour dans la capuche. Le kidnapping déclencha des braillements assourdissants. Alerté, le père Benachour ne tarda pas à débouler de la salle d’eau, nu et luisant comme une limace. Même Ida, sa femme, ne l’avait jamais vu en costume d’Adam.
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