4 — Le collectionneur (1)

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Le musée de curiosités de Joakim Holm se trouvait à l’autre bout de la ville d’Augusta, à environ une heure de tramway pour moi. Ça aurait pu être pire.

Je relisais pendant le trajet mes notes de l’entrevue avec Isabelle Van Enhoorte tout en essayant d’extraire le plus possible des maigres informations obtenues la veille. Saleté d’ordinateur de merde, je l’avais retenu, celui-là. Quelques trous dans le récit de la vieille dame me perturbaient, au même titre que le flou autour des dernières années de son père. En recherchant sur Holm, j’ai découvert que la titularisation d’Isabelle comme professeur d’archéologie fut retardée de quelques mois pour des problèmes de santé. Ceux-ci semblèrent tomber en même temps que la mort de Van Enhoorte, ce qui pouvait être lié.

Nigel Van Enhoorte disparut en 2020 à l’âge de soixante-treize ans. Ce fait était répété à peu près partout. Robert Worthstram, l’un des proches collaborateurs et associés décéda aussi en 2020. Et l’un des événements majeurs pour la carrière d’Isabelle fut retardé.

Ça faisait beaucoup, je trouvais.

Soudain, j’eus comme une révélation, une épiphanie même. Mes yeux restèrent grands ouverts face à mes gribouillages qui servaient de notes. Mon popotin se dandinait sur le siège du tram comme un gamin excité. L’historien en moi n’avait jamais remarqué cette réalité, et je me demandais si la cécité n’avait pas frappé notre discipline, ou alors qu’elle l’aurait sciemment ignoré. Cette information traînait sous mon nez depuis le début, une évidence que je n’avais jamais percutée.

Aucun document ne mentionnait la date exacte de la mort de Nigel Van Enhoorte. Ni jour ni mois, seulement l’année 2020.

Putain, comment avais-je pu manquer un truc si énorme ?

J’ouvrai mon classeur et regardai une nouvelle fois les éléments concernant cette année visiblement bien chargée. Mort de Nigel Van Enhoorte, mort de Robert Worthstram, titularisation d’Isabelle retardée, et une coupure de presse énonçait que Francis avait aussi eu un accident. Mon instinct s’excitait dans tous les sens, c’était beaucoup trop de faits marquants la même année pour un cercle de proches. Cela cachait quelque chose.

Je ne pus m’empêcher de couiner comme une gamine face à cette révélation et ne parvint pas à effacer un sourire nerveux. Je me retrouvais désormais avec un chouette mystère à élucider.

L’annonce de mon arrêt interrompit mon fil de pensée. Je notai de manière succincte mes corrélations, rangeai tout mon fatras, puis descendit du train.

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Le cabinet de curiosités de Joakim Holm se trouvait quelques quartiers plus loin, à une vingtaine de minutes à pied du tram. Il s’agissait d’un coin calme, plutôt ancien, des vieux bâtiments, dont certains condamnés, d’autres couverts de graffitis, le genre d’endroit que la municipalité allait bien forcément péter et reconstruire un jour.

J’arrivai devant son échoppe : « Musée de curiosités Holm ».

Pas de grande fanfare, ni d’enseigne claquante ou encore de fioritures, c’était même plutôt austère. Le panneau de bois démodé aux traces noires causées par des années de pluie faisait pitié à voir. À l’inverse, la devanture bien propre laissait entrapercevoir quelques objets. Le reste était caché par des rideaux brise-vue, Holm ne permettait sûrement pas le lèche-vitrine.

Je poussai la porte et fus accueilli par le « gling gling » d’une clochette. Le magasin sentait le renfermé, peut-être que l’odeur venait des babioles anciennes. L’endroit était plutôt lumineux et les nombreux spots au plafond se reflétaient tous azimuts. D’après mes recherches, une bonne partie de sa collection provenait de la Galerie Worthstram, depuis fermée, et l’autre devait émaner de donations ou de ses propres pérégrinations. Je regardai rapidement les premières vitrines et y reconnut des objets que j’avais pu apercevoir en photo il y a longtemps. J’y vis un bout de tissu originaire de la toge d’un personnage de l’Antiquité, une statuette de pierre aux formes singulières qui donnait l’impression qu’elle portait une combinaison de protection, ou encore une espèce de boule rose qui reflétait la lumière bizarrement.

Je m’arrêtai devant un présentoir qui promettait de « voir à travers les murs ». C’était une vitre noire opaque au-dessus de laquelle une grosse flèche indiquait de passer sa main derrière. Je m’exécutai sans grande conviction, puis sursautai à la vue du squelette de mes doigts dedans. Je retentai l’expérience et mes os apparaissaient bien dans ce verre dense. Je me demandais bien quel était le « truc », je n’avais jamais assisté à une telle chose. J’avais bien entendu déjà pris des radios, mais les hôpitaux utilisaient des machines bien plus massives que ce bidule. Un sifflement admiratif m’échappa lorsque je lis sur la plaquette que cet objet aurait quatre mille ans selon l’étude de son matériau. Je ne vis aucun fil électrique pour le relier au secteur, cela m’interrogea quant à la source d’alimentation qu’il emploierait.

Je poursuivis ma visite et tombai sur le fameux « appareil photo », exposé au milieu d’une allée sous une épaisse vitrine. J’observai d’aussi près que je pouvais ce boîtier noir opaque, tachai le verre avec mon nez par mégarde, la nettoyai maladroitement, puis me rapprochai de nouveau avec précaution. Je constatai bien la présence de caractères indescriptibles pour moi. Je n’avais pas fait d’études des langues anciennes, donc mon ignorance à ce sujet ne me surprenait pas. La forme rectangulaire de l’objet rappelait bien un appareil photo, pas de doutes là-dessus. Je compris rapidement ce qui avait dérouté les scientifiques contournant l’artefact. Il ne possédait pas les commandes usuelles telles que la molette pour dérouler la pellicule, le déclencheur, et les quelques réglages auxquels je n’avais jamais rien pigé. Son dos assemblé d’un seul bloc présentait une pièce réfléchissante noire qui couvrait la majorité de la surface. Il était plutôt abîmé et pas mal rayé, mais l’ensemble restait encore en bon état. À l’avant, on reconnaissait bien un objectif dont la plupart des lentilles n’avaient pas aimé l’apparent mauvais traitement qu’il avait subi. Plusieurs points blancs autour reflétaient curieusement la lumière. À un moment, j’aurais juré voir une petite loupiotte s’allumer à mon approche. L’objet était fabriqué en magnésium si j’en croyais la plaquette en dessous, un métal vieux de cinq millénaires.

Millénaires ?! m’exclamai-je dans ma tête.

L’autre bidule qui permettait de montrer les os de ses doigts se vantait lui aussi d’un âge avancé. La collection de Holm était assurément intéressante et titillait ma curiosité. Ou alors elle pipeautait l’âge de ses artefacts.

Je relevai le nez et observai la boutique, mais ne vis personne à l’intérieur. Holm devait probablement être occupé et ne m’avait pas entendu entrer. En attendant, je continuais d’explorer son petit musée de bizarreries.

L’une d’elle, qualifiée de « montre inerte », attira mon attention. Elle ressemblait bien à une montre avec un boîtier argenté entouré par un bracelet assorti. La même sorte de dalle vitreuse réfléchissante que « l’appareil photo » couvrait l’ensemble de la surface principale. Un minuscule point rond sur le côté m’évoquait un bouton. La fiche descriptive expliquait que l’objet était considéré comme « inerte », car il ne présentait aucune fonction particulière. C’était juste un joli emballage qui reflétait la lumière sur son étendue et se mettait au poignet. Plusieurs bijoutiers et ingénieurs auraient tenté de le démonter, mais son assemblage si robuste et précis les dissuada de peur de le casser. Les conclusions des expertises disaient que le boîtier serait formé d’une pièce. De mon point de vue de béotien, cet objet partageait des similarités avec « l’appareil photo ». La surface y ressemblait et l’espèce de bouton à droite rappelait le déclencheur, mais en plus petit. Et j’avais l’impression de voir des points lumineux un peu partout dessus, mais peut-être était-ce aussi le reflet des spots.

J’entendis la clochette de la porte d’entrée retentir. Un autre curieux venait d’arriver, ou un excentrique au vu de sa tenue vestimentaire extravagante. Il portait un chapeau du genre Fedora sur la tête, une chemise rouge ouverte aux motifs floraux criards roses, avec une veste de costume orange dont je n’aurais jamais cru que cela pouvait exister, et un short. Appelez la police du bon goût !

Je haussai des épaules en supposant voir là le style de client et la dégaine typique des énergumènes qui devaient visiter ce genre de boutique en temps normal.

Je retournai à mon exploration, peut-être qu’à un moment Holm finirait par pointer le bout de son nez.

Un nouvel élément attira mon attention. Il me remémora le propos tenu par Isabelle Van Enhoorte à la fin de notre entrevue.

L’objet rectangulaire lumineux.

De loin, cet artefact collait à la description. Mais il ne me sembla pas si lumineux que ça à vrai dire. Il présentait les mêmes caractéristiques que la « montre inerte » ou encore « l’appareil photo » avec une surface noire réfléchissante. La fiche parlait d’un « miroir lumineux » de poche. Il était exposé à ma hauteur et je pouvais effectivement voir ma sale trogne s’y refléter. Mais ce n’était pas terrible non plus pour une glace, l’image s’avérait très sombre. L’objet avait une taille qui laissait bien penser qu’on pouvait le manipuler d’une seule main, corroborant l’idée d’un produit « de poche ». Malgré les dégâts dessus, il affichait un bon état et semblait lui aussi fait d’une seule pièce. Au milieu de l’arête supérieure, je pouvais distinguer plusieurs trous dont l’un qui me rappelait les lentilles d’un objectif d’appareil photo, mais si petites que cela ne pouvait l’être. Le reste m’évoquait les mêmes points blancs que les autres bidules anciens. La façade reflétait la lumière tandis que le tour gris ressemblait à de l’aluminium.

— Souhaitez-vous des renseignements ? entendis-je derrière moi.

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