4 — Le collectionneur (3)
J’étais de retour dans le tramway en route pour chez moi, dans le quartier résidentiel sud d’Augusta. Une heure de trajet à rester le cul assis dedans. J’en profitais pour reprendre l’analyse de mes notes, mais aussi trier les nouvelles informations acquises auprès de Joakim Holm.
Cependant, une forme de malaise m’accompagna pendant le voyage. Quelque chose n’allait pas, on me dévisageait, voire surveillait. Cela me rappela la façon dont la servante chez Isabelle Van Enhoorte me regardait pendant l’entrevue. Je levai le nez de mon carnet, observai autour de moi, rien à l’horizon en dehors de ces gens tout ce qu’il avait de plus banal dans un transport en commun tout aussi banal. Un homme au fond lisait un journal, une femme se maquillait, une autre rassemblait des affaires, elle devait sûrement descendre au prochain arrêt, un type venait de faire tomber son sac de courses, pas de bol, et un jeune garçon me dévisageait.
Je ne savais pas trop c’était quoi son problème à ce gamin, mais je supposais qu’il ne pouvait pas s’en empêcher. Je fus troublé par la profondeur de son regard qui brillait d’un bleu perçant. Lorsque nous traversâmes le tunnel, ses cheveux bruns présentaient de curieux reflets verts qui ne semblaient pas suivre la lumière. Peut-être une forme de coquetterie chez les jeunes, présumai-je. Je devais commencer à me faire vieux si j’en étais arrivé à critiquer les choix des mouflets. Il continuait de me dévisager, inlassablement.
Gamin débile, songeai-je en le regardant de travers à mon tour. Je poussai un long soupir, le malaise s’estompait, puis je replongeai dans mes papiers. L’annonce de mon arrêt sembla me réveiller, je ne pensais pas m’être assoupi, mais j’eus comme un sursaut. Je rangeai mon bordel, me levai, sortis de la rame, puis rentrai chez moi.
J’arrivai au bout d’une quinzaine de minutes de marche, inspectai ma boîte aux lettres, ramassai le contenu sans trop vérifier, puis ouvris la porte de mon appartement. Je balançai les courriers sur mon bureau, trop pressé de me remettre au boulot.
Une heure plus tard, j’avais le besoin urgent de me faire un café. Ma tête martelait à force de lire tous ces documents et tenter de faire des rapprochements. Je retombais sur la page où j’avais noté le nom de « Rafael Hernandez » en gros, souligné, avant « attention, potentiellement maboule » comme commentaire. Je pris la première lettre trouvée sur la pile pour la consulter le temps que mon breuvage noir favori coule. Cela venait de mon éditeur, probablement pour m’engueuler parce que je n’ai pas trop donné de nouvelles. Je mis celle-ci de côté, la seconde du paquet m’interpela, car elle provenait de mon bailleur qui se plaignait d’un mois impayé.
— Ça doit être une erreur, soliloquai-je tout en me brûlant la langue avec le café.
Je réglais tout en temps et en heure. Par acquit de conscience, je me rendis sur mon ordinateur, dégageai le bazar devant le clavier, puis consultai l’historique de mes mouvements bancaires. La ligne apparaissait bien avec le numéro de la petite carte qui m’avait servi à initier le virement. L’informatique avait beau être pratique et efficace, il fallait toujours générer ces supports pour lancer des transferts auprès des bureaux de l’agence immobilière.
Voilà quelque chose dont je n’avais pas besoin. Par chance, les locaux de mon bailleur se trouvaient à proximité de la mairie d’Augusta. Comme je devais m’y rendre pour aller creuser des informations sur Rafael Hernandez, j’allais en profiter pour aller râler.
Je passais le reste de la journée, puis toute la soirée à continuer d’étudier mes documents. Mes jambes me lâchaient et mes yeux se fermaient, il était temps pour moi d’aller plonger dans mon lit. Cependant, à mon grand étonnement, malgré mon état de fatigue, j’eus du mal à trouver le sommeil. Je ressentais toujours cette sensation malaisante d’être observé, épié, et suivi. Cette enquête devait m’avoir plus éprouvé que je ne l’imaginais, ou alors je n’étais pas totalement remis de la crève de la semaine dernière.
Annotations
Versions