10 — La carte impossible (1/2)

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— Je vous demande pardon ? demandai-je, stupéfait.

Le caractère inattendu, et même absurde, de sa question me laissa perplexe. Hernandez me soutint qu’ils avaient découvert dans les ruines un bureau traitant d’une « intelligence artificielle ».

— Les ordinateurs, les machines-outils, les engins de minage, agricoles, les trains, les bus, croyez-vous que tout ceci peut penser ?

Il insistait l’enfoiré, comme s’il exigeait de moi une réponse. Je me sentis pris au dépourvu et l’idée même me paraissait délirante.

— Je ne sais pas, bafouillai-je. Je dirais que non. Ces appareils sont fabriqués dans le but d’exécuter des tâches bien identifiées, ils déroulent une procédure. Les ordinateurs que j’ai utilisés durant mon enquête effectuaient des recherches dans les documents, mais ils ne manifestaient aucune initiative. Ils ne feront rien sans qu’on leur en donne l’ordre. Ils sont performants pour traiter beaucoup d’opérations. Cependant, ça n’en fait pas des machines « intelligentes ».

Hernandez me dévisagea, il m’intimidait.

— Enfin, pour ce que j’y connais à ces trucs, conclus-je.

— Ce « Bureau d’étude Intelligence Artificielle » a profondément marqué ma mémoire, répliqua Hernandez. L’idée nous parut aussi aberrante que celle d’une ancienne civilisation humaine avancée qui aurait disparu sans laisser de traces.

Je gisais sans voix devant de telles absurdités. Tout ce qu’il me racontait frisait le délire sous l’emprise de quelque drogue que ce soit. J’écoutais la suite de son témoignage en me demandant quelle histoire fumeuse il allait me pondre.

— Nous fûmes à nouveau transportés dans un autre monde en y entrant, commença-t-il. En apparence, on aurait dit un bureau ordinaire, avec tout un tas d’ordinateurs comme ceux du hall. Ils étaient tous cassés, d’autres réagissaient et s’éteignaient. Les éclairages s’allumaient dans cette pièce, ce bâtiment se réveillait à notre présence.

Les détecteurs pour déclencher les lumières n’étaient pas un prodige en soi. À l’inverse, l’idée que toutes les installations soient encore alimentées en énergie continuait de me perturber.

— Nous vîmes des tableaux avec plein de graffitis dessus, poursuivit Hernandez. Enfin, pour moi c’en était, mais Francis trouvait que ça ressemblait à des symboles mathématiques. Certains me disaient quelque chose, d’autres non. Je n’avais pas le bagage pour les comprendre si c’était bien le cas.

Son ouverture m’impressionnait toujours autant, même si son témoignage me laissait suspicieux. C’était comme s’il avait attendu ce moment toute sa vie.

— Les tableaux accrochés au fond de la pièce présentaient quelque chose de bien plus familier pour nous. Nous avions supposé que c’était le plan de cette ville. Le bâtiment où nous nous trouvions se situait au milieu, raccordé à d’autres par de gros traits. Il devait être le point central d’une sorte de réseau ou une organisation. Les structures étaient espacées d’une centaine de kilomètres selon notre déduction de l’échelle. Francis avait mitraillé de photos l’endroit, je crois qu’il avait déjà cramé six ou sept pellicules depuis le début.

Hernandez prit un morceau de papier et me dessina grossièrement quelques formes. Un rectangle au milieu devait symboliser l’immeuble. Il le relia à trois autres cercles dans lesquels il ajouta des petits carrés.

— Nous supposions que cette carte montrait des infrastructures équivalentes à celle où nous étions. Cela se confirma avec celle affichée à côté, représentant le monde. Elle me semblait si précise et détaillée, elle reproduisait des régions qui nous étaient inconnues. L’un des complexes auxquels cet endroit devait être connecté se trouvait au nord d’Augusta, sur l’île Massalia. L’autre était bien plus à l’est, dans le désert Mugulu.

— Si je comprends bien, l’interrompis-je, le plan montrait l’emplacement de villes similaires ? Comment expliquer qu’on ne les ait pas retrouvées ?

— Elles doivent être bien cachées, comme celle-là. Sûrement les agents qui s’assurent qu’on ne les trouve pas.

Et voilà, c’est reparti… soupirai-je.

— Ou peut-être détruites, ensevelies ? proposai-je d’une manière plus rationnelle.

— Peut-être, nous n’en savions rien. La carte du monde nous semblait si différente.

— Dans quel sens ? Tout à l’heure vous me disiez qu’elle était plus précise.

— Justement ! s’exclama-t-il. Elle montrait des endroits encore inexplorés. Et ceux qu’on connaissait déjà possédaient quelques divergences.

— Comment ça ?

— Les trois mégalopoles reliées à cette cité suivaient l’équateur.

Il continuait de dessiner au fil de l’explication, même si à force, ça devenait un gribouillage informe.

— Il y avait un point au niveau du continent occidental, traçait-il d’une manière frénétique. Un autre se trouvait sur celui au sud, plus proche de nous, et la dernière vers la Grande Tornade Pacifica.

— Attendez, l’interrompis-je brutalement, vous parlez d’une ville sur un océan ? Au milieu d’une tornade ? C’est du délire !

Je me rappelais bien de la Grande Tornade Pacifica, citée souvent en cours de géographie, et vue en partie dans mon parcours universitaire. C’était un phénomène météorologique tout aussi inexpliqué que la Brume, si d’aventure celle-ci en était un. Elle se situait au milieu de l’océan éponyme et formait une immense colonne opaque partant jusqu’au ciel. D’habitude, les ouragans vont et se dissipent. Celle-ci persistait depuis toujours et restait stationnaire. La seule chose que les scientifiques finirent par admettre fut leur ignorance et leur incapacité de comprendre. Comme la Brume, en fait. La vitesse des vents autour rendait l’approche impossible. Quelques aventuriers plus téméraires tentèrent de persévérer. Leur bateau vola en éclats, déchiqueté par ce mur d’air tournant à plusieurs centaines de kilomètres par heure.

Et Hernandez voulait me faire croire que cette ville existait à cet emplacement.

— C’est pourtant bien ce que la carte montrait ! insista le vieil homme. Les autres points se situaient à des endroits déjà connus, mais peu explorés, et je n’ai pas souvenir d’avoir entendu parler d’installations aussi prodigieuses là-bas.

— Moi non plus, confirmai-je.

— Et ce n’était pas tout, poursuivit-il.

Je ne savais trop pourquoi, mais je m’attendais à une surenchère.

— Ce plan impossible était complété par un second qui montrait le ciel, dessinait-il par-dessus son amas de gribouillages. Le trait partait en direction de la Lune.

— La Lune ? Genre la Lune, dans le ciel ? demandai-je, les yeux écarquillés et incrédules.

— Oui ! s’exclama-t-il comme un illuminé. Deux autres allaient dans le vide. La carte marquait des emplacements qui n’avaient pas l’air d’exister.

Pour moi, c’en était trop. Tout ceci devenait ridicule ! Ma carrière était bonne pour la poubelle si je devais écrire quelque chose d’aussi invraisemblable. Je suis historien, pas un auteur de science-fiction au rabais, bordel de merde ! Je ressentais une violente chaleur monter dans mon torse, tout ce délire m’énervait. Je pris une grande inspiration, expirai, puis remarquai que Hernandez me dévisageait d’un air inquiet. Il devait comprendre que je ne gobais plus ses salades.

— Nous étions abasourdis, continua-t-il. Ces cartes démontraient que leurs auteurs connaissaient mieux leur monde que nous, ainsi que le ciel. Ils étaient des bâtisseurs, des architectes habiles capables de connecter des métropoles géantes pour une raison qui nous échappait.

— Et nous n’avons jamais rien découvert à leur sujet, ajoutai-je d’un ton sec. Monsieur Hernandez, je dois vous avouer que je peine à croire vos propos.

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