11 — En un éclair (2/2)

3 minutes de lecture

Hernandez avait probablement dû m’appeler trois ou quatre fois avant que je ne réagisse. Je sortis de ma tétanie et ramassai mon cahier et mon stylo puis les posai sur mes cuisses. Je passais mes mains dans mes cheveux, je transpirais comme si j’avais couru un marathon.

— Ah, euh, oui, désolé, bredouillai-je. J’étais perdu dans mes pensées, excusez-moi. Continuez, s’il vous plaît.

Je pris une grande inspiration et expirai aussitôt avec une quinte de toux. Mes mains restaient moites et refusaient d’arrêter de trembler. Je me claquai le visage pour retrouver mes esprits. Hernandez répéta ses précédentes paroles. Je m’enfonçai dans le canapé, gêné par mon absence soudaine.

— On a recouvert le corps de Robert comme on pouvait pour lui construire une sépulture improvisée. Notre équipe avait repris le chemin vers la sortie. Nous marchions lentement, accablés par la douleur physique et émotionnelle. Nous étions toujours en état de choc. Je regardais plusieurs fois derrière moi et l’extrémité avait disparu dans le noir. J’avais peur que les éclairs de lumière puissent venir nous frapper dedans.

Il essuya son visage, je remarquai qu’il avait les larmes aux yeux.

— Van Enhoorte s’épaulait sur moi pour avancer. On allait lentement, il s’amoindrissait. Il finit par glisser et tomber sur ses genoux.

Il observa ses paumes avec insistance et les frotta machinalement.

— Sa peau était collée à mes mains, elle se détachait de son corps, annonça-t-il la voix déchirée. Il s’effondra au sol et fut pris d’une violente toux. Il cracha une glaire rouge. Ses yeux pleuraient du sang. Le peu de cheveux qui lui restait sur le crâne était tombé.

J’écoutais son récit avec ma main devant la bouche, horrifié. Je réfrénais un haut-le-cœur.

— Nous étions impuissants, continua-t-il la gorge nouée. Son corps se décomposait devant nous, il hurlait de douleur, il agonisait. Nous l’avions allongé sur le côté, mais rien n’y faisait. Nous étions formés aux premiers secours, mais ceci dépassait tout ce que nous pouvions imaginer. Son état empirait. Il vomissait du sang et la souffrance déformait son visage qui semblait comme craquelé. Sa respiration devenait de plus en plus lourde avec un son rauque, puis il finit par expirer son dernier souffle. Notre vieux professeur s’éteignit devant nous.

Je restais sans voix. Des larmes coulaient sur les joues d’Hernandez. J’ignorais combien de fois il avait raconté cette histoire. Était-ce la première ? Je frottais mes yeux humides, eux aussi, ma gorge s’était resserrée et ma poitrine pesait une tonne. Seul l’infernal cliquetis de la ventilation mécanique vint perturber cet instant solennel de silence. Une porte claqua depuis l’extérieur, elle nous fit sursauter tous les deux et reprendre nos esprits.

— Voilà donc pourquoi la dernière expédition de Nigel Van Enhoorte était restée cachée, finis-je par lâcher.

Hernandez acquiesça d’un hochement de tête et enchaîna sur la suite.

— Nous avons réussi à atteindre la sortie pour retourner dans notre monde plus familier. Cet endroit était plein de vie malgré la nuit. Des arbres, des hululements, le vent qui faisait danser les feuilles et craquer les branches. Le tableau était l’opposé absolu de l’apocalypse éprouvé de l’autre côté, sous la Brume. C’était d’abord postapocalyptique, vide et mort, puis le temps semblait avoir remonté en arrière pour nous montrer ce qu’il s’était passé.

Je remarquai qu’Hernandez frottait nerveusement ses bras.

— La deuxième équipe vint à notre secours et nous ramena à Ughvaere. Mon état s’aggrava et je fus pris des mêmes symptômes que Van Enhoorte. Le médecin du coin fut incapable de m’aider et m’envoya d’urgence à l’hôpital. À ce moment-là, c’est le flou, je crois que j’avais fini par perdre connaissance.

En quelques instants, toutes les pièces du puzzle de l’année 2020 s’assemblèrent. La mort de Nigel Van Enhoorte durant sa dernière expédition, celle de Worthstram, maquillée en accident d’escalade, et la marque sur le bras d’Isabelle. Cela devait expliquer le retard de sa titularisation et ce fameux « accident » qui servit d’excuse. Tout comme je me rappelais que Francis aurait aussi eu une mésaventure cette année-là. Le témoignage d’Hernandez fut incroyablement révélateur, en espérant que sa mémoire soit fiable en raison de son âge et du traumatisme qu’il aurait vécu. Je tentai une dernière question pour en apprendre davantage.

— Savez-vous ce qui était arrivé aux autres membres ? À Isabelle, Francis, ou Marie ?

Le regard glacial qu’il m’adressa ne présageait rien de bon.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Seb Astien ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0