16 – La lettre (1/3)

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Le petit vieux devant moi se retourna et m’adressa un regard offusqué. Le soupir agacé que j’avais laissé échapper ne fut pas d’une grande discrétion.

Un problème, papy ?

Je lui répondis par un sourire niais. Il me dévisagea longuement avant de reprendre le sens de la file.

Les magasins faisaient partie de mon classement des endroits que je détestais fréquenter et leur position oscillait généralement entre la troisième et la deuxième. La première restant l’indétrônable administration. Quand ce n’est pas un des articles dont j’ai besoin qui est en rupture, c’est mamie qui cause pendant un quart d’heure avec le caissier. Ce fut le combo des deux, aujourd’hui.

Je commençais à fatiguer avec le bordel entre mes mains. Je portais une boîte avec des chaussures de randonnée, une trousse de premier secours, et un bonnet. On dit que ça caille à Ughvaere en cette période de l’année. J’avais pris ces godasses, car je m’attendais à un terrain dégueulasse. Le kit de soins, parce que, si j’étais souvent à un cheveu de me couper un doigt quand je cuisinais, je devais anticiper si je comptais bien partir à l’aventure en cambrousse.

L’idée n’avait pas arrêté de me trotter dans la tête depuis deux jours. Je devais aller à Ughvaere. Si je pouvais y trouver là-bas le fameux tunnel et prendre quelques photos, j’aurais des preuves à apporter. Est-ce que j’irai jusqu’à l’explorer ? Tout seul ? Trop risqué. Je restais néanmoins tiraillé par cette envie de tout découvrir par moi-même, voire tomber sur des indices que l’expédition aurait manqués lors de sa visite. Mon ventre frétillait d’excitation à cette idée, ou alors de peur. Mes sentiments se contredisaient toujours.

J’avais envoyé un courrier à Erika, une vieille amie travaillant au centre de recherches volcanologique de Maia. Je lui partageais mon projet de me rendre dans ce patelin des Karpaty et je sollicitais ses conseils pour me protéger de l’activité de la chaîne de l’Héral. Ces volcans entraient constamment en éruption, au point où toute exploration à proximité s’avérait dangereuse. Comme Nigel Van Enhoorte l’a observé, la chaîne des Karpaty prolonge celle de l’Héral. Ma lecture des journaux de l’expédition avait confirmé l’absence de risque, mais on est jamais trop prudent. J’en profitais pour lui proposer qu’on se fasse un restaurant pour causer du bon vieux temps.

J’avais une autre appréhension qui me tordait les boyaux. J’allais devoir en parler à Nathalie à un moment donné, et je craignais sa réaction. Je reconnaissais moi-même mon obsession pour cette enquête et mon incapacité à m’arrêter. Et à cet instant, je m’équipais pour me rendre sur place. J’avais imaginé la conversation dans ma tête. Dans une version, elle me passait un savon. Dans une autre, elle m’encourageait. Elle se joignait à moi, dans une de mes hypothèses. Ce scénario était le moins probable, elle ne pouvait pas s’absenter aussi longtemps.

— Ah, enfin, soupirai-je de nouveau.

Le vieil homme venait de passer à la caisse et c’était mon tour. Le jeune en face semblait intimidé, l’exaspération devait se lire sur mon visage.

— Désolé pour l’attente, monsieur, s’excusa-t-il d’un ton contrit sans me regarder.

Non, t’inquiète, j’adore perdre mon temps avec une vieille qui raconte sa vie cinquante fois dans le détail pendant que douze personnes poireautent derrière. Et c’est pas comme si vous aviez quatre caisses, après tout. Les trois autres doivent faire partie du décor.

— Pas de soucis, répondis-je.

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