18 — Les curieux (1/2)
L’escalier mécanique du métro de Maia me ramenait doucement à la surface. Je tapotais du bout des doigts un rythme improvisé sur la rampe, tandis que la lumière du jour remplaçait les artificielles. Cette infrastructure souterraine était formidable, bien plus étendue et mieux maillée que les transports d’Augusta. Quelque chose me disait que les constructeurs de ce métro voulaient en mettre plein la vue avec ses larges quais richement décorés, et les rames de la taille d’un train. Et elle était si profonde que j’avais l’impression que cet escalier me tirait du centre de la Terre.
L’agence de recherche volcanologique de Maia apparaissait devant moi. J’avais rendez-vous avec Erika, une vieille amie du lycée qui y travaillait depuis une dizaine d’années. Je n’osais pas imaginer la surprise qu’elle avait dû avoir en recevant mon courrier. Donner des nouvelles, c’était vraiment le domaine dans lequel je ne brillais pas. On me le reprochait souvent alors que, moi, ça ne me dérangeait pas de revoir du monde bien plus tard. Je vis ma vie, ils vivent la leur, ça me suffit. Les conventions sociales n’ont jamais été ma tasse de café.
— Bonjour, Alexandre Carezzo, annonçai-je à l’accueil. J’ai rendez-vous avec Erika Torolsin s’il vous plaît.
— Bonjour, je la fais appeler.
Le jeune derrière son bureau fit signe à l’un de ses collègues qui devaient avoir le même âge. À croire qu’ils n’embauchaient que des gamins pour ce boulot ? L’autre partit aussitôt dans l’ascenseur.
Le centre était très moderne malgré son âge. Il avait été fondé il y a près de quatre siècles par différents éminents spécialistes qui avaient voulu rassembler les compétences à proximité des spécimens les plus étonnants. En l’occurrence, les volcans de l’Héral.
L’Héral était une chaîne montagneuse qui traçait une frontière naturelle du nord au sud du continent. Elle se composait de plusieurs poudriers de petite taille ainsi que de trois immenses qui rugissaient en permanence. Le hall du bâtiment exposait une maquette imposante qui reproduisait les volcans. Un jeu de lumières et de tissus agités par des ventilateurs cachés en dessous offrait un spectacle fidèle à la réalité.
— Alex ! entendis-je derrière moi.
Je me retournai et reconnus tout de suite Erika. Elle n’avait pas trop changé depuis la dernière fois que je l’avais vue et cela m’étonna. C’était pourtant il y a une vingtaine d’années. Je découvris néanmoins quelques marques laissées par le temps. Elle avait de charmantes pattes d’oie le long de ses yeux qui allaient de pair avec son sourire. Ses cheveux mi-longs noirs tenus vers l’arrière par un serre-tête n’avaient pas perdu de leur éclat, contrairement aux miens qui avaient viré au gris. Je notai tout de même qu’elle avait pris quelques formes plus généreuses et m’assurai de ne jamais y faire allusion.
— Ça fait un bail, dis donc, ajouta-t-elle.
— En effet. J’aurais dû te donner des nouvelles un peu plus souvent…
— T’inquiètes, m’interrompit-elle, je sais comment tu es après tout. Alors, qu’est-ce que tu deviens ? Dans ta lettre, tu annonçais être sur un projet qui demandait de l’expertise dans mon domaine ?
— Oui, j’écris un livre sur les derniers travaux de Nigel Van Enhoorte. Et durant l’un d’eux, il aurait exploré un endroit proche de la chaîne de l’Héral. Je voulais m’assurer que c’était sans danger.
— Que dirais-tu qu’on en parle autour d’un bon repas ? proposa Erika. Ce midi ?
— Ah, bah pourquoi pas ?
Elle se retourna et appela le jeune homme qui était parti la chercher à mon arrivée.
— Luc ! Viens par ici !
Il accourut aussitôt.
— Oui, ma…
Il s’arrêta en me regardant d’un air inquiet, se racla la gorge, puis reprit.
— Madame Torolsin ?
Elle s’adressa au garçon d’une façon bien familière avec une tape affectueuse sur l’épaule.
— Allons, cesse ton cinéma ! Va réserver une table pour mon ami et moi chez Volosk, s’il te plaît.
— D-d’accord !
Le jeune déguerpit aussitôt.
— Tu sembles impressionner les gamins ici, leur as-tu fait quelque chose ? demandai-je, légèrement préoccupé.
Erika s’esclaffa.
— Mais non, mais rien du tout ! Qu’est-ce que tu vas t’imaginer ? Luc est mon fils, il fait son stage. La responsable de l’accueil exige que tous les employés respectent le protocole. Il s’adresse donc à moi d’une manière qu’il n’aurait jamais osée auparavant.
— Ha ! Voilà qui n’est pas banal ! m’amusai-je.
— Que dirais-tu d’un tour du propriétaire en attendant ?
— Avec plaisir !
Elle me conduisit à la réception pour que j’enregistre ma venue et laisse ma carte d’identité en l’échange d’un badge de visiteur. Je passai le cordon autour de mon cou, puis je la suivis.
— Et toi, Erika, tu bosses sur un projet en particulier ?
— J’ai surtout papillonné en réalisant quelques piges pour divers groupes d’études ici. J’ai finalement réussi à obtenir l’accord pour lancer mon propre sujet.
— Tu peux en parler, ou bien c’est privé ?
— Je peux te donner quelques informations disponibles publiquement. Il s’agit d’un moyen innovant de percer le secret de l’Héral.
— Vraiment ?
— Enfin, on espère que ça portera ses fruits.
Nous entrâmes dans un bureau qu’elle referma aussitôt. Elle entassa une pile de dossiers pour faire de la place sur une table centrale et m’invita à m’assoir. Je regardai les cartes des principaux volcans de l’Héral accrochées aux murs. Je reconnus plusieurs fois qu’ils avaient tracé le trajet du train dessus. Un « comment ?! » écrit en gros au niveau de son chemin me fit entendre qu’Erika se posait mes mêmes questions que moi. Autour de la montagne fumante se trouvaient plusieurs cercles qui s’éloignaient dans une couleur froide. Cela devait être l’activité du volcan. Cependant, je ne comprenais pas la signification de la petite tache noire au cœur du puits de lave.
Un autre document de grande taille représentait un plan d’un appareil plutôt complexe.
— C’est ça, mon projet, fit Erika en constatant que j’observais ce tableau en précis.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Une sonde, annonça-t-elle fièrement. C’est mon bébé. Enfin, mon deuxième, après Luc. Elle est installée dans le corps d’un véhicule tout-terrain renforcé qui aura pour mission d’aller au plus près du volcan. Ces tiges s’enfonceront dans le sol et enregistreront l’activité sismique à chaque expulsion de matière. Elles sont bardées de capteurs. Nous espérons que ces relevés nous aideront à mieux comprendre pourquoi ils sont en éruption permanente.
— Oh, je vois.
— Et là, c’est un sonar de haute précision qui est prévu pour cartographier le manteau.
— Ah oui ?
Cela me rappelait l’équipement de pointe qu’utilisait Van Enhoorte durant certaines de ses expéditions. Notamment celui qui lui permit de découvrir les ruines d’un village sous la glace du continent Australis.
— Pourquoi y a-t-il cinq points autour du volcan ?
Je me rendis compte que j’avais levé la main comme si j’étais en classe.
— Parce que nous déploierons cinq sondes afin d’obtenir des relevés très précis !
Elle s’arrêta quelques instants et reprit.
— C’est un projet dangereux, car nous piloterons les appareils pour pouvoir réaliser les enregistrements.
— Tu vas aller sur le terrain ?
— J’aimerais bien, mais l’institut est contre. L’opération sera confiée à une entreprise d’intervention en milieu extrême qui ramènera les données.
— C’est le trajet du train ? dis-je en me levant et suivant le tracé du bout du doigt.
— Tout à fait ! Il passe tellement près que nous ne comprenons pas comment il parvient à ne pas se faire canarder de rochers en fusion.
— Et le point noir au centre, là ?
— Une forme que les précédentes sondes avaient enregistrée. Elles étaient trop loin et plutôt imprécises. Leur technologie relevait plus de la preuve de concept qu’autre chose. D’où ce nouveau projet. C’est la mère de toutes nos interrogations.
— Pourquoi ?
— Parce que cette forme ne devrait pas se trouver ici ; il n’y a que du magma. Et les données dont nous disposons à ce jour viennent contredire cette assertion.
Son sujet me fascinait et je ne pus m’empêcher de faire un parallèle avec le mien. Erika recherchait une chose tapie dans l’un des endroits les plus dangereux de notre planète. Tout comme Van Enhoorte avait tenté de découvrir ce qui se cachait sous la Brume. Et moi, qui voulais apprendre si ce qu’on aurait trouvé là-bas était vrai ou non.
Pourquoi ne voit-on pas plus de gens comme Erika, Van Enhoorte ou moi, curieux de savoir plus sur leur monde ?
Le bruit de quelqu’un frappant à la porte de son bureau interrompit mes pensées. Elle s’ouvrit, Luc était de retour. Il entra et referma derrière lui.
— C’est bon, j’ai réservé pour midi trente.
— Merci mon chéri, fit Erika d’un air malicieux.
— M’man… pas au boulot… répondit-il, le visage empourpré.
— Je vois que ta mère ne s’est pas calmée avec le temps, intervins-je d’un ton léger. Elle n’arrêtait pas de jouer avec mes nerfs au lycée.
— Et tu aimais bien ça, avoues, répliqua-t-elle.
— C’est vrai.
— Vous dites ça comme si… bafouilla le jeune homme.
— Il se pourrait bien qu’Alex et moi sommes sortis ensemble à l’époque, pendant quelques mois.
— Un an, complétai-je.
— Environ, conclut-elle.
— Je… j’ai du travail, je dois vous laisser !
Luc partit en coup de vent tout en claquant la porte. Cette séquence de retrouvailles entre ex-petits amis devait avoir perturbé son fils. Je trouvai amusant de voir à quel point il était son opposé, plutôt réservé là où Erika était extravertie.
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