19 — Un simple voyageur (3/3)

3 minutes de lecture

Après environ une semaine passée dans sept trains différents et une étape à Maia, j’arrivai enfin à Ughvaere, en fin d’après-midi. Je quittai la gare et découvris une petite ville au charme campagnard, un côté authentique, avec malgré tout des commodités modernes. Les montagnes des Karpaty s’étendaient au loin à l’horizon. J’appréhendais toujours ce que j’allais y trouver, ou ne pas y trouver.

La taille de la chaîne montagneuse me fit prendre conscience que l’entreprise allait s’avérer plus difficile qu’imaginée. J’avais la carte et le point précis indiqué par Hernandez, mais la superficie restait très vaste. Et si je me paumais dans ces forêts ? Je n’aurais peut-être pas dû partir seul à l’aventure, avec le recul.

J’aurais apprécié avoir cet éclair de sagesse une semaine plus tôt. Et aussi de ne pas l’avoir renié à chaque fois qu’il me frappa.

Ma valise roulait péniblement sur les trottoirs pavés, accompagnée par un boucan digne d’une mitraillette. J’évitais de croiser le regard de quelques riverains au visage irrité par mon manque de discrétion. « Ah, ces abrutis de touristes », devaient-ils penser. Ou alors je me faisais des idées.

Je longeai une avenue de bâtiments à l’architecture intéressante. Certains étaient récents, aux formes très carrées, avec des fenêtres en bois et des balcons me rappelant les quartiers résidentiels d’Augusta. D’autres, plus anciens, me semblaient plus typiques de la culture locale. Ils arboraient des devantures arrondies, plus recherchées, sans doute inspirées du style gothique. Le délabrement de certaines des pierres beiges témoignait d'une plus grande vétusté. Les huisseries étaient richement décorées de motifs floraux. Juste après, c’était un autre bâtiment qui jurait avec le précédent. Il était impeccablement peint en vert laurier, avec des arcs blancs ou pâles. Les lignes et les triangles au-dessus des fenêtres étaient sobres, mais sophistiqués. Les balcons, encadrés de rampes en fer forgé, attestaient une époque plus antérieure.

Le parc situé au bout de l’avenue me rappela celui de la ville où j’ai grandi. Il possédait les mêmes bosquets couverts de sapins qui entouraient des chemins calmes. Une rivière traversait l’endroit où je m’amusais, comme tout sale gosse qui se respectait, à faire peur aux canards. Les adeptes du vélo tout terrain et des sensations adoraient parcourir ces hauts talus abrupts. Je me remémorais la tentative d'une de ces descentes étant gamin. Je m’étais violemment éclaté. Quand ma mère m’avait récupéré, je chialais avec le bras en sang. Elle était devenue toute blanche et m’avait aussitôt amené à l’hôpital. J’avais bien failli me casser un membre avec mes conneries. Cela m’avait calmé.

J’arrivai devant l’hôtel Libertatii, un bâtiment qui semblait avoir connu des jours meilleurs, avec sa façade orange ornée de briques rouges et ses fenêtres arrondies encadrées de pierres laiteuses, certaines ébréchées, d’autres manquantes. Le toit en bois avait lui aussi besoin d’un bon rafraîchissement. Je me présentai à la réception dont la décoration restait très sommaire. Une vieille femme m’accueillit, avec un gars derrière, probablement son mari. L’intérieur exhalait la résine de pin et des haut-parleurs dissimulés dans les lambris diffusaient une musique classique à peine perceptible. J’emportai avec moi un des plans de la région qui traînait sur les étals.

Une fois installé dans ma chambre, je me glissai sous la douche pour effacer toute la fatigue du voyage. Le produit de bain sentait l’amande. Il me laissa la peau aussi douce que des fesses de bébé. Je me séchai puis ouvrit ma valise sans prendre la peine de me rhabiller. Je sortis un de mes dossiers, puis la carte où j’avais noté tous mes repères.

— Donc, le patelin est ici, soliloquai-je en pointant l’emplacement du bout du doigt.

L’endroit supposé de la grotte se localisait à environ vingt kilomètres. Je dépliai celui récupéré à la réception pour comparer. Un camping se trouvait à cinquante kilomètres à l’est. C’était le point de départ d’un parcours de randonnée qui allait dans le sens opposé de la zone que je convoitais.

— Parfait ! Personne pour m’emmerder.

Et personne pour t’aider en cas de pépin.

Un frisson se manifesta dans le bas de mon dos. Les petites voix dans ma tête s’engueulaient depuis une semaine à propos de ce voyage. Ma curiosité et mon obsession pour cette affaire me poussaient à persévérer. À l’inverse, la crainte de me paumer en pleine cambrousse m’effrayait. Ça, et le risque de tomber sur les types qui ne veulent pas que je continue.

Je m’allongeai sur le lit et soupirai. Mes paupières se refermèrent brièvement, laissant place au silence qui régnait dans ma chambre. La rue était déserte et l’hôtel éloigné du tumulte routier. Un bruit sourd répété provenant de la pièce voisine vint perturber cet instant de sérénité. Il s’accompagnait de quelques gémissements étouffés, parfois moins pudiques.

— Au moins, certains prennent du bon temps.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Seb Astien ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0