20 — Balade en forêt (1/2)
Le matériel embarqué pour mes fouilles était étalé sur le parquet de ma chambre d’hôtel. Je fis de nouveau un rapide inventaire. J’avais pris une gourde et quelques provisions achetées dans un commerce en bas de la rue. J’avais prévu des outils pliables pour creuser et préféré garder une des deux bouteilles d’oxygène données par Erika pour éviter le surpoids. Enfin, j’emportai avec moi mon appareil photo, les pellicules de rechange, trois lampes torches puissantes, des gants de jardinage renforcés, une corde — ça peut toujours servir —, et un sac de couchage épais. J’avais envisagé ce dernier si jamais je devais me reposer pour éviter de mourir de froid. Ce modèle possédait un petit chauffage interne sur batteries. Je vérifiais leur état, chargées à bloc, parfait.
À côté de ce foutoir se trouvaient quelques documents que j’allais conserver avec moi. Il y avait mes reproductions des dessins de Marie Parella, les cartes indiquant l’emplacement du prétendu tunnel, les notes de Van Enhoorte, ainsi que deux grands cahiers prêts à se faire gribouiller. Mon sac de randonnée allait peser une tonne. Mon dos se plaignait rien qu’à l’idée de le trimballer sur les vingt kilomètres qui me séparaient de l’endroit convoité.
J’entassai tout dedans, enfilai un pull, mon gros manteau, mis le bonnet et les gants dans les poches, puis quittai ma chambre après m’être assuré de l’avoir bien verrouillée. Je me rendis chez un commerçant à deux pas qui louait des vélos tout terrain. Cela me parut une meilleure idée pour me déplacer plus facilement tout en gardant une certaine discrétion. Je n’avais pas posé mon cul sur un de ces trucs depuis des années, des regrets germaient déjà en moi. Je couvris ma tête avec le casque, le sanglai proprement, mis mes gants et partis à l’aventure.
Ne te crève pas en fonçant comme un malade. Tu as tout ton temps, m’ordonnai-je. Mon excitation me fit pédaler plus vite que je ne le voulais et je fatiguais après quelques premiers kilomètres. Jusqu’à ce que je me souvienne de l’assistance électrique ! Voilà qui allait mieux.
Le froid lacérait les parties exposées de mon visage. Le regret de ne pas avoir pris une écharpe traversa mon esprit. Quelle erreur ! Je m'accordai une petite pause arrivé à mi-chemin, si j’en croyais la carte dégotée à l’hôtel. La précision des repères pour randonneurs et cyclistes rendait cela presque trop facile avec l’aide de ma boussole. Je n’avais pas fait de jeu de piste de ce genre depuis des années, mais je m’en sortais plutôt bien. On devrait se faire ça avec Nathalie, à l’occasion.
Les montagnes des Karpaty se dressaient au loin. Le supposé tunnel se situait vers une colline abrupte adossée au reste du massif, d’après les indications de Hernandez. Je la localisai du regard et comparai avec ma carte, j’espérai me trouver sur la bonne voie.
De l’autre côté, Ughvaere était déjà à une dizaine de kilomètres en contrebas et je pus observer la ville sous un angle nouveau. Elle s’étalait beaucoup et ne possédait pas de grands bâtiments, tout comme elle ne devait pas avoir fait l’objet de plans de réurbanisation réguliers. Au contraire d’Augusta ou de Maia avec leurs tours d’habitation de quatre ou cinq étages qui avaient poussé un peu partout. Le patelin semblait bien calme vu de loin, avec une faible circulation routière. Je suivis du regard un train qui quittait la gare pour aller disparaître derrière une montagne. Il allait faire le trajet inverse de celui qui m’avait amené ici la veille en longeant le massif. Les transports dans cette région n’avaient pas beaucoup de choix, car, de l’autre côté des Karpaty, c’était la zone de la Brume. Seul le train la traversait sans que ce phénomène inconnu le dérange.
Une question sillonna mon esprit, pendant que je divaguais devant ces forêts de sapins couvertes d’un brouillard matinal tout en grignotant une barre chocolatée. Si le train a toujours existé et la Brume aussi, qui est arrivé en premier ?
Le rail du train n’aurait jamais pu être posé avec un tel écran opaque, on doit donc l’avoir construit avant. Voilà que j’essayais de résoudre l’énigme de l’œuf et de la poule en prenant deux sujets connus pour la méconnaissance qui les caractérisait. Je me rappelai sans trop savoir pourquoi que des murs immenses et épais protégeaient toutes les voies du train mondial. Traverser ses rails était impossible à moins de déployer une échelle d’une dizaine de mètres de hauteur. C’était certainement une mesure de sécurité pour éviter les accidents. Et même si les routes étaient éloignées de ses voies, des tunnels permettaient les croisements.
Le train pourrait vraiment être un sujet, en fait…
Je sortis ma gourde et bus une gorgée d’eau pour faire descendre le biscuit tout en regardant le ciel. Cela me rappela les propos du type de l’autre fois, celui qui se décrivait comme un « simple voyageur » et m’avait dit de l’observer avec un télémachin.
Les nuages s’étendaient en ligne droite et se coursaient. D’autres, plus rembourrés et cotonneux, poursuivaient des longs tout plats. J’en remarquais un qui me paraissait beaucoup plus haut, légèrement gris et diffus, un peu comme la Lune lorsqu’elle est visible en plein jour. Au contraire de ceux poussés par les vents en altitude, celui-ci avait l’air plus immobile. Son éloignement et un mouvement plus lent devaient me donner cette impression. Sa forme m’étonna, car il ressemblait à une ardoise cassée dont les morceaux s’étalaient sur un sol bleu. Les autres nuages ne présentaient pas spécialement de cohérence entre eux, mais celui-là oui. Peut-être un type particulier, je devrais demander ça à l’un de mes contacts en météorologie.
Un vol d’oiseaux noirs passa dans mon champ de vision en croassant d’un air lugubre. Je sortis mon appareil photo et pris un cliché du ciel, sans vraiment savoir pourquoi. Cela pourrait toujours faire une jolie décoration à la maison.
Mes affaires rangées, je me remis en route.
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