20 — Balade en forêt (2/2)

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Je passai à proximité du camping indiqué sur ma carte locale et je poursuivis plus loin dans les bois. Les chemins étaient bien aménagés et déblayés, cela facilitait mon exploration. Le balisage pour les randonneurs continuait de me fournir mes repères. Ughvaere se trouvait dans une belle région. Le ciel était dégagé, le soleil tapait, sa présence réchauffait les timides six degrés Celsius du climat ambiant. Le vent était absent, par bonheur, sinon l’escapade se serait avérée bien désagréable. Les rayons de lumière traversaient ce bois composé de différents types de conifères. L’odeur de résine environnante se mélangeait à celle de la terre humide du matin et adoucissait le parfum intense de l’humus. Quelques oiseaux chantaient, ce qui était plus mélodieux que les corbeaux, et j’entendais régulièrement des craquements provenir de la forêt. Je supposai la présence de différents animaux, comme des cerfs, mais aussi des plus petits. Je roulais lentement avec mon vélo et l’assistance électrique reposait en partie mes jambes. Elles souffraient du froid et du manque d’exercice, et j’avais beaucoup de difficultés à trouver mon souffle. Cela me contraignit à faire des pauses ponctuelles.

Je profitai d’un de ces arrêts forcés pour soulager une envie pressante. Mon entrejambe gelait avec l’air qui se canalisait dans sa direction lorsque j’étais sur la bécane. Je craignais au bout d’un moment de me mettre à pisser de la glace. J’en avais mal aux testicules. Ma petite affaire terminée, je sortis mes deux cartes et les comparai.

Je me trouvais entre les repères 8 et 9 du parcours principal, ce qui correspondait à l’emplacement supposé du tunnel d’après mon autre plan. Le bois en direction de la montagne était moins dense, une clairière se dessinait dedans. Le sol était essentiellement couvert de mousse, de fougères, ainsi que des ronces et des orties. La disposition des arbres m’interpela. Ils me semblaient bien plus alignés que le reste de la forêt, comme dans un parc en ville. Mon instinct m’exhorta de suivre cette formation qui ne paraissait pas naturelle.

J’avais marché en poussant mon vélo pendant un petit moment au travers de cette forêt. Le sol n’était pas trop accidenté, même si les racines avaient beaucoup déformé celui-ci. Je manquai de me casser la gueule à cause de l’une d’elles. La paroi montagneuse se précisa devant moi et je finis par l’atteindre. Je laissai tomber le VTT et commençai à examiner les lieux.

La disposition des arbres me sauta une nouvelle fois aux yeux. Ils étaient bien mieux alignés que le reste et je remarquai qu’ils délimitaient une large bande. Le bosquet et la flore de l’autre côté ne m’avaient pas permis d’observer ceci. Ici, je voyais une route. Les sapins refusaient de pousser sur cet espace pourtant éclairé par les rayons du soleil. Seule une végétation timide la recouvrait. Peut-être qu’une ancienne voie abandonnée se trouvait là. Ne pas m’emballer et rester rationnel était important pour moi.

Je me retournai et étudiai pendant un long moment la paroi montagneuse. Mon avis de non-expert en géologie s’arrêta rapidement sur : « c’est un très gros caillou ». Du lichen et de la mousse tapissaient partiellement la pierre de couleur gris et bleu. L’humidité matinale ambiante l’assombrissait, même s’il était déjà pas loin de midi d’après l’heure de mon estomac. Quelques filets de brume persistaient çà et là et conféraient une atmosphère lugubre à cette scène de nature. À l’inverse, le soleil éclairait bien la roche et les ombres qu’il dessinait dessus possédaient un magnifique contraste. J’eus envie de prendre une autre photo.

Une forme attira mon œil lorsqu’il quitta le viseur. Je me mis à comparer plusieurs fois ma vision nue et celle à travers l’appareil qui était un peu déformée.

— On dirait… une arche ? m’étonnai-je.

J’eus un déclic et sortis les croquis de Marie Parella. Je retrouvai rapidement ceux du tunnel et rapprochai avec la roche devant moi. Celle de gauche présentait les mêmes reliefs singuliers que sur l’illustration. Une cassure la divisait en plusieurs morceaux triangulaires avec une longue nervure qui les séparaient. Le niveau de détail qu’elle avait pu saisir en peu de temps m’impressionnait, une véritable artiste. Un peu plus haut se trouvaient deux points noirs que Marie avait dépeints comme des trous. Je balayai du regard et les découvris. Ils étaient bien ronds, enveloppés par des racines de mousse et l’eau avait tracé un chemin dessus. Juste en dessous, une ligne de reliefs très réguliers, trop pour être naturels, se dessinait. Le doute n’avait plus sa place : cela formait bien une arche, et c’était étranger avec le reste de la montagne. Je pris une nouvelle photo en cadrant bien l’endroit voulu.

J’ignorais si c’était la lumière qui me jouait des tours, mais la roche en dessous de l’arcade était d’une couleur différente et je ne l’avais pas remarqué. Les autres parties de la paroi arboraient cette composition uniforme de dégradé entre le gris et le bleu. Le centre, au contraire, était brun. Je grattai le minerai du bout du doigt et constatai un écart allant au-delà de la teinte. Elle était plus douce et ni la mousse ni le lichen n’avaient désiré s’installer dessus. Alors que sur les côtés, ça s’était bien étalé ! La pierre était également plus sèche au toucher, et moins froide. Je poursuivis mon examen en observant la divergence de couleur et d’aspérité des deux roches. Pour moi, le doute n’était plus permis : c’étaient deux cailloux différents. Je grattai du bout de l’ongle leur frontière et constatai que la brune était plus friable que l’autre. La rainure qui les séparait me sautait désormais aux yeux et continuait jusqu’au sol. À terre, j’arrachai quelques brins d’herbe et relevai un élément perturbant qui s’ajouta à la liste.

J’avais beau ne pas être géologue, je savais quand même qu’une montagne, c’étaient les plaques tectoniques qui se heurtaient, formaient ces immenses massifs et sortaient donc du sol. Je déballai ma pelle pliable et frottai la terre avec. Cette opération révéla rapidement que la roche n’était pas enfoncée, mais posée.

Je pris un peu de recul et observai attentivement la paroi, le dessin de Marie à la main. Plusieurs frissons électrisèrent mon dos et une excitation me remua les tripes. Je sentis un large sourire déformer mon visage avec une forte émotion qui monta en moi.

Devant moi se trouvait le tunnel que Marie Parella et l’expédition de Nigel Van Enhoorte auraient découvert il y a trente ans.

— Bon, je pense que je n’ai plus le choix… je vais devoir creuser !

Mon estomac me rappela à cet instant par un vif gargouillis que je devais le remplir avant de jouer au mineur.

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J’avais l’impression d’avoir creusé pendant des heures. Ou peut-être était-ce parce que les journées d’hiver duraient moins longtemps et que le soleil se couchait déjà. Au moins, avec tout cet exercice, je n’avais pas froid. Le sol meuble avait facilité le travail : ma petite pelle y rentrait comme dans du beurre.

Mes premières observations se confirmaient : la roche marron était bien posée dessus. Elle s’avérait étrangère au reste de la montagne. Les formes qu’elle cachait dessinaient un arc de cercle similaire à n’importe quel tunnel de train ou de route.

Mon trou n’était pas très profond, mais il me permit de glisser mon bras en dessous et d’évaluer ce qui se trouvait là-dedans. Ma main ne touchait rien en dehors du terrain. Je sentais un léger courant d’air qui suivait mon bras et partait au loin. Ce rocher suspect possédait donc un espace vide derrière lui, et je parvenais à frôler sa face intérieure du bout des doigts. J’éclairais tant bien que mal avec ma lampe, mais la terre m’empêchait de voir quoi que ce soit. J’étais bien trop fatigué et cassé pour me contorsionner et espérer apercevoir quelque chose au travers de mon petit cratère.

J’eus une dernière idée pour estimer la surface de l’autre côté. Je sortis la corde de mon sac et y noua la poignée de l’une de mes lampes. Je parvins à la lancer tant bien que mal par mon trou. La ficelle finit par se tendre presque en entier. Je tirai dessus, aucune résistance et ma torche revint entre mes mains. Le creux derrière ce rocher s’étendait donc assez loin. La conclusion arriva dans ma tête : cette paroi n’était pas naturelle, c’était une cloison installée là. Van Enhoorte avait évoqué qu’on aurait condamné le tunnel peu de temps après sa découverte par les enfants du village. Peut-être était-ce la barrière en question. Ou alors celle suggérée par Hernandez quand il avait dit que l’entrée aurait été « effacée ».

J’éclairai comme je pouvais la scène pour prendre plein de photos, accompagnées de quelques croquis sur mon cahier. Comparé à Marie Parella, j’étais nul en dessin et un gamin de cinq ans aurait certainement fait mieux. Ça fera le boulot dans tous les cas.

Une fois mes affaires rangées, je fis machine arrière pour rentrer à l’hôtel. Je ne m’attendais pas à avoir des résultats pour une première journée de fouilles. Cela m’avait éreinté, mais ça valait le coup.

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