21 — Dans les ténèbres (1/4)
Le soir, de retour à mon hôtel, mon dos, mes bras et mes jambes émettaient un concert de plaintes et de douleurs. Après une escale au loueur pour lui rendre le VTT, je franchis la porte de mon hébergement. J’étais couvert de terre, trempé de sueur, et la patronne m’adressa un regard noir lorsque ma godasse boueuse s’approcha un peu trop près de son tapis. Intimidé, j’avais opté pour retirer mes pompes et rejoindre ma chambre en chaussettes. Je pense que, dans le meilleur des cas, elle m’aurait tué si je ne l’avais pas fait.
J’avais passé un temps fou sous la douche à me décrasser. L’eau chaude qui ruisselait sur mon corps soulagea le vieux débris endolori que j’étais. J’avais de la terre partout, sous mes ongles, entre mes doigts, dans les cheveux, et même dans mon pantalon. Comment avais-je pu me dégueulasser autant ?
Une fois débarbouillé, je me rhabillais rapidement pour aller dîner au restaurant de l’hôtel. Ils l’appelaient ainsi, mais pour moi, c’était plutôt une cantine. La petite salle aux lumières feutrées proposait un banquet où les clients pouvaient se servir. Je restai interdit devant le nom des plats qui ne me parlaient pas : Goulashkarpaty, Sosiskaïevitch, Tavakababol, Mamaligoura, j’allais avoir besoin d’un traducteur. Je tentai le Tavakababol, qui ressemblait à un ragoût de légumes avec du fromage dedans, avec une cuillère de Goulashkarpaty parce que Karpaty faisait partie du nom. Je supposai une spécialité de la région. Je pris avec ceci un morceau de pain à la couleur foncée et un verre d’une boisson locale dont mon cerveau oublia l’appellation.
Ce n’était pas mauvais, bien au contraire, les saveurs des ingrédients étaient restées intactes dans ce mélange, et je parvenais à distinguer les différents éléments, sauf un seul au goût très prononcé qui m’écœura. Le ragoût de viande était bien épicé, ça réveillait. Le breuvage accompagnant mon repas me sembla alcoolisé. Les vapeurs qui montèrent à ma tête le confirmèrent quelques instants après. Putain, que c’était fort ! S’ils carburent à ça, pas étonnant que le froid les dérange moins par ici !
Je remerciai mes hôtes pour ce repas dépaysant, puis rejoignis ma chambre pour finir la soirée. Je me mis à l’aise en enfilant un simple peignoir et m’installai sur le canapé pour étudier à tête reposée mes différentes observations de la journée. Ses coussins en velours étaient incroyablement doux. J’étalai les documents de référence et comparai avec les gribouillages réalisés sur place.
J’avais donc trouvé le tunnel, je n’en revenais toujours pas. Mes dessins ressemblaient aux croquis de Marie Parella, et la description du terrain s’avérait relativement fidèle à celle de Nigel Van Enhoorte. Je sortis de mon appareil la première pellicule terminée et la rangeai précieusement dans une petite boîte à l’intérieur de ma valise. J’avais hâte de les faire développer.
La fatigue, et probablement la boisson de mon dîner, me rattrapa et je finis par m’endormir en peignoir sur le canapé. Je ne me souvenais même pas comment j’avais atteint le lit.
Le réveil au lendemain fut difficile. J’étais tellement crevé que je n’avais qu’une envie, rester à me prélasser sur ce matelas moelleux, emmitouflé dans cette couette douce et chaude.
Cela dit, je devais arrêter de faire ma précieuse dans le plumard. Un filet de lumière passait entre deux rideaux et parvenait directement sur mes yeux. C’était le signe que je devais me lever.
Mes jambes s’étaient transformées pendant la nuit en béquilles de bois. J’étais courbaturé de partout, comme si je venais de pratiquer des heures de sport. C’était plus ou moins le cas, après réflexion. Je fis glisser le peignoir, me retrouvai à poil, et allai difficilement vers la salle de bain en marchant comme un canard. Mes râles et gémissements, qui s’échappaient de ma gorge sans aucune pudeur au fur et à mesure que mes muscles se détendaient au contact de l’eau, devaient avoir fait comprendre aux voisins de chambre, s’ils m’avaient entendu, une autre histoire. Une fois un copieux petit déjeuner avalé, je repassai chez le loueur de vélos et repartis vers mon site de fouilles.
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