21 — Dans les ténèbres (2/4)
J’arrivais sur place vers dix heures du matin. Contrairement à la veille, je n’avais pas flâné en chemin à me perdre dans les nuages ou encore à observer la végétation. Je savais désormais où me rendre, alors j’y allai. Néanmoins, je ne pouvais pas m’empêcher de me retourner et scruter les alentours à chacune de mes pauses. Je craignais d’être suivi, un sentiment que je n’avais pas eu la veille.
La paroi montagneuse se tenait face à moi. Celle que j’avais fini par qualifier de « fausse roche » se dressait tel le dernier rempart avant de découvrir la vérité. Mon modeste cratère se trouvait toujours là, je poussai un soupir de soulagement. C’était idiot, car je ne voyais pas comment il aurait pu se reboucher en si peu de temps, et par quoi. Je déballai mes outils et me mis au travail.
La terre se laissait creuser facilement, et je parvenais à percer dedans sans trop de difficultés. Je regrettai de ne pas avoir pris une pelle plus grande, ces petits outils de camping pliables étaient manifestement mal adaptés pour raviner une tranchée. Entre deux coups, je repassai ma main derrière le trou et confirmai que la roche formait une cloison. Cela me motiva à accélérer mes efforts.
J'atteignis rapidement un obstacle lorsque le fer heurta une surface plus résistante. Je tentai de creuser par la droite en espérant contourner un éventuel roc, mais le résultat s’avéra le même. Au bout d’une cinquantaine de centimètres, je dus me rendre à l’évidence : une étendue se trouvait sous terre et ça s’étalait tout du long. Je poursuivis l’excavation et découvris quelque chose de clairement non naturel. Un revêtement plat et granuleux se cachait là-dessous. Il venait depuis la forêt et se prolongeait derrière la « fausse roche ».
J’exhumai une ancienne route. Et pas un chemin oublié ou abandonné depuis quelques années, mais bien une voie enfouie qui traversait la montagne. Je m’assis quelques instants pour réaliser le caractère de ma trouvaille. L’excitation monta en moi et je tremblais de partout. Si une piste au sol existait, c’est qu’un souterrain résidait forcément là. L’arche que tentait de cacher la fausse paroi ne laissait plus de place au doute, et cette nouvelle preuve vint à bout de tous mes efforts d’envisager une explication différente.
Le tunnel décrit par Van Enhoorte, dessiné par Marie Parella, et raconté par Hernandez se trouvait bien devant moi. Et si ce n’était pas celui-là, c’était un autre du même type. Il traversait une des montagnes des Karpaty et amenait derrière, dans la région de la Brume. Vers cette ville disparue, effacée de la mémoire collective.
Ma joie retomba rapidement, car ma découverte entravait aussi mon avancement. Je ne pouvais pas creuser plus profond, et je n’arrivais pas à franchir le passage pour aller explorer. Mon euphorie se transforma vite en désespoir. Toutes les preuves matérielles des récits que j’avais collectées gisaient potentiellement là, au dos de ce faux rocher. Et je ne pouvais pas les atteindre. Je ressentis la même frustration que le chien tirant sur sa laisse attachée à un arbre, trop loin de son jouet préféré ou de sa gamelle. Tout se trouvait à portée de mes doigts ; je le sentais, je l’espérais. Et ce mur cruel me narguait.
Le désarroi se transforma en rage et je passai mes nerfs sur ce caillou marron à lui donner des coups de poings et de pieds. La colère me fit oublier la douleur, heureusement que je portais mes gants. Je canalisais toute ma haine face à cette injustice. Tout ce chemin parcouru pour rien, toutes ces vérités qui resteraient cachées à jamais.
Je tombai sur mon postérieur, attrapai ma tête entre les mains. La fureur chuta et un vide se creusa dans ma poitrine. Une profonde peine m’envahit et je finis par chialer. Une tempête de sentiments confus se déchaînait en moi. Je me sentais honteux par cet échec, j’allais retourner à Augusta la queue entre les pattes et devrait m’expliquer avec mon agent pour ce voyage inutile. L’éditeur allait forcément me demander des comptes pour les frais avancés. J’avais peur, car Nathalie allait m’engueuler. « Je te l’avais bien dit » planait au-dessus de moi comme un escadron de vautours attendant de fondre sur ma charogne fumante. Et si elle en avait ras le bol de moi et de mes obsessions ?
Je levai mes yeux humides en direction de la fausse roche. Une chaleur envahissait mon corps et ma respiration s’accélérait. Je sentais mes cheveux et tous mes poils se hérisser. Je n’aurais jamais imaginé éprouver autant de haine pour un vulgaire caillou. Dans un nouvel accès de rage, je balançai ma pelle contre celui-ci. La lame émit une étincelle au moment où elle le heurta et un petit trou se forma à l’emplacement du choc. Le bruit strident du métal contre la roche siffla dans mes oreilles et se perdit en écho dans les bois.
La paroi marron se para soudainement d’une multitude de carrés noirs aux bords lumineux. Ces minuscules formes s’agitèrent autant qu’une fourmilière secouée, accompagnées par des grésillements désagréables. Je me demandais si ma tête ne me jouait pas des tours et si la colère et le désespoir ne me faisaient pas halluciner. En quelques secondes, la roche brune s’enveloppa de ce ballet géométrique brillant, puis elle disparut, laissant à sa place un trou béant sombre.
Je demeurais le cul par terre, l’humidité de l’herbe mouillant mes fesses à travers le pantalon, interdit, bouche bée, et le cerveau en panne.
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