22 — Laisse-moi te raconter une histoire (1/3)
J’étais assis dans une clairière, devant un feu de camp qui me réchauffait, en plus de la couverture sur mes épaules. La lueur vacillante et les flammes qui s’échappaient du brasier avaient quelque chose de réconfortant. Les petits craquements réguliers du bois qui se consumait allaient de pair avec les cendres ardentes qui s’envolaient sous l’effet de la chaleur. Je ne me souvenais pas comment j’avais débarqué ici. Et pourquoi aurais-je fait un feu de camp et planté une tente derrière moi ?
Quelques notes provenant d’une guitare retentirent. Je me retournai à gauche, puis à droite, sans parvenir à localiser leur origine. Une mélodie douce portée par l’atmosphère arrivait dans mes oreilles. Soudain, le joueur émergea de l’autre côté du brasier.
— Salut, Alex, entendis-je.
Je demeurai interdit, incapable de prononcer autre chose que des syllabes incompréhensibles. Le musicien n’était autre que moi-même.
— Que… que… ?
— Je sais ce que tu te demandes, poursuivit mon jumeau. Quand avons-nous appris à faire de la guitare ?
— Qui es-tu ?
— C’est clair, n’est-ce pas ?
Mon double mélomane glissa ses doigts sur les cordes et produisit une nouvelle mélodie qui accompagnait ses paroles.
— Tu as toujours rêvé de savoir jouer d’un instrument de musique, Alex. En réalité, tes deux mains gauches et tes dix pouces ne te le permettent pas.
Je lâchais un petit rire gêné.
— Enfin, soyons honnêtes avec nous-mêmes : tu n’as aucune volonté de t’y mettre, appuya-t-il.
— C’est ce genre de rêve dans lequel on a conscience de rêver, c’est ça ?
La seule réponse fut un nouvel air.
— Si tu veux mon avis, c’est plutôt un cauchemar, commentai-je.
— Comment ça ?
— Je déteste le camping.
Mon frère inconnu se mit à rire.
— Tu as raison, Alex. Le camping, c’est vraiment nul. Mais cette fois, je me disais que ça serait un bon passe-temps.
— Ah, les rêves sont donc des distractions ?
— Tu aimes avoir l’esprit occupé, même quand tu es dans les vapes en train de te tordre de douleur. Donc, je m’exécute.
— Hein ?!
— Et si je te racontais une petite histoire ?
— Attends, comment ça je me tords de douleur ?
Mon jumeau ignora mes questions paniquées et grattait sa guitare l’air de rien. Son rythme et celui des craquements du feu de camp entraient dans une curieuse harmonie.
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Il était une fois une espèce qui avait évolué depuis les grands singes pour devenir la plus intelligente de son monde. Enfin, c’était ce qu’elle pensait, en tous cas. Il commença par vivre dans des grottes, puis appris à construire ses propres habitations. Ses petites demeures s’élargirent, s’agglomérèrent, les villages se transformèrent en villes, puis en cités. Durant cette période que nous appelions « l’Antique », la civilisation humaine rivalisait de moyens pour montrer le prestige de sa culture. Elle s’appropriait les terres et fit de même avec les eaux. Ne pouvant répéter cela avec le ciel, elle préféra le peupler de divinités imaginaires et considérer que c’était leur domaine.
Une caractéristique principale guidait ce peuple de conquérants et de guerriers : l’arrogance. Les humains passaient leur temps à estimer que ce qui était différent d’eux était forcément inférieur. Sauf les dieux. Pour eux, c’était l’inverse. Ils représentaient un idéal à atteindre, même si les mythes autour de ces créatures de légendes racontaient les travers de leur espèce d’une façon plus lyrique et épique.
Pendant des milliers d’années, leur histoire se ponctuait de guerres d’invasion, de religion, de crises, de famine, ou encore d’épidémie.
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J’interrompis mon double en croisant les bras.
— T’as l’intention de faire un cours d’Histoire ? À nous qui sommes historiens ?
— Et pourquoi pas, Alex ? proposa-t-il en arrêtant de jouer de la musique.
— Quel intérêt ? Tu ne vas rien m’apprendre de nouveau et tu te contentes de m’occuper en grattant ton instrument pour me narguer.
— En es-tu certain, Alex ?
La façon dont mon jumeau s’adressait à moi commençait à m’irriter. Je ne pensais pas être quelqu’un d’aussi condescendant.
— Laisse-moi deviner le déroulement. Tu parles de l’Antique, après tu vas évoquer la période médiévale ? Puis celle des grands Empires et des explorateurs qui ont dessiné les premières cartes du monde ?
— En effet, rien de nouveau à signaler. Mais, que dirais-tu d’écouter la suite ?
— J’ai le choix ?
Alex le saltimbanque reprit sa mélodie et poursuivit son récit sans même faire attention à ma dernière remarque.
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