22 — Laisse-moi te raconter une histoire (2/3)
Les siècles passèrent et l’humanité continua d’évoluer. Les civilisations s’étaient rencontrées, entre-tuées, et d’autres naissaient sur les cendres des anciennes. Au bout de quelques générations, elle parvint à garder un semblant de stabilité dans la définition de ses frontières. Cette espèce était formidable de ce point de vue, lorsqu’on y repensait. Une grande part d’imaginaire peuplait et dirigeait son quotidien. Et aujourd’hui encore. Elle avait dessiné des limitations pour des pays provenant d’une vue de l’esprit reconnue par tout le monde. Elle avait basé toutes ses transactions économiques sur une monnaie qui n’était que des chiffres sur un tableau. Et certains d’entre eux pensaient toujours que leurs divinités mythiques étaient mieux que celles des autres.
Cette imagination était à la fois sa grande qualité, mais aussi une source de dangers. L’humanité rêvait beaucoup et voulait constamment dépasser ses bornes. Elle avait appris à se déplacer sur les terres, sur les eaux, puis dans le ciel. Et même au-delà.
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— N’importe quoi, interrompis-je brusquement.
La musique s’arrêta.
— Ah bon ?
— J’aimerais que tu me dises à quel moment nous sommes censés avoir volé parmi les nuages.
— Nous avons découvert des vestiges montrant des êtres humains s’envolant grâce à des machines, m’expliqua mon jumeau.
— Tu l’as dit toi-même, l’humanité ne fait que de rêver et d’imaginer des choses. Ces tablettes et même ces schémas antiques de quelques inventeurs fous du passé n’ont jamais eu de sens.
Mon jumeau fit une moue dépitée.
— Oh, c’est triste.
— Ce serait vraiment dommage que mon propre esprit confonde Histoire et fiction !
— Tu penses que l’humain n’a jamais été capable de s’arracher du sol et de franchir son ultime frontière ?
— Ouvre un bouquin de physique. Tous te diront que la technologie pour développer des machines volantes est impossible. Les recherches sur le sujet se sont arrêtées il y a des siècles, car elles n’aboutissaient à rien.
La musique reprit, mon double ignora cette pique.
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L’humanité était arrivée à une ère industrielle où tout allait plus vite. Elle voyageait grâce à des voitures, des trains, des bateaux, et des avions. Mais toutes ces prouesses partageaient à chaque fois les mêmes facteurs d’évolution technologique. Les humains se faisaient la guerre. Cet instinct belliqueux finit par déclencher un conflit à l’échelle mondiale. Puis un second éclata quelques années après, toujours plus meurtrier et violent.
Le premier fut le théâtre du développement de ses engins terrestres et volants. Le second les perfectionna et ajouta de nouvelles capacités pour se détruire les uns les autres. Les humains fabriquaient des bombes sans cesse plus redoutables, pouvant être lancées encore plus loin. Il arriva à un stade où son armement pouvait l’anéantir en quelques instants.
Après ces deux guerres, il restait toujours quelques vieilles rancœurs et de grandes puissances mondiales se tenaient constamment en joue. Une étincelle dans cette poudrière aurait suffi pour transformer la planète en désert aride.
Ils avaient donc tourné leurs efforts pour développer leurs technologies autrement. Les humains pouvaient voyager au travers des cieux avec d’immenses avions, et ils avaient même réussi à traverser l’atmosphère pour poser le pied sur la Lune. L’humanité entra dans une nouvelle ère où sa propre Terre ne la satisfaisait plus et commença à construire des habitations dans l’espace.
Cependant, comme s’arracher du sol restait une opération nécessitant une grande quantité d’énergie, l’espèce exploita encore une fois son imagination pour trouver un moyen plus efficace. À la manière de ses ancêtres des millénaires auparavant, elle se mit à construire pendant des décennies des édifices si élevés qu’ils étaient reliés à des cités célestes. Ces tours servaient d’ascenseurs vers l’orbite terrestre.
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Je soupirai en claquant des lèvres.
Les doigts de mon jumeau mélomane quittèrent la guitare. Il me regarda d’un air inquiet et me demanda :
— Tu n’aimes pas ?
— C’est des conneries.
— Pourquoi ?
— Aller sur la Lune et dans l’espace, n’est-ce pas la chose la plus stupide à laquelle on puisse penser ? grommelai-je. Tout ceci est improbable.
— Mais ce n’est pas ce que croyait ce peuple. Il ne savait pas que c’était impossible, donc il l’a fait.
— Tu dis qu’ils ont mis des décennies à construire ces ascens…
Je m’interrompis un instant, les yeux écarquillés. Le type à la gare de Rolatir m’avait raconté un délire du même genre. Il avait utilisé l’expression « ascenseur orbital ».
— Hum, fis-je en me raclant la gorge. Les propos du mec l’autre fois, n’auraient-ils pas influencé ton histoire ?
— Tu parles du voyageur ? C’est vrai qu’il y a fait allusion. Mais non, je n’extrapole pas.
— Je suppose que tu n’es que le fruit de mes divagations dans mon inconscient pendant que je suis dans les pommes ?
J’espérais que rien de grave ne m’était arrivé. Je ne me rappelais de rien depuis que j’avais quitté mon site de fouilles pour rentrer à l’hôtel. Je revenais en vélo vers Ughvaere, excité par ma découverte. J’avais suivi la route. Je me souvenais avoir vu quelqu’un à un moment au milieu de celle-ci, et depuis c'était le trou noir.
— Si cela te rassure de penser ceci, fais-toi plaisir, Alex, répondit mon double. Veux-tu que je te raconte la suite ? Elle parle de comment ils ont trouvé un moyen de se faire la guerre autrement.
— Vas-y… soupirai-je.
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