Partie 1
Je travaillais comme infirmier dans un hôpital public d’une grande ville. Comme chaque matin, je me préparais pour remplir ma mission. La relève allait bientôt avoir lieu mais pourtant le vestiaire était vide. Mes collègues avaient un don pour arriver en retard, ce qui m’agaçait fortement. Cependant, étant nouveau dans le service, je ne pouvais me permettre quelques réflexions que ce fût.
Je sortais du vestiaire, mixte précisons-le, lorsque j’aperçus, au fond du couloir, mes collègues arriver. J’attendis pour les saluer avant de rentrer dans le bureau de la cadre. Il servait actuellement de lieu de réunion pour les soignants. L’équipe de nuit semblait, comme toujours, fatiguée. Je m’assis sur une chaise éloignée de la table et commençai à lire la relève. Il y avait de nouveaux patients, mais la plupart étaient déjà là depuis quelques jours, voire quelques mois pour certains.
La porte s'ouvrit à nouveau et le reste de l’équipe du matin entra dans la pièce. L’infirmière de nuit expliqua alors ce qu’il s’était passé, ce qu’elle avait fait, ce qu’il restait à faire. Il était 6 h 30 lorsque la relève prit fin.
Je partis préparer les soins. Avec Anissa, l’autre infirmière du matin, nous nous partagions le service en deux. La salle de soin avait été déplacée dans une chambre et les perfusions étaient faites sur un lit changé en table. Les armoires à pharmacie et tout le matériel avaient été déplacés dans cette pièce. En effet, la salle de soin d’origine était en travaux.
La préparation des soins consistait à prélever, à l’aide de seringues, le liquide de différentes ampoules, afin de les injecter dans une perfusion. Le dosage et les substances variant selon les patients, il fallait être vigilant. La spécificité de ce service reposait sur le changement des néphrostomies et des iléo ou colostomies. Je partis donc chercher le matériel nécessaire pour chaque patient. Enfin, je pris les piluliers que les pharmaciens étaient venus déposer. J’étais prêt pour mon tour de 8 h.
Les repas étaient acheminés à travers les différents étages via un ascenseur. Les plateaux étaient déposés dans une grosse machine chauffante, permettant de garder la bonne température pour les aliments. Pour le petit-déjeuner, elle servait uniquement de porte-plateau. L’aide-soignante commença à distribuer les repas par le fond du service. Je fis de même pour mes soins. Les patients pourraient ainsi prendre leurs médicaments en même temps que leur repas.
Ainsi, je remplaçais les perfusions, m’assurais d’inscrire, sur les feuilles collées au mur, le nombre de litres récoltés pour chaque stomie, changeais les pansements si nécessaire et d’innombrables autres choses qui me prirent du temps. Bien évidemment, la stomie de Mme Martin ne tint pas après le petit déjeuner, ce qui me valut de remplacer une stomie en pleine digestion. Pire qu’une hémorragie !
Je finis mon premier tour à 9 h 30. La matinée semblait calme. Cela ne dura pas. L’heure suivante, on m’annonça qu’une jeune femme devait se faire opérer en urgence de l’appendicite. J’allais devoir gérer une patiente en plus, et devais me débrouiller pour être prêt quand elle remonterait de la salle d’opération. Puis, un patient fit une extraordinaire chute de tension, ce qui lui valut une descente en réanimation.
Les incidents s’enchaînèrent, plus ou moins dévoreurs de temps. Je parvins cependant à achever la préparation des soins du second tour à temps. J’accélérai pour finir à 13 h, le moment que choisirent les brancardiers pour amener la patiente fraîchement opérée. J’effectuai les soins nécessaires avant de rejoindre l’équipe de l’après-midi qui attendait pour la relève. Anissa avait déjà commencé. Une fois qu’elle eut achevé, j’expliquai à mon tour ce qu’il s’était passé, ce que j’avais fait, ce qu’il fallait faire.
13 h 45, fin de la torture. Je rentrai chez moi, déjà las de cette journée à moitié commencée.
C’était un jour banal aux tâches durement accomplies. Je préparais le dîner pour deux personnes. Célia n’allait pas tarder à rentrer. Nous vivions ensemble depuis cinq ans, dans un appartement au dernier étage d’un immeuble. La cuisine ouverte sur le salon ainsi que sa luminosité nous avaient tout de suite plu.
Les vapeurs odorantes commençaient à parfumer l’air. Le soleil était bas sur l’horizon, ses derniers rayons se reflétant sur les baies vitrées. Une soirée paisible se présentait. J'entendis alors des pas dans l’escalier et quelques secondes plus tard, Célia ouvrait la porte d’entrée.
— Fiou ! C’était la galère au boulot aujourd’hui ! Tu as vu les infos ? Y’a eu un autre meurtre il y a quelques jours ! Le chef veut qu’on lui rende un papier détaillé sur l’avancement de l’enquête. J’ai dû camper devant le commissariat toute la journée ! Les autres journalistes étaient là aussi, de vraies hyènes !
Célia était mon opposé. Pétillante, elle aimait la vie plus que tout. C’était une journaliste hors pair, privilégiant les preuves au nombre de lecteurs. Son insouciance lui jouait souvent des tours, pourtant, elle se battrait jusqu’à son dernier souffle pour défendre ses principes hérités de son père.
— Bon, et ta journée à toi, alors ? ajouta-t-elle.
— Comme dab, répondis-je.
— Oh, tu fais des pâtes à la carbo ! J’adore ! dit-elle en m’embrassant sur la joue.
Elle posa sa tête sur mon épaule quelques instants, avant de partir ranger ses affaires. Je souris en me demandant comment elle avait pu finir avec un gars comme moi.
Je débarrassais la table pendant que Célia nous préparait le plateau dessert. Nous avions pris l’habitude de finir notre repas sur le canapé devant la télé.
— Comment peut-on faire une chose pareille ? demanda-t-elle alors à voix haute.
Je me retournai vers elle, intrigué quant à la cause de cette question. Elle comprit mon interrogation et finit par ajouter :
— Tuer quelqu’un.
— Oh ça… Je pense que le tueur doit avoir ses raisons, déclarai-je en haussant les épaules.
— Mais même avec toutes les raisons du monde je ne comprends pas. Je ne le conçois pas, affirma-t-elle.
Elle se mit à faire les cents pas dans le salon. Je m’approchai du canapé pour m'asseoir sur l’accoudoir.
— Pourquoi tu te prends la tête avec ça ? questionnai-je. Ton boulot, c’est juste de prendre les infos que vous donnent les flics, non ?
— Je dois aussi enquêter de mon côté… Je pense que cette histoire me fait peur, répondit-elle finalement.
— Tu n’as rien à craindre, la rassurai-je.
— Non ce n’est pas ça. Je n’ai pas peur de mourir, rectifia-t-elle.
Je levai mes sourcils, la poussant à détailler davantage ses propos.
— C’est juste que je ne comprends pas comment on peut jouer à Dieu en ôtant la vie à des innocents, expliqua-t-elle.
— Ils ne sont peut-être pas si innocents que ça, proposai-je.
— Oh, mais pourquoi tu prends la défense du tueur ?
— C’est juste une supposition. Bon, on le regarde ce film ? dis-je en tentant de changer de sujet.
— Ouais, tu as raison, faut que je fasse une pause. Mon cerveau a besoin de repos.
Elle s’approcha de son ordinateur pour démarrer le film, tandis que je m’installai confortablement dans le canapé. Elle vint ensuite se blottir contre moi, sa tasse de chocolat à la main. C’était une soirée comme une autre. À quelques détails près.
… Plusieurs années auparavant…
— Tom, dépêche-toi ! On va rater le bus ! Ce n’est pas Dieu possible à quel point ce gosse est lent !
A peine la sonnerie avait-elle retenti que je m’étais précipité vers la sortie de l’école. Pourtant, ma mère avait, une fois de plus, oublié de souligner cet effort. Je me rapprochai d’elle, essoufflé, mon cartable me lacérant les épaules. Elle était installée à l’abri du vent sous le porche de l’abribus, en compagnie de ses deux amies.
— Eh bien, tu en as mis du temps. Un peu plus et je partais sans toi, me lança-elle.
A ces mots, ses amies ne purent retenir un gloussement. Je les détestais. Deux grosses pintades à l’air hagard, cherchant les ragots comme les cochons cherchent les truffes.
— D’ailleurs, je ne vous ai pas raconté ! s’exclama ma mère. Mon imbécile de fils a encore pissé au lit. J’ai passé la matinée à laver ses draps !
Ses deux amies s’esclaffèrent de plus belle, leur rire me laissant un goût amer. Je baissai la tête, honteux. En plus ce n’était pas vrai ; c’est moi qui avais dû laver mes draps avant d’aller à l’école, sautant ainsi mon petit-déjeuner.
— Je ne sais vraiment pas ce que j’ai fait pour avoir un fils pareil, se plaignit-elle.
— Ce n’est pas de ta faute, Émeline, la rassura son amie. Il doit avoir une tare, c’est tout.
— En parlant de tare, vous avez entendu parler du divorce des Aubert ? enchaîna l’autre.
Je n’écoutais plus leur conversation, trop occupé à regarder mes chaussures. L’arrivée du bus interrompit leur interminable commérage. Comme d’habitude, je pris place à côté de la fenêtre. Le trajet allait être long.
… De nos jours…
Je contemplais le plafond depuis plusieurs heures déjà. La lune filtrait à travers les rideaux, ce qui me donnait le cafard. Je n’ai jamais aimé la nuit et ses ombres chimériques, reflet de nos cauchemars refoulés.
Je n’arrivais pas à dormir. A côté de moi, Célia semblait sereine. Je l’enviais d’être aussi insouciante, emplie de légèreté. La vie semblait si simple de son point de vue.
La nuit allait être longue.
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