Partie 2
Encore une journée à l’hôpital, maussade à souhait et sentant la javel. D’autant plus dure à supporter que le choix de mon métier ne découlait pas d’une vocation, mais d’une obligation. Avant de mourir, ma mère avait réalisé mon inscription pour l’école d’infirmiers sans me laisser le droit à la parole. Elle est décédée avant que je n’entreprenne mes études, néanmoins je n’ai pas essayé d’explorer un autre chemin. J’ai choisi la facilité. Cela se passait plutôt bien, je suis donc resté sur cette voie-là, sans chercher à m’en écarter. Aujourd’hui pourtant, je ne supporte plus d’être bloqué dans la vie d’un autre. J’ai ainsi tenté de franchir les limites de mon existence, découvrant rapidement la solution comme si elle était en moi depuis longtemps… Tuer.
— Tom, m’interpella une aide-soignante, on a un patient psy qui vient d’arriver et il fait une crise. Apporte du Loxapac. On est dans la chambre 510.
— Ça marche, j’arrive, lui répondis-je.
Je n’avais pas besoin d’aller en chercher dans la réserve. Du Loxapac, j’en avais toujours sur moi. C’est un neuroleptique dont les effets secondaires sont de provoquer de la somnolence ainsi qu’une hypertension orthostatique. Le patient devient raide, calme, en quelques mots il devient un zombie. C’est très pratique pour calmer les patients agressifs.
J’ouvris la porte de la chambre et vis les brancardiers tenter de canaliser un jeune homme d’une vingtaine d’année. Je m’approchai avec prudence et lui injectai la substance. Au bout de quelques secondes, il se calma. Les brancardiers purent partir et nous décidâmes d’attacher le patient pour sa sécurité.
— Eh ben, c’est vraiment pas facile tous les jours, souffla Margot l’aide-soignante.
— Comme tu dis, répondis-je.
En sortant de la chambre, je me dirigeai vers la réserve pour reprendre une solution injectable de Loxapine. Cela pourrait toujours être utile.
Plus tard dans la matinée, je me rendis dans la cuisine pour prendre une pause. Je fus surpris d’y trouver Anissa, Margot et deux autres aides-soignants. Ils semblaient en pleine discussion, mais levèrent les yeux vers moi lorsque je fis irruption dans la pièce.
— Tiens, Tom. On parlait du tueur en série qui s’promène en ville en c’moment. T’en as entendu causer ? me questionna Julien, l’un des deux aides-soignants.
— Ça fait flipper cette histoire ! s’exclama Margot en ramenant ses bras sur sa poitrine.
— Ouais, j’en ai entendu parler, répondis-je platement. Ma copine bosse dessus pour son journal.
— Ah oui ? Et tu as des infos ? me questionna Anissa.
Je me tournai vers elle, une tasse de café à la main. Tous les regards semblaient posés sur moi. Je me sentais mal à l’aise d’être ainsi le centre de l’attention.
— Non, on n’en a pas vraiment parlé dans les détails, dis-je finalement.
— Dommage… marmonna l’autre aide-soignant.
Il était nouveau et je n’avais pas retenu son prénom. Il reprit :
— Quel profil d’après vous ? Pour moi, ça m’a tout l’air d’être un psychopathe.
— Carrément, déclama Margot. Je n’aimerais pas me retrouver en face de lui.
Pourtant tu l’es, pensai-je ironiquement. Je laissai échapper un rire. Je ne cherchais pas l’exploit et la reconnaissance dans mes meurtres. Néanmoins, entendre les autres en parler me donnait une fierté presque maladive.
— Qu’est-ce que tu trouves drôle ? me questionna Anissa en fronçant les sourcils.
Sans laisser paraître aucune émotion, je haussai les épaules avant de répondre :
— Psychopathe d’après vous ?
— Ouais, ça correspondrait bien, reprit le jeune aide-soignant avec entrain. Dans la série sur la une, le profileur dirait qu’il s’agit d’un tueur organisé. Il a l’air de préparer ses scènes de crime à l’avance.
— Bah c’est logique, intervint Margot, sinon la police l’aurait déjà attrapé.
— Il a l’air d’aimer le feu en tout cas, souligna Anissa en mastiquant un morceau de pain. La dernière victime a encore été retrouvée carbonisée…
— On en est à combien jusqu’à présent ? questionnai-je.
— Cinq, me répondit Julien. Ses meurtres sont d’plus en plus proches. En c’moment, vaut mieux pas traîner l’soir.
— C’est vraiment un monstre ce mec, souffla Margot.
— Ou cette nana, proposa le jeune, on sait pas après tout.
— Ouais, c’est pas faux, accorda-t-elle. Mais qui que ce soit, cette personne est carrément cinglée.
— Ouais… Bon allez, faut qu’je continue l’boulot, déclara Julien en se levant de sa chaise avec peine. Les médias lui ont dégoté l’bon surnom, en tout cas.
Je me retournai vers lui, surpris.
— Quel surnom ? demandai-je.
— Le Pyromane, me répondit-il en levant les mains avec un effet de mise en scène.
Les autres éclatèrent de rire tandis que je demeurai pensif. Chacun retourna à sa tâche et je restai seul dans la cuisine. Le Pyromane… pas mal, pensai-je. Je finis mon café lorsqu’un patient me bipa. En attendant, je devais continuer à sauver des vies.
La cheminée crépitait, les flammes léchant le bois que je venais d’y déposer. J’étais assis sur le sol afin de profiter de la chaleur réconfortante. En emménageant avec Célia, il s’agissait de l’un de mes critères pour notre logement. Nous avions eu de la chance de trouver cet appartement au dernier étage. Un véritable cocon.
Je pris les feuilles que j’avais laissées par terre et les présentai une à une aux flammes. Je contemplais le papier se noircir lorsque Célia m’interpela de la cuisine.
— Ce soir on fait quoi ? Plateau télé ?
— Ça m’va, lui répondis-je.
— Super.
Je finis enfin par brûler la dernière preuve. Ces fiches portaient les traces de mes agissements. Une fois le meurtre accompli, je ne les laissais jamais trainer très longtemps. Les flammes se chargeaient de les engloutir ; un amusant parallèle avec mon mode opératoire.
Je me levai et me dirigeai vers la cuisine pour sortir les assiettes et les couverts. C’était au tour de Célia de cuisiner.
— Au fait, dit-elle. Comment tu trouves cette veste ? Je l’ai achetée tout à l’heure en sortant du travail.
Je me redressai. Elle me montrait une veste en cuir rouge qu’elle portait par-dessus un T-shirt noir.
— Elle est jolie. Elle te va bien, répondis-je en lui offrant mon plus beau sourire.
Elle m’embrassa en guise de remerciement, puis sautilla jusqu’à la chambre. Je ne comprenais pas sa manie de me demander mon avis sur sa tenue, ou son maquillage. Elle savait très bien que je me moquais de son apparence physique.
La soirée fut admirablement calme et routinière. Confortablement installé sur le canapé, un plaid nous recouvrait. Célia avait la tête posée sur mon torse et la télé fredonnait un air de variété. Nous avions tous les deux la flemme de bouger pour aller dormir. Pourtant, je finis par me lever, et nous prîmes la direction de la chambre.
…Plusieurs années auparavant…
Comme chaque matin, je me réveillai en nage, encore hanté par des cauchemars qui me poursuivraient toute la journée. Par réflexe, je vérifiai l’état d’humidité de mes draps.
— Oh non, dis-je avec panique, les larmes commençant à remonter jusqu’à mes yeux.
Je ravalai la boule qui se formait dans ma gorge, et me levai avec hâte pour tenter de cacher ma fuite nocturne. Malheureusement, c’est ce moment que ma mère choisit pour faire irruption dans ma chambre. Sans un bonjour, elle se dirigea vers la fenêtre et ouvrit les volets, éblouissant mes yeux encore endormis. Je levai ma main pour me protéger de la lumière, lorsqu’elle poussa un cri de mécontentement.
— Ce n’est pas vrai ! lança-t-elle avec colère, accentuant chacune des syllabes. Tu as encore pissé au lit ! Quand est-ce que tu vas grandir un peu ?
J’écartai ma main de mon visage avec réticence, observant ma mère qui vint se planter devant moi. Elle n’était pas contente.
— Tu devrais avoir honte. Non mais regarde toi, on dirait un bébé.
Je ne pus retenir plus longtemps les larmes qui se mirent à courir sur mes joues. Honteux et tremblant, je baissai la tête.
— Arrête de pleurer où je te fous dehors ! Y’a pas de place pour les pleurnichards ici !
Elle sortit un instant de ma chambre, avant de revenir avec des draps propres qu’elle me jeta à la figure.
— Tu iras à l’école sans manger. Tu changeras tes draps à la place.
Hoquetant, je me précipitai vers mon lit. Avec ma force d’enfant, la tâche n’était pas simple. Lorsque je finis, j’eus à peine le temps de m'habiller pour l’école, que ma mère était déjà de retour dans la chambre.
— Bon, on y va, dit-elle sèchement. Tu as intérêt à avoir plus de quinze à ton contrôle. Sinon, tu connais la punition.
Oui, je la connaissais. J’avais tout intérêt à bien manger ce midi à la cantine.
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