Partie 7
Les semaines étaient passées à une allure fulgurante. Je n’avais eu que très peu de temps pour moi : j’avais fait des efforts pour en passer plus avec Célia, et jamais nous n’avions été si proches. J’avais même prévu de lui faire ma demande en mariage, le soir même, au restaurant. Pour la première fois de ma vie, je prenais une décision pour mon futur. J’étais assez inquiet quant à sa réaction, même si j’étais quasiment certain qu’elle me dirait oui. C’était donc avec entrain que je regagnais mon domicile, franchissant le seuil de l’appartement.
Célia était déjà rentrée. Elle m’attendait, assise sur le canapé, des papiers dans les mains. Sans doute devait-elle travailler sur ses articles. Je me demandai alors s’ils avançaient sur l’affaire Pyromane. Nous n’en avions plus parlé depuis la dernière fois, la dispute ayant coupé court à toutes discussions sérieuses entre nous. Par la suite, nous nous étions attachés à refonder notre couple, et rien d’autre.
— Je suis rentré, dis-je.
Pas de réponse. Elle devait être concentrée sur ses notes. Je m’avançai vers elle, un sourire aux lèvres en sentant la bague dans la poche interne de ma veste. Ce soir devait être un grand soir.
Elle tourna enfin son visage vers moi, et je ne perçus pas tout de suite que quelque chose n’allait pas. Il me fallut voir les larmes dévaler ses joues pour que je réalise la gravité de la situation : Célia ne pleurait jamais. Elle était forte, pétillante de vie, rien ne la mettait à terre. Je sentis ma gorge se nouer, alors que je m’empressai de la prendre dans mes bras pour la consoler. A ma grande surprise, elle refusa mon étreinte, et recula même de plusieurs pas. Je n’en saisi l’origine que lorsque je vis mes plans posés sur le canapé : elle avait découvert ma planque dans mon bureau.
Nous nous observions, elle, en sanglots ; moi, impassible.
— C’est toi, dit-elle d’une voix aigüe.
Je soufflai.
— Oui, répondis-je simplement.
Qu’y avait-il à ajouter de plus ? Je ne pouvais plus nier. Je baissai la tête, quelque chose en moi se brisa. Tout était si parfait… Il avait fallu qu’elle découvre qui j’étais. J’aurais aimé rester Tom à ses yeux, pour toujours. Dorénavant, je n’étais qu’un tueur en série au surnom macabre. Je le voyais dans ses yeux apeurés. Que croyait-elle ? Que j’allais la tuer ? Je ne savais pas si j’en étais capable.
— Depuis quand ? demanda-t-elle.
— Plusieurs années.
Elle ferma les yeux, accusant le coup.
— Et quand tu me disais que tu sortais voir tes amis…
— Oui, la coupai-je.
Elle se tourna sur le côté, ses mains cachant son visage.
— Tom, je t’en supplie. Dis-moi que ce n’est pas toi, lâcha-t-elle dans un sanglot.
Je me tus, laissant répondre le silence à ma place. La connaissant, elle avait dû analyser chacun de mes alibis, vérifier mes jours de gardes à l’hôpital, questionner mes amis imaginaires, et constater mes mensonges.
— Pourquoi ? demanda-t-elle en tournant son visage vers moi.
— Tu ne peux pas comprendre.
— J’ai besoin de savoir, Tom, s’il te plait.
Mes yeux ne l’avaient jamais quitté, et, lorsque les siens rentrèrent en contact avec les miens, je sus que je ne pourrais pas refuser sa demande.
Je m’assis sur l’accoudoir du canapé, le poids sur mes épaules étant devenu trop lourd à porter. Puis, je me mis à tout lui raconter. Tout. Ma mère et mes heures passées dans le noir. Le feu et ses flammes justicières. Mes premiers meurtres, et ceux d’aujourd’hui. Je lui expliquai en détail mes motivations, que la justice ne pouvait être totale que par le feu, le seul à pouvoir laver les gens de leurs péchés. Je savais très bien que tuer était mal, qu’il aurait fallu laisser faire Dieu, et ne pas lui prendre son rôle…
— Mais c’était nécessaire, expliquai-je. Quand ma mère est morte, j’ai enfin pu libérer les émotions qu’elle avait tant voulu que je garde enfouies. Je suis désolé de te faire souffrir par sa faute.
Au fur et à mesure de mes phrases, elle semblait s’adoucir mais restait néanmoins sur la réserve. Elle s’approcha finalement de moi, osant même me prendre la main. Nous nous faisions face, son visage adouci par un timide sourire. Je voulais la prendre dans mes bras, lui dire que tout irait bien. Après tout, personne, à part elle, ne connaissait mon terrible secret. Pourtant, être complice d’un tueur n’était pas dans ses convictions. Je fus bien vite fixé lorsqu’elle rompit à nouveau le silence.
— Je veux t’aider, dit-elle.
Je me tus pour la laisser continuer.
— Il faut que tu te rendes, Tom. Après ça, tu leur expliqueras tes raisons, et tu pourras guérir tes blessures en voyant un psychiatre. Tu iras en prison, mais je te visiterai chaque semaine, je te le promets. Laisse-moi t’aider, je t’en prie.
Je demeurai toujours silencieux, réfléchissant à une solution convenable.
— Ce n’est pas de ta faute, ajouta-t-elle. Ce n’est pas bien de faire subir tout ça à un petit garçon.
Les larmes dévalaient ses joues.
— Tu veux que je me rende ?
J’avais prononcé ces mots, avec une telle aigreur, qu’elle eut un mouvement de recul, mais ne lâcha pas ma main pour autant.
— Oui, répondit-elle avec assurance.
Je la regardai, la peine emplissant mon cœur.
— Personne ne sait ce que j’ai fait, osai-je, et personne ne le saura jamais. Pourquoi on ne continuerait pas à vivre comme avant ?
Je vis son visage s’assombrir, ma main retomba le long de mon corps.
— Tu sais très bien que ce n’est pas possible, déclara-t-elle.
— Pourquoi ?
— Je ne peux pas, répondit-elle.
— Tu ne peux pas quoi ? Vas-y. Dis-le, lâchai-je d’une voix grave.
— Je ne peux pas vivre avec un monstre ! s’écria-t-elle.
Je reculai sous la puissance de cette phrase, ses mots me transperçant le cœur plus que je ne l’aurais cru. Un poignard enfoncé dans ma poitrine aurait eu le même effet. Je saignais d’un sang invisible à ses yeux, plié en deux sous la douleur qui lacérait mon âme. Les mots qui blessent sont pires que n’importe quelle torture.
— Alors, c’est comme ça. C’est comme ça que ça doit se finir, déclarai-je pour moi-même en lui tournant le dos.
Je passai une main dans ma veste, effleurant la boite qui contenait la bague du bout des doigts. Je l’entendis s’approcher de moi. Elle tenta encore une fois de me raisonner. En vain. J’avais pris ma décision, et je la suivrai jusqu’au bout, qu’importe les conséquences, qu’importe mon cœur qui me criait de choisir une autre voie. J’avais failli céder à sa requête, par amour. Mais la pensée d’être à jamais enfermé dans une cellule étroite, seul, m’avait fait balayer cette idée de mon esprit. Je n’étais même plus maître de mes gestes.
Lorsqu’elle fut à ma portée, je sortis le Loxapac et lui injectai dans le bras. Elle me lança un regard de terreur mêlée d’incompréhension.
— Pourquoi tu te prends la tête avec ça ? questionnai-je. Ton boulot, c’est juste de prendre les infos que vous donnent les flics, non ?
— Je dois aussi enquêter de mon côté… Je pense que cette histoire me fait peur, répondit-elle finalement.
— Tu n’as rien à craindre, la rassurai-je.
— Non ce n’est pas ça. Je n’ai pas peur de mourir, rectifia-t-elle.
Je levai mes sourcils, la poussant à détailler davantage ses propos.
— C’est juste que je ne comprends pas comment on peut jouer à Dieu en ôtant la vie à des innocents, expliqua-t-elle.
— Ils ne sont peut-être pas si innocents que ça, proposai-je.
— Oh, mais pourquoi tu prends la défense du tueur ?
— C’est juste une supposition. Bon, on le regarde ce film ? dis-je en tentant de changer de sujet.
— Ouais, tu as raison, faut que je fasse une pause. Mon cerveau a besoin de repos.
Elle s’effondra sur le sol, son corps devenu raide. Je m’agenouillai à ses côtés, passai mes mains autour de son cou, et y resserrai ma prise. Dans une demi-conscience, je la vis tenter de se dégager, son corps pris de spasmes dus au manque d’oxygène. Je ne me rendais pas vraiment compte de mes actes, plongé dans une réalité alternative. Tout se passait si vite, je n’avais pas le temps de comprendre, que déjà son corps fut privé de toute vie, ses yeux fixant mon visage qu’elle ne pourrait plus jamais voir.
Soudain, je réalisai. Un cri de désespoir s’échappa de mes lèvres et les larmes dévalèrent mes joues pour la première fois depuis bien longtemps. Je l’avais perdue. Celle qui devait devenir ma femme n’était plus de ce monde. Et c’était de mon propre fait.
Je la pris alors dans mes bras, espérant qu’elle se réveille. Je l’appelai plusieurs fois. Mon cœur avait pris possession de mon esprit et j’avais mal comme jamais je n’avais eu mal de ma vie. Ma raison était engloutie par les flots de douleur qui me lançaient dans tout mon être. J’aurais dû trouver une autre solution, j’aurais pu nous offrir un futur.
J’aurais pu aller en prison pour elle.
Je le réalisai maintenant qu’elle s’était endormie. Maintenant qu’il était trop tard.
Je me sentais vide. J’avais froid. J’étais resté sur ce sol pendant de longues heures avant d'avoir la force de me relever. C’était fini. Je devais reprendre mes esprits, et trouver une solution pour me sortir de cette galère. Je ne pouvais plus rien faire pour elle. Au final, j’étais ce monstre qu’elle avait vu en moi.
Je m’agenouillai alors, afin de passer un bras sous ses jambes, puis sous sa nuque, et la soulevais du sol. Les larmes séchées sur mon visage tiraillaient ma peau, mais elles seraient utiles pour la suite.
Je ne ressentais plus rien ; mon âme s’était vidée. La liberté, que j’avais ressentie à la mort de ma mère, s’était envolée à la mort de celle que j’aimais.
Plus rien ne serait comme avant.
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