Quand le jour se lève
Éthérée, elle se dessine sur les murs chenus des maisons, à l'heure où les brumes irisées de l'aube s'estompent à peine. La voilà qui glisse sur la rue principale du village, vacille légèrement sous la lumière ténue de l'unique réverbère. La cloche de l'église égrène six coups. Une escadrille d'étourneaux s'envole dans le ciel matinal. La silhouette se précise et se hâte. Une respiration hachée, un court souffle. Elle s'appuie sur le mur de l'auberge qui se teinte de rouge-levant ; les ultimes poivrots l'ont déserté depuis longtemps. La peau réagit : fumeroles fugitives ; le cœur s'affo- le. Son havre est tout proche et pourtant elle n'y est pas encore, peut-être n'y sera-t-elle jamais.
Alors que le céruléen remplace l'heure bleue, l'astre, impitoyable, baigne les maisons de lumière. Elle tente de rester dans les ombres restantes qui s'amenuisent ; la nuit complice a vécu. Voit-elle la porte toute proche ? Oui ! Le refuge, celui qui lui permettra d'échapper à l'incendiaire triomphant. Tant d'ères passées à le fuir, va-t-il vraiment la happer maintenant ? Sûrement qu'il n'attendait qu'une imprudence de sa part. Elle s'est égarée si loin, une fois de trop !
La compréhension lui vient ; il est vain de s'interroger, elle tente le tout pour le tout et s'élance ....
Les volets tapent. Les portes et les fenêtres s'ajourent. Quelques cris : protestations d'enfants, exigences d'époux pressés, réponses vives de femmes fortes. Les effluves du café fraichement moulu se diffusent dans les venelles, elles se mêlent aux odeurs viciées des intérieurs. Sur les seuils ouverts, on s'interpelle ; diverses humeurs se mêlent. Amitiés et inimitiés s'expriment.
Les rues se balayent, quelques perrons aussi. Celui de la maison abandonnée n'y échappe pas ; des volutes de poussière cendrée s'envolent sous les rayons ardents du victorieux.
Les gens ignorants passent sans savoir que certains, à l'aurore, trépassent.
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