Vieux hibou, Grand Cerf, et Petite Souris.
La pluie sera là demain ! Vieux hibou l'a dit. Vieux Hibou vit au sommet d'un sapin qui est vieux autant que lui et qui sait aussi : je les crois tous les deux. Même si Grand Cerf se moque :
"De la pluie ? Pas de pluie tombée depuis des lunes et des lunes ! Avant même que Vieux Hibou soit Vieux Hibou, avant même qu'il soit Jeune Hibou : avant même qu'il soit Œuf !"
Mais, Vieux Hibou m'a dit qu'il écoute le vent, que celui-ci murmure la musique de l'eau ; que bientôt, il y en aura plus qu'il n'en faut. Grand Cerf est sourd, et assure :
"Il n'y a que le souffle brûlant. La sèche des herbes qui craquent, la soif de Terre qui se fendille. Je vois juste Soleil qui envahit le ciel. Je ne vois pas les nuages ! retourne dans ton terrier, Petite Souris. Sinon, tu vas cuire sous les piques ardentes ! Et, tiens-toi à l'écart de ce vieux sorcier ! "
Et, il secoue sa tête maigre et sa ramure claquète, craquète, impérieuse. Et, lourde, si lourde ; trop peut-être ; est-il si las ?
Je me faufile près des racines noueuses du sapin, je regarde Vieux Hibou. Yeux fermés. Plumes sages. Immobile. Il dort encore. Avant que le soir arrive, et la nuit. Et la Lune. Et les étoiles. Il s'en passera des heures de chaleur ! Celles-ci ondoient devant moi, voilent l'azur d'un ciel sans nuées, ne semblent pas pressées de se terminer.
Finalement, Grand Cerf a raison ; je retourne chez moi.
Je m'enroule, ferme les yeux. Et je dors. Et là, je rêve de la pluie prédite. Du frais, des gouttes sur ma fourrure. J'entends la chanson des larmes, elle remplit les ornières, remplace la poussière. Et, le ciel gronde et s'illumine d'éclairs. Ainsi, je me réveille en sursaut, trempé jusqu'aux os ; mon terrier s'est inondé. Je nage. Je sors. Dehors, la Lune ne brille pas et les étoiles sont absentes ; la pluie est venue plus tôt, à la nuit. Vieux Hibou s'est trompé ; un peu.
Grand cerf n'est pas loin et il a de l'eau jusqu'au ventre, le vieux sapin et les autres arbres jusqu'aux branches. Je vois Vieux Hibou qui tourne en cercle au-dessus de nous : il m'appelle !
— Viens, rejoins-moi tout en haut de l'arbre ancien, avant que l'eau du ciel ne le dévaste. Je te porterai derrière les nuages, vers le firmament.
Là, Grand Cerf nage vers moi et me dit :
— Surtout, ne l'écoute pas, car c'est l'au-delà que tu visiteras, ne crois rien de ce qu'il te montre !
Je devine le danger dans sa voix, mais je le comprends pas ; Vieux Hibou se rapproche de moi :
— Ne traine pas !
— C'est quoi l'au-delà ?
Ma question reste sans réponse, Grand Cerf lutte contre les flots submergeant. Vieux Hibou s'envole plus haut, m'attend. Alors, je saute sur l'écorce qui, sous mes griffes, se délite. Je m'accroche. Il souffre. Je m'arrête. J'écoute. Rien ; douleur silencieuse ? Il semblerait. Doucement, je continue. Les lamentations de Vieux Sapin ? Je les oublie. Et le ciel m'écrase de sa lourdeur grise. Et l'eau qui tombe m'inonde de sa profusion prodigue. C'est à peine si je vois Vieux Hibou à présent, ses mots qui m'encouragent me guide :
— Tu y es presque !
Je m'acharne alors qu'une ultime clameur de Grand Cerf m'arrive :
— Il te trompe !
Je jette un œil en contrebas. Des tourbillons sombres l'entourent, sa tête fine tendue vers moi se secoue et me dit "Non" ! Non ? C'est Grand Cerf qui s'aveugle. Pourquoi ne voit-il rien ? Vieux Hibou me préserve. Je ferme mes oreilles. Je ferme mon esprit. Le sommet de Vieux Sapin n'est plus très loin. J'y arrive enfin ; mon sauveur est là ; il plane au-dessus de moi, descend soudainement, me happe entre ses serres et m'emmène enfin, plus haut...
Je baisse les yeux alors que Vieux Hibou m'enferme plus encore, me blesse, me griffe. j'aperçois Grand Cerf : les yeux ouverts, qui danse au milieu des arbres secs, sur le sol pulvérulent. Il ne parle plus ; il pleure ? Emporté par sa ramure si pesante, il s'agenouille. La lune ronde l'éclaire, car la nuit est limpide. Où est passée la pluie ? De rivière, il n'y a que les astres.
Un craquement. Une douleur. Alors que Vieux Hibou hulule et triomphe, moi, le regard sur les étoiles, tout comme Grand Cerf l'a dit, je m'envole bien au delà.
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